CHINAHOY

2-April-2015

Interprétations de la Route de la Soie maritime du XXIe siècle

 

Le 19 mai 2014, le président chinois Xi Jinping et son homologue kazakh Noursoultan Nazarbaïev ont signé à Shanghai la Déclaration commune de la République populaire de Chine et de la République du Kazakhstan.

 

La stratégie chinoise « une Ceinture et une Route » devrait bénéficier à tous les pays riverains. Explication.

DONG YAN, CHEN YUJIE, ZHOU XIAOYAN et ZHANG XUE

Lors de la visite du président Xi Jinping au Kazakhstan en septembre 2013, celui-ci a lancé l'initiative de construire ensemble la Ceinture économique de la Route de la Soie. Lors de ses visites subséquentes dans les pays de l'ASEAN en octobre de la même année, le président chinois a avancé la proposition d'édifier la Route de la Soie maritime du XXIe siècle. Dès lors, cette « Ceinture » et cette « Route » constituent ensemble l'ossature de la politique étrangère chinoise de la nouvelle ère à venir. La Conférence centrale sur le travail économique tenue en décembre 2014 a souligné que l'application de cette stratégie appelée « une Ceinture et une Route » sera l'une des tâches-clé visant à optimiser l'espace du développement économique.

Depuis les années 1990, des pays et régions comme les États-Unis, la Russie, l'Europe, le Japon ou l'Inde ont successivement lancé leurs propres versions de la « Route de la Soie ». À la différence de ces projets, qui préconisent une « intégration orientée par la compétition », l'initiative chinoise met l'accent sur un développement axé sur les caractéristiques et les particularités de chaque pays. Le modèle proposé est celui d'une « construction basée sur la coopération ». À chaque fois que le président Xi Jinping présentait cette initiative, celle-ci a été chaleureusement accueillie par les dirigeants et les élites des pays longeant ces deux itinéraires.

L'opinion publique, dans certains pays, se pose encore des questions sur l'intérêt pour leur propre nation de cette stratégie « une Ceinture et une Route ». Pourquoi la Chine a-t-elle lancé la Route de la Soie maritime du XXIe siècle justement à ce moment ? Quel sera l'intérêt de la Route de la Soie maritime pour les pays situés sur cette route ? À l'occasion du forum proposé lors du colloque international organisé les 11 et 12 février dernier à Quanzhou dans le Fujian, sur le thème « Construire une communauté de destins et édifier la Route de la Soie maritime du XXIe siècle la main dans la main », les journalistes du groupe CIPG ont pu interroger des fonctionnaires, des savants et des entrepreneurs pour trouver des réponses à ces questions.

Question : Pourquoi la Chine a-t-elle lancé l'initiative de construire la Route de la Soie maritime du XXIe siècle à ce moment ? S'agit-il d'un plan Marshall asiatique ?

Selon les statistiques du FMI, la Chine, deuxième économie mondiale, a contribué pour 27,8 % à la croissance économique planétaire. Sa contribution économique est donc la première au monde. De fait, la Chine reste un pays en développement qui fait face à de nombreux défis. L'Asie, moteur de la croissance économique mondiale, est confrontée à des problèmes structurels, comme son faible niveau d'intégration économique, des déséquilibres de développement, une mauvaise connexion des infrastructures de transport. La stratégie de la Route de la Soie maritime du XXIe siècle mobilise des moyens financiers et autres ressources visant justement à solutionner ces questions.

Selon Noriyoshi Ehara, économiste en chef de l'Institut du commerce et de l'investissement internationaux du Japon, c'est après la réforme et l'ouverture que la Chine a pris son essor économique ; aujourd'hui, la Chine souhaite partager les fruits de sa réussite avec le reste du monde au travers de cette stratégie appelée « une Ceinture et une Route ». D'après lui, Deng Xiaoping avait avancé la théorie suivante : « Laisser une partie de la population s'enrichir d'abord pour entraîner l'enrichissement du reste de la population. » La Chine s'est enrichie grâce à la réforme et l'ouverture, et il est temps pour elle de partager cette expérience et ces succès avec les pays riverains de la « Ceinture » et de la « Route » pour une prospérité commune.

