CHINAHOY

1-April-2014

Bourse du carbone : les mécanismes du marché dans la lutte contre la pollution

 

En décembre 2013, une employée examine en direct les données boursières affichées au Centre de commerce du carbone de la China Beijing Environment Exchange (CBEEX).

 

LIU YI, membre de la rédaction

Le 28 novembre 2013, Yanshan Petrochemical a payé une centrale électrique un million de yuans pour un quota d'émissions de 20 000 tonnes de dioxyde de carbone. Cette transaction marquait le lancement officiel de la Bourse du carbone de Beijing et signalait que l'économie d'énergie et la réduction des émissions n'étaient plus un simple slogan. Ces objectifs sont devenus une question majeure pour les entreprises, au même titre que les bénéfices, les flux de trésorerie et l'investissement.

La Bourse du carbone de Beijing est l'un des sept marchés pilotes en Chine. En juin 2013, le premier marché d'échange de crédits carbone du pays a été officiellement ouvert à Shenzhen. Cette initiative a été suivie par Shanghai, Beijing, puis par la province du Guangdong et Tianjin au dernier trimestre de l'année 2013. Deux nouveaux marchés pilotes dans le Hubei et à Chongqing préparent intensivement leur ouverture prochaine. Les cinq marchés en fonctionnement ont établi des systèmes d'enregistrement et des plate-formes d'échange, tout en encourageant l'élaboration de règles commerciales et de règlements détaillés, notamment des lignes directrices en matière de comptabilité et de publication des émissions de gaz à effet de serre rejetées par les entreprises des principales industries du pays, ainsi qu'en matière de vérification par des organismes tiers. Ces marchés ont formé en Chine un système d'échange de droits d'émissions de carbone à partir de zéro.

« Nous atteindrons notre objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre grâce aux mécanismes du marché, en laissant ce marché jouer un rôle déterminant dans l'allocation des ressources. Cela permettra de réduire les coûts sociaux de l'économie d'énergie et de réduction des émissions de CO2, tout en stimulant l'innovation institutionnelle et la transformation du modèle de développement », a estimé Su Wei, directeur général du Bureau sur le changement climatique relevant de la Commission nationale du développement et de la réforme (CNDR), lors d'une interview accordée à La Chine au présent. « Cela est crucial pour l'avancement de la réforme globale et pour la construction d'institutions encourageant une civilisation écologique. »

Le pouvoir des marchés

Après avoir mené une enquête et fait ses calculs, l'entreprise Yanshan Petrochemical a jugé qu'elle pourrait obtenir un quota d'environ 3,91 millions de tonnes par an, un chiffre qui devrait baisser de 2 % par an entre 2013 et 2015, soit 70 000 à 80 000 tonnes d'émissions. Cependant, en tant qu'industrie lourde, Yanshan Petrochemical doit élargir et remplacer ses équipements pour augmenter sa production, ce qui fera certainement augmenter sa consommation d'énergie et ses émissions.

Sur le nouveau marché d'échange de crédits carbone, les politiques rigides de réduction d'émissions ont été transformées en un système axé sur le marché. Au sein de ce système, les entreprises ont deux options : soit payer pour obtenir de plus hauts quotas chaque année, soit introduire des technologies d'économie d'énergie pour réduire leur consommation.

Le premier choix implique des coûts de plus en plus élevés, tandis que le second appelle les sociétés à fermer leurs usines de production obsolètes et à moderniser leurs technologies, ce qui donne lieu à des dépenses, mais à long terme, ce choix pourrait aussi augmenter leur productivité et leurs avantages sociaux. Après avoir étudié le système d'échange de crédits carbone au cours des deux dernières années, Yanshan Petrochemical a pris l'initiative de chercher des « trous noirs » dans sa consommation d'énergie. Elle a utilisé la chaleur résiduelle à basse température, mieux tiré profit de la vapeur et appliqué des mesures, telles que l'innovation technologique et la construction de systèmes d'information, pour réduire fortement sa consommation énergétique.

« La protection de l'environnement ne dépend pas entièrement des subventions gouvernementales, des directives administratives ou des amendes, note Qian Guoqiang, directeur de la stratégie de Sino Carbon Innovation Investments. Nous devons mettre en place un mécanisme de marché. Seul le pouvoir constant du marché pourra fournir une solution fondamentale vers une meilleure conscience environnementale des entreprises. »

Dès 2005, lorsqu'il travaillait au ministère des Affaires étrangères, M. Qian a participé à des négociations internationales sur le changement climatique et la politique intérieure. Il a cofondé Sino Carbon en 2010, dans le but de promouvoir un développement à faibles émissions en Chine. En 2013, il a été élu membre du comité de surveillance de l'application conjointe de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique. Il a été témoin de l'ensemble du processus d'établissement des bourses du carbone en Chine au cours de la dernière décennie.

