CHINAHOY

2-April-2015

Être agriculteur au Zimbabwe

 

De gauche à droite : Zhang Hengxi, Beaton et Zhu Xuewu.

 

SHEN XIAOLEI*

C'était déjà le crépuscule lorsque nous nous dirigions en voiture vers la ferme Kasama, le paysage était rouge de la lumière du soleil couchant. « La vie est monotone dans la ferme. C'est le spectacle du lever et du coucher du soleil que nous attendons le plus souvent », m'expliqua Zhu Xuewu, directeur de la ferme, qui m'accompagnait.

Une fois traversé un champ où les plants de maïs mesurent près de deux mètres de hauteur, puis une savane en friche, nous nous sommes trouvés devant une maison paysanne rudimentaire, abandonnée par son ancien propriétaire blanc. Une vingtaine de machines agricoles s'alignaient dans le garage, quelques moutons et des poules se promenaient dans la cour ; les employés de la ferme étaient déjà rentrés du travail ; quelques responsables chinois, tout bronzés, nous accueillirent avec des plats de légumes de la ferme.

La ferme que nous visitions est gérée par l'entreprise chinoise Zim-China Wanjin Tianrui Food processing Private Limited (Wanjin Tianrui) et se situe près de la ville de Chegutu au Zimbabwe. C'est l'une des trois fermes que possède Wanjin Tianrui au Zimbabwe, les deux autres s'appellent Chivero et Eureka. Leur superfice totale est de 3 228 ha.

La maison-mère de Wanjin Tianrui est Anhui Tianrui Environemental Technology Co., Ltd. (Anhui Tianrui), une société qui investit dans l'exploitation de fermes au Zimbabwe depuis 2013.

Investissement important mais des résultats qui se font attendre

Ces trois fermes abandonnées depuis plus de 30 ans s'étaient couvertes de buissons et d'arbustes épais, à part quelques terrains défrichés par la population locale, nous révéla Zheng Hengxi, directeur général de Wanjin Tianrui. Avant de pouvoir planter, il a fallu couper les arbres et excaver les fourmilières à l'aide de grandes machines. La première année, 320 ha de maïs ont été plantés et récoltés dans les trois fermes. Cette année, les cultures se sont étendues sur 615 ha, 600 ha de maïs et 15 de tabac.

Selon Zhang Hengxi, cet aménagement des terres cultivables a grevé le budget d'investissement prévu. Le coût de déboisement et de destruction des fourmilières a atteint 600 à 800 dollars l'hectare. En comptant l'achat des machines, des semences, des pesticides, on peut imaginer le montant des investissements ! De plus, ces terres qui étaient en jachère depuis longtemps devront s'adapter pendant au moins trois ans avant de retrouver leur productivité optimale. Entretemps, la production agricole restera modeste. C'est pourquoi il ne faut pas s'attendre à un retour rapide sur investissement.

La production agricole est un travail technique. Devant le champ de maïs verdoyant, M. Zhu expliquait : « En 2013, la première année de mise en culture, en raison de notre inexpérience dans la fertilisation et le sarclage, 320 ha de terres n'ont produit que 800 tonnes de maïs, soit moins de 3 tonnes par hectare. Un chiffre bien inférieur à la moyenne atteinte par les fermes locales. Sur notre terrain, les herbes étaient aussi hautes que le maïs, et le rendement final n'a pas même remboursé le coût de la location des moissonneuses. »

Mais beaucoup de leçons ont été tirées de ces débuts. Le maïs semé à la fin de l'année, avant la saison des pluies, pousse beaucoup mieux que celui des terrains environnants, grâce à une meilleure fertilisation et à un sarclage plus efficace. M. Zhang nous a confié qu'il s'attendait cette année à une productivité de plus de 5 tonnes l'hectare, soit un peu plus élevée que la moyenne. Lorsque la maturation des sols sera achevée, il pense pouvoir atteindre une production de maïs à l'hectare comprise entre 7 et 8 tonnes.

Le sol de la savane est très sablonneux. Si l'on ne prend pas des précautions conservatoires du sol, le risque de désertification est grand. M. Zhang nous a expliqué que l'un de ses premiers soucis, dès la reprise de l'exploitation, fut d'ériger autour des exploitations un rideau végétal de 10 à 30 mètres de largeur, afin de protéger ses terrains du vent et du sable.