Cette stratégie répond en outre au besoin de la Chine d'approfondir sa réforme dans tous les domaines. Li Xiangyang, directeur de l'institut des études stratégiques de l'Asie-Pacifique de l'Académie des sciences sociales de Chine, a expliqué à notre envoyé spécial les trois périodes de la réforme de la Chine. La première période commence au début de la réforme et l'ouverture et se termine avec le discours prononcé par Deng Xiaoping lors de sa tournée dans le Sud en 1992. La deuxième période de réformes s'ouvre avec ce discours de Deng Xiaoping et se prolonge jusqu'à l'adhésion de la Chine à l'OMC en 2001. La troisième période, enfin, c'est la décennie qui a suivi l'adhésion de la Chine à l'OMC. Ces trois dernières décennies, les régions côtières ont bénéficié de l'ouverture de l'économie aux marchés mondiaux, tandis que d'immenses régions intérieures sont restées en retrait de ces évolutions. Aujourd'hui, la Chine doit rééquilibrer son développement en ouvrant ses portes tous azimuts.

Li Mingjiang, professeur de l'Université nationale de Singapour, partage ce point de vue. Selon lui, la politique de réforme et d'ouverture pratiquée par la Chine doit maintenant entrer dans une phase marquée par une ouverture globale plus approfondie. La stratégie de la Route de la Soie maritime du XXIe siècle correspond bien à cette nécessité. Dans le même temps, « cette stratégie reflète aussi les nécessités d'un renforcement diplomatique avec les pays voisins », constate Li Mingjiang. Au cours des dernières 20 années, la Chine a maintenu des relations de stabilité avec ses voisins. Mais de nouveaux défis ont fait leur apparition. Par exemple, la stratégie du « Retour en Asie-Pacifique » des États-Unis, le resserrement des liens entrepris par le Japon et l'Inde avec les pays de la région. Des changements qui constituent une sorte de défi pour la Chine. Des litiges territoriaux existent entre la Chine et certains de ses voisins. Ces contradictions pèsent sur leurs relations avec la Chine. L'application de la stratégie de la Route de la Soie maritime du XXIe siècle est de nature à apaiser ces litiges, à résoudre les divergences et à renforcer les échanges et la coopération. Elle pourra contribuer à améliorer l'image de la Chine et donc ses relations diplomatiques avec ces pays.

À ceux qui prétendent que la stratégie « une Ceinture et une Route » est une nouvelle version du plan Marshall, James Leroy Peck, directeur de US-China Book Design Press, leur répond que le temps du monde unipolaire est révolu. Le monde redevient multipolaire et par conséquent la stratégie « une Ceinture et une Route » avancée par la Chine ne peut pas être comparée au plan Marshall. La stratégie chinoise ne s'accompagne d'aucune revendication politique, elle consiste à établir une plate-forme tolérante, multipolaire et ouverte à de nouveaux pays.

Selon Li Mingjiang, la stratégie chinoise n'est pas dépourvue de similitudes avec le plan Marshall des États-Unis dans l'après-guerre : dans les deux cas, un pays économiquement fort mobilise ses ressources pour aider au développement d'autres pays. Mais la différence est que le plan Marshall, lancé dans le contexte de la guerre froide, avait pour but d'affaiblir le camp de l'Est dirigé par l'URSS. Il était donc fortement idéologique. La stratégie chinoise ne joue pas sur la compétition stratégique planétaire. D'ailleurs, si le plan Marshall ne fut qu'une aide unilatérale offerte par les États-Unis, la stratégie « une Ceinture et une Route » consiste à établir un modèle coopératif qui demande aux pays voisins de déployer des efforts pour travailler la main dans la main.

 

Le 15 décembre 2014, l'Exposition de photos sur la Route de la Soie maritime a été organisée dans le siège de l'ONU. Une centaine de photos venant de 45 musées des 7 provinces côtières chinoises y présentaient le charme unique de cette Route de la Soie maritime.

