CHINAHOY

27-April-2015

Consommation avec ou sans modération ?

 

Une dégustation professionnelle organisée par le centre In Vino Cultura, qui cherche à diffuser la culture du vin en France et en Chine. (PHOTO FOURNIE PAR IN VINO CULTURA)

 

La Chine a longtemps été considérée comme un gros pays producteur et buveur de bière, mais elle réserve aussi, de nos jours, son gosier et ses papilles au vin.

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

Récemment, la presse française s'est inquiétée de la baisse des ventes de vins de Bordeaux, symbole du terroir français, dans l'Hexagone (-6 % en volume) mais surtout à l'étranger, notamment dans son premier marché à l'export que représente la Chine (-19 %).

Une baisse conjoncturelle

Déjà en 2013, le marché chinois du vin, annoncé si prometteur au début du siècle, avait accusé un léger recul de 3,1 %, notamment à cause du lancement par le gouvernement d'une lutte anticorruption interdisant plus formellement aux bouteilles de vin de se transformer en pots-de-vin.

Outre cette raison, le président du CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux), Bernard Farges, énonce dans une interview pour l'AFP : « Le marché chinois, en progression incroyable depuis 2005, devait reculer. » En effet, entre 2005 et 2010, l'absorption de vin a doublé en Chine. En 2013, le pays s'est hissé au 5e rang mondial des pays consommateurs de vin, avec un total de 1 680 millions de litres bus. Un chiffre à mettre en perspective tout de même, puisque, en moyenne, un Chinois ne boit que 1,2 litre de vin par an, contre 43 litres pour un Français !

Didier Langlois, directeur d'In Vino Cultura (centre de formation et de diffusion de la culture du vin né à Lyon et aujourd'hui présent en Chine), se montre optimiste face à ces chiffres : « Comme on peut le voir, il existe une marge de progression gigantesque, progression que des facteurs devraient favoriser : l'élargissement de la classe moyenne et l'arrivée de 40 millions de jeunes Chinois amateurs de vin. » D'ailleurs, selon les prévisions du cabinet britannique ISWR (International Wine and Spirit Research), la consommation de vin en Chine devrait augmenter de 24,8 % entre 2014 et 2018.

Un marché en transformation

Bernard Farges précise également que le marché chinois est en pleine phase de maturité. Comme l'indique Olivier Vérot sur son site Marketing-Chine, s'il y a moins d'achats « cadeaux » de prestigieuses bouteilles étrangères (dont bénéficiaient les vignerons bordelais), s'observe en revanche une hausse de la consommation courante de vins de moyenne gamme, portée par la diffusion progressive de la culture du vin et l'augmentation du niveau de vie dans le pays. Les producteurs chinois, autrefois relégués au segment bas de gamme, osent désormais se tourner vers la fabrication de grandes cuvées. Rappelons au passage que la Chine possède l'un des plus grands vignobles au monde en termes de superficie, et que plus de 2/3 des vins consommés en Chine sont produits localement, majoritairement dans les provinces du Hebei, du Shandong, du Ningxia et du Xinjiang.

Didier Langlois commente : « Je pense que les vins chinois auront un réel avenir quand les producteurs chinois, poussés par les consommateurs chinois eux-mêmes et par des initiatives comme celles de Michel Bettane et Thierry Desseauve, s'attacheront à améliorer la qualité de leur production. J'ai déjà goûté quelques vins chinois qui n'ont absolument rien à envier à nos bons crus français ! » Les deux œnologues français de renom cités ci-dessus ont participé au début de l'année 2015 à une grande dégustation à Beijing de 173 vins nationaux, à l'issue de laquelle ils ont décidé d'intégrer à leur prochain guide 2015-2016 en mandarin 1 vin pétillant, 6 vins blancs ainsi que 24 vins rouges d'origine chinoise.

Il a souvent été reproché aux Chinois de boire « à l'étiquette », c'est-à-dire d'acheter en priorité des bouteilles lourdes et jolies, si possible d'une marque étrangère réputée avec un nom facile à prononcer, ce par manque de connaissances du vin. Cette idée a nécessairement donné lieu à des abus : contrefaçon ou vente de produits médiocres à des prix faramineux.