Ces dernières années, de nombreux pays occidentaux ont accusé la Chine de néo-colonialisme en Afrique, et de mettre en danger la sécurité alimentaire de ces pays pour consolider la sienne. Une accusation sans fondement, comme nous a expliqué M. Zhang : dès le début de son activité, sa société a signé un accord avec National Foods du Zimbabwe, aux termes duquel le maïs produit par les fermes serait intégralement revendu à la société nationale. Dans son livre The Dragon's Gift : The Real Story of China in Africa, Deborah Brautigam cite le proverbe chinois qui dit « On ne transporte pas les céréales sur mille li » (un li = 1/2 km), pour expliquer que les céréales produites par des entreprises chinoises en Afrique sont toutes vendues sur les marchés locaux. La ferme Kasama en est un bon exemple.

 

Un village près de la ferme Kasama.

 

Changer la vie des autochtones

La ferme Kasama emploie quelque cent travailleurs locaux, permanents ou temporaires. La plupart d'entre eux viennent des trois villages environnants, et quelques-uns de villages plus éloignés, comme Chinhoye distant d'environ 100 km. Le travail commence à six heures du matin et les ouvriers agricoles sont payés à la journée. Tous les conducteurs de machines agricoles sont des autochtones. « Les conducteurs d'engins ont tous bénéficié d'une formation à la ferme, étant plus qualifiés, ils gagnent plus que les autres employés », nous a expliqué Yi Gong, chargé de l'entretien des machines.

M. Beaton est chargé de la plantation du tabac. Sa famille comprend six membres. Sa femme, handicapée, ne quitte pas la maison. Sa fille aînée travaille aussi à la ferme. Les deux plus grands de ses trois fils vont à l'école, alors que le plus jeune commence juste à marcher. Il avait déjà travaillé à planter du tabac pour le propriétaire blanc. En 2007, lorsque ce dernier a quitté sa ferme, il s'était retrouvé au chômage et vivait de petits boulots jusqu'à la reprise récente de l'exploitation. Sa famille dispose désormais de ressources stables.

« Les trois villages sont si petits que la plupart des adultes ont trouvé à s'employer dans la ferme. Leur salaire leur permet de subvenir aux besoins de leur famille, nous dit Zhu Xuewu. De plus, le travail agricole attire aussi des gens d'autres régions à s'installer dans nos trois villages. »

En visitant un des villages, j'ai été frappé par le calme qui y règne. Je n'y ai vu que des enfants et des femmes âgées. Des logements neufs y ont été construits.

Favoriser la population locale

Investir dans l'agriculture présente des risques. L'importance de l'investissement, la période assez longue de retour sur investissement, et bien sûr les aléas climatiques, plombent le business-plan. Le lendemain de mon arrivée, j'ai demandé une interview au président du conseil d'administration de la société, Yi Shutong. Celui-ci m'a expliqué que s'il a investi dans l'agriculture au Zimbabwe, ce n'était pas pour s'enrichir rapidement ni pour profiter d'une quelconque « ruée vers l'or », mais plutôt pour aider concrètement les autochtones. De nombreux nationaux critiquent le fait que les mines et les commerces sont désormais aux mains d'immigrés chinois, et ce qui est de plus en plus vu comme un pillage des ressources de l'Afrique, sans contrepartie en termes d'emploi pour les Africains. C'est pourquoi M. Yi n'a pas souhaité se lancer dans une entreprise de ce type.

Selon lui, les entreprises privées chinoises qui investissent en Afrique font face à trois risques principaux. Le premier vient de l'envergure de l'entreprise : plus petite est la surface financière de l'entreprise et plus son risque d'échec est important. Le deuxième concerne l'environnement légal du pays, et en particulier sa politique d'indigénisation, qui cherche à encadrer fortement l'investissement et les bénéfices étrangers. Enfin, les activités sont toujours à la merci de la situation politique. D'autres problèmes peuvent venir s'ajouter à ces risques majeurs : la corruption, la faible productivité des employés, la concurrence d'autres entreprises chinoises...

Selon Yi Shutong, les entreprises privées sont plus souples, plus efficaces et ont une meilleure compréhension des risques et des bénéfices que les entreprises d'État. Mais il souhaite que les banques et le gouvernement chinois fournissent un peu plus de soutien à leur esprit d'initiative.

Zhang Xiya, cuivré par le soleil africain, travaille à la ferme depuis deux ans. Quand je lui ai demandé si la vie y est monotone et si sa famille restée en Chine lui manque, il m'a répondu que la nostalgie le tracassait au début, mais qu'au fil du temps, avec la pression du travail, il avait fini par s'habituer. Selon lui, le climat est très bon au Zimbabwe et les autochtones sont d'un contact facile. Surtout, c'est en considérant les résultats de son travail qu'il a appris à aimer de plus en plus cette terre.

 

La Chine au présent

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