 

Question : la Route de la Soie maritime du XXIe siècle sera favorable à Chine, mais quel intérêt apportera-t-elle aux autres pays ?

D'après James Leroy Peck, les pays longeant la Ceinture de la Route de la Soie ou la Route de la Soie maritime bénéficieront largement de cette initiative. « Les pays riverains de ces deux itinéraires partagent une longue histoire de coopération commerciale, mais dans le système économique international actuel, cette coopération n'est pas assez étroite pour générer des gains de compétitivité. Grâce à la stratégie chinoise, ces pays pourront renforcer leurs échanges économiques et approfondir leur compréhension et leur respect mutuel. Et cela ne pourra que contribuer à libérer leur dynamisme. Une opportunité pour eux, mais aussi pour l'économie mondiale. »

Khin Maung Lynn, secrétaire général de l'Institut des stratégies et des études internationales du Myanmar, a exposé aux journalistes de CIPG les excellents ports naturels dont dispose son pays. Ce dont le pays manque à l'heure actuelle, c'est d'une réforme de son administration, ainsi que d'un renforcement de ses infrastructures de transport. Membre de l'ASEAN et pays voisin de la Chine, le Myanmar espère que la Chine apportera des investissements qui l'aideront à développer ses infrastructures tout en renforçant l'interconnexion régionale.

Selon Dr. Madan Kumar Dahal, président de Mega Bank Nepal Limited, si le Népal compte plus de 6 000 cours d'eau, le pays ne possède pas d'embouchure sur la mer. Le Népal a besoin de l'aide de la Chine pour améliorer ses infrastructures et développer la navigation fluviale. « D'autre part, l'électricité produite par le Népal n'est pas suffisante et il y a souvent des coupures de courant. Pourtant, le pays possède un énorme potentiel hydroélectrique. Nous espérons obtenir plus d'investissements et d'aide en provenance de la Chine dans ce domaine. Notre souhait est d'avoir avec la Chine des relations de bon voisinage. »

Le Laos également est un pays enclavé dépourvu de façade maritime. Yong Chanthalangsy, directeur de l'Institut des affaires étrangères du ministère des Affaires étrangères de ce pays, a dit que « le Laos s'est engagé dans une politique de transport ambitieuse ». Selon lui, le gouvernement laotien a déjà élaboré un projet pour connecter les autoroutes et les chemins de fer du pays à ceux des pays limitrophes. « Nous voulons construire un réseau autoroutier de 421 km qui nous reliera à la Chine via la Thaïlande. »

En tant que membre important de l'ASEAN, Singapour attend beaucoup de la Route de la Soie maritime du XXIe siècle. Zhang Songsheng, président de la Singapore Business Federation considère que « Situé sur le Détroit de Malacca, Singapour est bien placé pour jouer son rôle de ''carrefour de l'Orient''. Comme à l'époque du voyage de Zheng He, Singapour pourra jouer un grand rôle dans la construction de la Route de la Soie maritime du XXIe siècle. » Il ajoute que 2015 marque à la fois le 25e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et Singapour et le 50e anniversaire de la fondation de Singapour. La Singapore Business Federation espère coopérer avec la Chine pour organiser un colloque international sur le sujet de la Route de la Soie maritime du XXIe siècle, auquel d'autres pays membres de l'ASEAN seront invités, dans le but de faire mieux connaître cette initiative chinoise.

Babar Sultan Makhdoo, rédacteur en chef du quotidien pakistanais Daily Mail International, considère que l'un des résultats importants de la stratégie « une Ceinture et une Route », qui est aussi la cause de son succès, est que cette initiative cherche à mettre en valeur les plans de développement des différents pays, ce qui conduit à des dynamiques mutuellement bénéfiques. Il espère que la Chine pourra tirer profit de la tendance de la mondialisation et établir une plate-forme pour permettre à plus de pays de partager les fruits de son développement économique. « La stratégie ''une Ceinture et une Route'' favorisera sans aucun doute la réussite d'une coopération régionale tous azimuts », observe-t-il avec optimisme.