Il reconnaît avec franchise que certaines entreprises ne voient que le court terme et considèrent le marché du carbone comme un fardeau, à défaut de s'adapter activement à la nouvelle tendance et aux nouvelles règles. Or, la réduction des émissions est directement liée à l'efficacité de l'entreprise et à sa capacité d'innovation. « Si d'autres utilisent seulement trois unités de ressources pour produire un article et que vous en utilisez cinq, explique-t-il, en l'absence d'avantage concurrentiel, le marché vous éliminera. »

L'UE, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, le Japon et l'État de Californie ont déjà adopté le système de bourse du carbone. M. Qian estime que les émissions de CO2 donneront des données clés sur les produits dans le futur, et que lorsque les marchés étrangers fonctionneront selon un mécanisme relativement mature, ils pourront même ériger des barrières commerciales au nom des émissions de carbone.

Le fonctionnement du marché

Les plus de 490 entreprises inscrites à la Bourse du carbone de Beijing représentent environ 40 % du total des émissions de dioxyde de carbone dans la capitale. Conformément à la réglementation de la ville, si les émissions de CO2 directes et indirectes d'une entreprise dépassent 10 000 tonnes par an, celle-ci doit se conformer aux limites d'émissions fixées. Ces entreprises, qualifiées d'organisations réglementées, représentent le gros des échanges de crédits carbone. Les entreprises dont la consommation d'énergie dépasse 2 000 tonnes de charbon standard par an peuvent participer volontairement au marché et sont qualifiées d'organisations volontaires.

L'ensemble du processus de négociation sur les émissions de carbone comprend cinq étapes : les rapports de données sur les émissions, la vérification par un organisme tiers, l'allocation de quotas, la négociation et la mise en œuvre. Chaque année, l'entreprise doit déclarer ses données d'émissions de l'année précédente à la Commission municipale du développement et de la réforme de Beijing et se soumettre à une vérification indépendante réalisée par une organisation tierce. La Commission alloue alors un quota annuel d'émissions de CO2. Après avoir obtenu son quota enregistré sur un certificat électronique, la société peut acheter ou vendre des crédits d'émission sur le marché, et son quota est renouvelé chaque année.

« Notre bourse du carbone est responsable de l'étape commerciale », explique Wang Yang, directeur du Centre de commerce du carbone de la Centre de commerce du carbone de la China Beijing Environment Exchange (CBEEX). Dans le hall du CBEEX, des annonces indiquant une négociation réussie sont affichées à plusieurs reprises sur un écran géant. Les parties à la transaction, via un ordinateur équipé d'un système de plate-forme de négociation numérique, peuvent négocier directement et de manière pratique en entrant les prix d'achat et les quantités d'émissions.

Ce processus de négociation pratique est rendu possible par un système d'information précis, mais volumineux. Pour construire un marché du carbone, le plus important est d'avoir des informations fiables, précises et complètes sur les émissions de CO2. La CNDR a dit à La Chine au présent que la préparation nécessaire à l'ouverture des cinq bourses pilotes a pris plusieurs années. D'une part, il a fallu bien calculer le total des objectifs de limitation des gaz à effet de serre à atteindre d'ici 2015 ; d'autre part, un appel d'offres a été lancé pour sélectionner des organismes tiers indépendants pouvant effectuer des examens complets et approfondis sur les sociétés réglementées, et recueillir directement une grande quantité de données fiables. Les normes unifiées utilisées pour la collecte de données et le calcul des émissions permettent aux entreprises de faire confiance aux transactions de carbone, de sorte qu'elles acceptent plus facilement les statistiques.

Un autre élément important est l'allocation de quotas, qui n'a pas seulement un impact sur les coûts de production de l'entreprise, mais aussi sur le niveau du prix du carbone. Pour l'instant, il existe deux méthodes principales d'allocation de quotas utilisées à travers le monde : sur la base de facteurs de référence (benchmarking) ou sur celle des émissions antérieures (grandfathering). Les premiers sont attribués en fonction des émissions de référence d'une industrie, tandis que les seconds sont basés sur le niveau historique des émissions. Les cinq bourses pilotes ont adopté ces deux méthodes et font preuve d'une grande souplesse dans leurs activités.

Par exemple, Shanghai a adopté le benchmarking pour les entreprises des secteurs de l'électricité, de l'aviation, ainsi que pour les aéroports et les sociétés portuaires, et le grandfathering pour les travaux publics et les autres industries. Beijing s'est basée sur les émissions enregistrées entre 2009 et 2012 d'usines existantes, optant pour le benchmarking dans le cas de nouveaux projets. « Si une entreprise atteint de bons résultats dans la réduction de ses émissions, note Wang Yang, elle obtient un surplus dans son quota qu'elle peut vendre sur le marché et acquérir en échange du capital. » Lors du renouvellement annuel des quotas, si l'on constate qu'une entreprise a dépassé son quota sans acheter de permis d'émission, elle sera probablement condamnée à une amende trois à cinq fois plus élevée que le prix moyen sur le marché du carbone.

