CHINAHOY

28-April-2015

Ça swingue à Beijing !

 

Marie-Claude Lebel enchante ses voisins de hutong avec ses mélodies gypsy jazz.

 

Marie-Claude Lebel alias « Mademoiselle et son Orchestre » est la chanteuse-accordéoniste québécoise qui fait swinguer Beijing au son de son jazz manouche. Elle partage avec nous sa vie et nous fait part de son expérience sur la scène underground rock pékinoise.

SÉBASTIEN ROUSSILLAT, membre de la rédaction

Marie-Claude, ou « MC » pour les intimes, arrive en Chine en 2002, sur un coup de tête : une amourette avec un accordéoniste rencontré par hasard lors d'une panne de métro à Montréal. « Déjà, ça commence bien, dit Marie-Claude, sa tasse de café entre les mains. Il voulait m'emmener avec lui "à l'autre bout du monde". J'ai vite déchanté, puisque deux semaines avant que je ne parte le rejoindre, il m'avait quittée. Et moi, j'avais quitté mes études, mon job et mon appartement, donc j'avais pas l'intention d'annuler le voyage. Je suis partie quand même. » Elle a tout lâché. De toute façon, « les garçons, c'est des cons » comme elle le dit elle-même dans une chanson. Mais comme on le dit : « un bien pour un mal ». Marie-Claude trouve un job à l'Alliance française de Beijing grâce à sa maîtrise de FLE et s'installe petit à petit, rencontre des artistes, devient amis avec eux et s'immerge peu à peu dans le milieu pékinois de la musique underground. Aujourd'hui, ça fait 13 ans qu'elle évolue en Chine, mais aussi dans les pays alentours et sur les ondes canadiennes.

« Et vous gagnez le Larousse de la Musique ! »

Les débuts de Marie-Claude en tant que chanteuse sont assez amusants. « Au début, je jouais dans un groupe qui s'appelait Trip Azia en trio avec un Français, le légendaire Djang San, et Fenni, une Chinoise. Mais je ne vivais pas de la musique, j'étais professeur de français. D'ailleurs, je n'aurais jamais imaginé vivre de la musique que ce soit ici ou au Canada. Et je ne chantais pas non plus. J'étais juste flûtiste et accordéoniste. Mais on donnait pas mal de concerts, et grâce à un événement de l'Alliance française, j'ai fait mes débuts en tant que chanteuse. » C'était pour l'animation de la soirée spéciale Asie de l'émission « Questions pour un Champion ». « Je suis donc devenue chanteuse francophone en Chine grâce à Julien Lepers », nous confie Marie-Claude en riant.

Marie-Claude continue dans sa lancée, chante des reprises de chansons françaises façon jazz manouche, se fait connaître et réalise qu'il y a une vraie demande pour ce style de musique quasiment absent de la scène pékinoise à l'époque.

Les années 2000 voient l'émergence d'un nouveau marché pour les artistes : l'événementiel. Marie-Claude fait des spectacles pour des firmes françaises : L'Oréal, L'Occitane, ou encore des marques de voiture. « J'ai bien tenté de me faire rémunérer en Porsche ou Ferrari, mais ça n'a jamais marché ! », plaisante-t-elle. Elle est invitée aux célébrations de la fête de la Musique à Beijing, à des festivals tels que « World Music Week » ou encore à des événements de l'ambassade de France. Et comme cela arrive souvent aux chanteurs québécois, ils deviennent représentants de la chanson française et de la langue de Molière et cela, même en Chine !

Défenderesse de la chanson française en Chine

Comme on peut la voir sur une de ses affiches : debout sur un camion rempli de choux chinois dans une rue chinoise, telle une Jeanne d'Arc dont l'accordéon serait la bannière, Marie-Claude chante en français, et le revendique : « Jusqu'à aujourd'hui, ''Mademoiselle et son Orchestre'' est le seul groupe de musiciens étrangers en Chine à ne chanter qu'en français. Je ne chante que très rarement en chinois parce que je n'ai pas envie de passer pour "l'étrangère qui fait le singe et chante en chinois pour faire plaisir". Je trouve ça plus intéressant de faire écouter du français aux Chinois. Un peu comme au Canada quand on va écouter de la musique africaine chantée en wolof : on n'y comprend pas grand-chose, mais ça ouvre l'esprit sur une autre culture. »

Le public de Marie-Claude se compose essentiellement d'étudiants en langue française, de Francophones installés en Chine, mais aussi de Chinois en quête de jazz manouche, musique pas si connue en Chine. « Les Chinois ont été privés de musique occidentale jusque dans les années 80. Pour eux, le jazz, le rock, c'est encore tout nouveau. » Marie-Claude fait régulièrement la promotion de cette musique auprès de son public dans les bars de la capitale où elle joue régulièrement et aussi à la radio chinoise dans l'émission « All that Jazz », présentée par Yao Dai, un des premiers Chinois à avoir fait passer du rock et du jazz sur les ondes chinoises.