Question : Une grande stratégie telle que la Route de la Soie maritime requiert une promotion gouvernementale, mais quel sera le rôle des entreprises et des acteurs du marché ?

Bei Peijun, directeur adjoint exécutif du centre de recherche du développement du groupe COSCO répond que la stratégie de la Route de la Soie maritime du XXIe siècle est riche de perspectives pour son groupe. COSCO est l'une des entreprises leaders dans le transport maritime. Il a d'autre part rappelé que les entreprises doivent se préparer et s'adapter à la nouvelle normalité qu'apporte cette stratégie.

Le groupe COSCO a acquis une participation dans un port important en Grèce. Le groupe a entrepris une réforme de la gestion de l'entreprise, des problèmes tels que la mauvaise gestion des ressources, les grèves fréquentes des employés, ont été pris à bras le corps. Dès la première année, le port a renoué avec les profits. Des profits qui augmentent d'année en année. Aux dernières élections, le parti de gauche est arrivé au pouvoir, des accords passés avec le gouvernement précédent ont été remis en question, et le groupe COSCO s'est vu confronté à bien des remous. Selon Bai Peijun, la construction de la Route de la Soie maritime demande un cadre élaboré par les gouvernements, les entreprises et les médias, qui permette de surmonter les difficultés rencontrées dans les pays étrangers. Le risque, pour les investisseurs chinois, est aussi bien politique, environnemental que culturel, ou parfois provient de barrières commerciales.

Selon Li Xiangyang, directeur de l'institut de recherche de l'Asie-Pacifique de l'Académie des sciences sociales, la mise en application de la stratégie « une Ceinture et une Route » requiert que soient d'abord traitées en profondeur les questions relatives aux relations entre gouvernement et entreprises. Les entreprises fonctionnent selon des mécanismes de marché et on ne peut pas les obliger à servir la conception stratégique du pays. Si les entreprises ne sont pas invitées à participer à la conception de cette stratégie, celle-ci risque de se résumer à une aide économique à l'étranger. Par conséquent une stratégie qui ne serait pas tenable à long terme. C'est pourquoi il propose que le pays prenne des mesures incitatives, par des lois et des aides financières destinées aux entreprises, de façon à ce qu'elles s'inscrivent dans la stratégie nationale. En même temps, le cas des entreprises d'État, privées ou étrangères doivent également faire l'objet d'aménagements séparés.

Du haut de sa longue expérience en matière de coopération avec des entreprises chinoises, Sameh El-Shahat, directeur général de China-i Limited, considère que les entreprises chinoises doivent jouer un rôle important dans la construction d'« une Ceinture et une Route ». Il existe cependant un danger qu'en l'absence d'un mécanisme d'évaluation efficace des risques potentiels, principalement des risques politiques dans les pays où l'on voudrait investir, ces entreprises pourraient manquer de moyens pour faire face aux changements politiques.

« Les entreprises chinoises accordent beaucoup d'importance à leurs relations avec les gouvernements étrangers, mais ce ne sont pas là les plus importantes, explique Sameh El-Shahat. Comme les gouvernements étrangers changent fréquemment, c'est avec les populations locales que les entreprises chinoises doivent maintenir de bonnes relations. Lorsqu'elles établissent des alliances commerciales, il leur faut veiller à établir une alliance sociale, car il ne suffit pas d'investir ou de construire des autoroutes, des chemins de fer ou des hôpitaux. Encore faut-il entretenir une bonne image auprès de l'opinion publique locale, et donc développer une bonne capacité de communication. Une telle alliance sociale peut aider à corriger les défauts des entreprises chinoises. » Il a d'autre part ajouté qu'il est impossible d'adopter un même modèle dans tous les pays, parce que leur situation est à chaque fois différente. Philippines, Indonésie ou Myanmar se trouvent dans des contextes politiques totalement différents. Les entreprises chinoises doivent trouver en termes d'investissement une approche qui se conforme à la situation de chaque pays.

 

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