« Beaucoup de paramètres entrent dans la composition d'une belle image et d'une belle réputation. Le travail des vignerons est, nous en sommes tous convaincus, l'élément le plus important qui a fait et qui fait toujours la réputation des vins français. Dans un marché qui devient hyper concurrentiel avec l'arrivée des vins du Nouveau Monde, je suis persuadé qu'à ce travail des vignerons, il faut de plus en plus associer la formation et la culture du goût. C'est un impératif ! » s'exclame Didier Langlois. Il ajoute : « La labellisation peut effectivement jouer un rôle et servir de repère pour les consommateurs, mais c'est loin d'être la panacée, et cela peut avoir des effets pervers. » 

Une tendance à la diversification

Plus les Chinois se passionneront pour le vin en général, plus ils découvriront d'autres cépages et d'autres domaines. « Il me semble que les Chinois commencent à s'intéresser à d'autres régions viticoles françaises plutôt qu'à la seule région de Bordeaux. Il n'y a pas si longtemps, la Bourgogne était tout bonnement inconnue des Chinois ! Ce n'est plus le cas maintenant. Le vin jaune du Jura est également très apprécié des Chinois », analyse Didier Langlois.

Mais l'Hexagone est loin d'être le seul pays à vendre son vin en Chine. Selon des données de 2012 collectées sur le site VinenChine, la France y a exporté 139,14 millions de litres, suivie de l'Australie avec 40,32 millions et de l'Espagne avec 29,43 millions. Mais dernièrement, les consommateurs chinois font surtout la part belle aux vins chiliens. Ces derniers ont enregistré une croissance de 20,5 % sur le marché chinois au cours de l'année 2013 et étaient bien partis pour réaliser la même performance en 2014.

Ces vins du Nouveau Monde tablent justement sur le moyen de gamme, dont la consommation se développe parmi la population urbaine chinoise. On leur prête également des approches marketing moins traditionnelles, plus « jeunes », qui conquissent une bonne part du public.

« De toute façon, chacun prendra la place qui lui revient ; c'est le consommateur qui choisira. Nous en revenons toujours au même point stratégique : la formation, l'éducation au goût et à la culture. La menace viendrait en fait de notre propre camp en considérant la formule : "Je fais du bon vin qui se vend bien, donc je n'ai pas de raison de faire des efforts" », explique Didier Langlois.

Rouge versus blanc

Autre phénomène : la considération du vin blanc, dont il n'était pas question auparavant. Les consommateurs chinois ont toujours eu une préférence pour le rouge, d'une part, parce que cette couleur est pour eux signe de bonheur, d'autre part, parce qu'un vin de raisins est nécessairement rouge dans l'idée de la plupart. Aujourd'hui encore, 91 % du vin consommé en Chine est rouge ; le blanc représente les 9 % restants ; tandis que le rosé n'apparaît même pas dans les comptes. En 2013, la Chine est même devenue le 1er pays consommateur de vin rouge !

Publiée en 2012, une étude par le cabinet britannique ISWR pour Vinexpo prévoyait néanmoins une croissance du marché du blanc entre 2011 et 2015 de l'ordre de 69 %, contre 53 % pour le rouge. Comme il est conseillé de déguster du vin blanc sur du poisson ou des fruits de mer et que, par chance, les classes moyenne et huppée sont concentrées dans les régions côtières de la Chine où ces plats sont légion, il est fort probable que le blanc progresse en termes de représentativité et de vente.

L'autre observation qui laisse à penser que le vin blanc jouit de belles perspectives en Chine nous est donnée par Didier Langlois : « Les femmes chinoises participent de plus en plus aux formations et elles restent attirées par le vin blanc, plutôt doux que sec. Elles sont, à mes yeux, un enjeu très important. Elles vont devenir de vraies consommatrices et vont progressivement faire perdre quelques petits points aux 91 % du marché du vin rouge. »

 

Pour plus d'informations, rendez-vous sur www.invinocultura.com

 

 

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