Au cours des quatre derniers mois, M. Wang a découvert que les entreprises les plus dynamiques sur le marché sont les organisations volontaires, qui bénéficient de la fluctuation des prix. Qian Guoqiang estime que la bourse du carbone est de nature financière, et qu'une spéculation modérée est normale à condition que les contrôles fonctionnent efficacement. « L'un des avantages de la spéculation est qu'elle peut injecter de grandes quantités d'argent sur le marché et réduire les risques en les répartissant à l'ensemble des acteurs », explique-t-il. Si les investisseurs et les entreprises peuvent gagner de l'argent sur le marché du carbone, ils iront de l'avant. C'est l'environnement que la bourse du carbone vise à créer. »

Vers un nouveau marché national du carbone

Actuellement, les cinq bourses pilotes fonctionnent de manière indépendante, avec leurs propres systèmes d'enregistrement et plate-formes de négociation. Toutefois, pour permettre aux mécanismes du marché de jouer un plus grand rôle, il faudra sortir de ces systèmes fermés et établir un marché national unifié et ouvert. Su Wei a déclaré à La Chine au présent que le gouvernement étudie les expériences des sept marchés pilotes, afin d'établir directement un marché national durant le 13e plan quinquennal (2016-2020).

Pour des raisons politiques et techniques, il est plus pratique de mettre en œuvre directement un nouveau marché national que de promouvoir le modèle de l'une des bourses pilotes ou d'augmenter leur nombre. Les sept marchés pilotes affichent différentes caractéristiques régionales : Shanghai est un centre financier ; le Guangdong et Shenzhen sont des régions industrialisées ; tandis que le Hubei et Chongqing sont moins développés. En raison des différents niveau économique, répartition industrielle et taille de leurs entreprises, ces marchés pilotes ont dû pleinement tenir compte de leurs caractéristiques spécifiques avant de commencer leurs activités. Ils ont prouvé leur capacité d'innovation et de flexibilité lors de l'établissement de mécanismes de négociation, de règles et de systèmes comptables, gage d'expériences utiles mais également preuve des nombreuses différences que présentent leurs systèmes.

Prenons pour exemple le seuil des entreprises réglementées. Shenzhen a fixé un seuil de 5 000 tonnes d'émissions de carbone par an, contre 10 000 tonnes à Beijing, tandis que Shanghai et le Guang-dong ont d'abord sélectionné plusieurs industries avant d'établir leurs normes. Les règles d'échange diffèrent également dans les détails. À Shenzhen et Tianjin, après vérification, les individus sont autorisés à participer aux échanges, tandis que dans le Guangdong et à Shanghai, seules les entreprises réglementées peuvent y prendre part. En outre, à Beijing et à Tianjin, en plus du commerce en ligne, la négociation et les transactions hors ligne sont autorisées.

Par conséquent, selon Su Wei, il sera difficile d'interconnecter les différents marchés à court terme, en raison des problèmes politiques et technologiques complexes que cela poserait. En outre, il est inutile d'accroître le nombre de marchés pilotes, car cela créerait davantage de petits marchés indépendants, entraînant un gaspillage de ressources.

La CNDR a invité des experts à déterminer les objectifs d'ensemble des contrôles d'échange de carbone en Chine, et a publié des rapports comptables et des lignes directrices pour les industries les plus polluantes. Elle prévoit de renforcer la collecte des données de base et de mettre en œuvre un système de déclaration des émissions de gaz à effet de serre par les principales entreprises du pays, afin de confirmer la portée des entreprises réglementées, avant de formuler un plan d'allocation de quotas adaptés. En outre, la CNDR mettra en place un système unifié d'enregistrement et un mécanisme de vérification par une organisation tierce partie dans l'ensemble du pays, pour établir des règles de supervision et déterminer les meilleures méthodes de prévention des risques. La Commission évalue actuellement la faisabilité des contrats à terme de carbone et réfléchit à la question du développement durable et sain du marché.

« Un grand marché unifié donnera une nouvelle vitalité à la négociation des crédits carbone », affirme Wang Yang. Appliquer les nouvelles normes ne posera pas de problème. Beijing s'adaptera mieux que d'autres régions, car nous avons accumulé plusieurs années d'expérience. » En janvier 2014, le CBEEX, en collaboration avec les organismes d'échange de carbone de 15 villes et provinces, a lancé l'Alliance de coopération des organisations d'échange environnemental de Chine, afin de renforcer les échanges et la coopération entre les marchés. Le commerce du carbone représente un vaste marché, mais surtout un nouveau marché. La pratique et les expériences cumulées sont indispensables à son sain développement.

 

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