Elle ne fait pas que reprendre les chansons d'édith Piaf, Boris Vian ou encore Brassens version manouche. Inspirée par ses histoires, ses déboires amoureux, sa vie à Beijing, Marie-Claude a même sorti un CD avec « Mademoiselle et son Orchestre » : Café pour Deux, tiré à plus de 30 000 exemplaires avec la firme chinoise Tree Music. « Je me demande toujours si ce que je fais en Chine est apprécié parce que je suis une étrangère ou bien parce que c'est vraiment de la qualité. Et quand ma mère au Canada me téléphone en me disant "Je viens d'entendre ta chanson à la radio", ça me fait vraiment plaisir. D'autant qu'aujourd'hui, je vis de ce que je fais en Chine depuis presque une dizaine d'années. »

Une vraie vieille de la vieille !

Marie-Claude l'est et le revendique. Parmi les étrangers installés à Beijing, elle est de ceux qui veulent se mêler « aux gens du bout du monde » et vivre dans les hutong. « Je ne mène pas la vie de bohème non plus. Je gagne bien ma vie, mais j'aime les vieux quartiers de la vieille ville, c'est très chinois, très traditionnel. Pour rien au monde je n'irais me caser dans une résidence pour expatriés en Chine. » Elle a élu domicile dans la vieille ville deux ans après son arrivée dans la capitale, à une époque où il était encore presque interdit aux étrangers d'habiter dans ce microcosme que sont les vieilles ruelles pékinoises. « Aujourd'hui, je vis toujours là où j'habitais il y a 9 ans. Ma maison se casse à moitié la figure, mais c'est typique. J'ai du lierre qui pousse partout sur les toits et même dans ma chambre ! On mange avec les voisins dans la cour : ils font les brochettes, je fournis le vin ou la bière. Je suis parfois plus pékinoise que certains », raconte-elle en riant.

Marie-Claude a vu se développer la scène artistique underground de Beijing comme elle a vu la ville changer : « En Chine, tout change tellement vite que vous avez l'impression de pouvoir dire "la Chine d'antan" quand vous parlez de l'année dernière. Par exemple, en 2002-2005, il n'y avait rien à Nanluoguxiang ni à Houhai, c'étaient des quartiers d'habitation normaux. Au lac de Houhai par exemple, il y avait un seul bar, où les Chinois n'allaient pas. Il n'y avait que des clients étrangers, et l'ambiance était super calme le soir. Je me rappelle qu'il y avait un flûtiste qui faisait résonner son instrument au bord du lac. Aujourd'hui, certains vieux quartiers sont devenus des enfers touristiques : les rues sont bondées, les bars de Houhai se font la guerre de celui-qui-fera-le-plus-de-bruit. C'est vraiment la cacophonie ! » nous décrit-elle.

La scène artistique pékinoise a également beaucoup changé : « Je connais la plupart des grandes stars du rock chinois actuel. Ils étaient tous dans les petits bars de Beijing il y a dix ans. Ils ont tous le même profil : je deviens connu, je pars, je fais des tournées, je fais les festivals, mais je ne retourne plus là où je suis né : les petits bars. C'est dommage, car ils prennent la grosse tête et perdent le contact avec le public », se désole un peu Marie-Claude, qui préfère rester simple et se bat notamment avec sa maison de disque pour éviter ce tournant souvent assez dangereux, dans lequel beaucoup de rockers chinois se sont perdus.

Les bars pullulent actuellement à Beijing et les bands en tous genres aussi. D'où une concurrence qui n'existait pas avant, mais qui ne pose pas trop de problèmes à Marie-Claude : « Les nouveaux groupes qui jouent dans les bars sont proportionnels au nombre de bars dans la ville. D'ailleurs, il y en a trop des bars, et pas assez de bands, ce qui nous permet de jouer de façon fixe dans certains endroits et de nous balader le weekend dans d'autres. Les groupes qui jouent notre style de musique ne sont pas légion et même si on essaie parfois de nous copier, on n'est jamais égalé ! » ajoute-t-elle en riant.

Un autre phénomène s'est produit sur la scène underground rock de Beijing : c'est l'exode des rockeurs au Yunnan. « Ils en ont eu peut-être marre de Beijing, la ville ne leur convenait plus, alors ils se sont installés à Dali. Ils font les festivals puis retournent à Dali dans les bars qu'ils ont ouverts là-bas. Mais je ne pense pas que c'est ce que je voudrais faire, parce que ça swingue à Beijing ! Donc je reste ! » conclut-elle fièrement !

 

La Chine au présent

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