CHINAHOY

1-April-2014

Les jeux de société : jeux d'extérieur en Chine

 

À Beijing, dans les parcs, des endroits sont dédiés aux jeux de société.

 

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

Chaque jour, quand je sors du travail, je les vois : ils sont toujours là, fidèles au poste, défiant les aléas météorologiques. Des hommes d'une cinquantaine d'années, debout autour d'une table, leurs yeux tous rivés sur la même cible, là où tout se joue. Je parle bien sûr des passionnés d'échecs chinois, qui aléatoirement se réunissent et passent des heures ensemble à réfléchir à la stratégie qui les mènera vers la victoire.

Simple occupation durant les week-ends pluvieux en France, les jeux de société semblent présents au quotidien en Chine. Dans ce pays, il ne s'agit pas d'une activité monotone qui prend place entre quatre murs : les amateurs y jouent souvent en plein air, dès que perce un rayon de soleil.

« Les Français considèrent encore que le jeu de société est réservé aux enfants, et en viennent à développer une fois adultes une sorte de honte inconsciente à montrer qu'ils aiment jouer », analyse Manuel Rozoy, ludothécaire et responsable du développement culturel au Centre national du Jeu. Il semblerait que s'observe en Chine le phénomène inverse : les plus férus sont de « grands enfants » décomplexés, qui pour s'occuper à l'âge de la retraite, ont trouvé un passe-temps entretenant la réflexion et permettant de faire des rencontres.

Au cours d'une balade entre amies le long du lac Houhai, par un bel après-midi de printemps, nous sommes parties à la découverte des jeux chinois les plus populaires dans les rues et parcs de Beijing.

Les échecs chinois (ou xiangqi)

Ces jeux sont pour la plupart très anciens. Les échecs chinois existaient déjà à l'époque des Royaumes Combattants (475-221 av. J.-C.). Selon la théorie la plus courante, ils auraient été inventés en Inde et possèderaient des origines communes avec les échecs occidentaux.

Ces deux versions sont en effet très proches : sur un échiquier, 2 joueurs s'affrontent chacun muni de 16 pièces de catégories différentes, qui se caractérisent par leur mode de déplacement propre. L'objectif : « abattre » le roi (ou le général) de l'équipe adverse. Mais des différences s'observent au niveau du matériel. Les figurines sculptées noires et blanches deviennent dans les échecs chinois des disques en bois gravés de caractères noirs et rouges. Le damier est en outre plus complexe : une « rivière » sépare les deux camps, dans chacun desquels se trouve un « palais » (un carré central où se recoupent lignes horizontales, verticales et diagonales, dans lequel sont confinés le général et les gardes). À savoir que les pièces sont placées aux points d'intersection des lignes, et non sur les cases formées.

Ce jeu de société, dit de stratégie combinatoire à information parfaite, semble le plus apprécié de la population chinoise, malgré son apparente difficulté. Vous en détailler les règles dans cet article serait, autant pour vous que pour moi, un calvaire fastidieux... Pourtant, Wen Xiaofeng, un Chinois de 35 ans originaire du Gansu que nous avons interrogé alors qu'il regardait une partie, nous soutient qu'un enfant peut en assimiler les règles en quelques minutes. Une révélation accablante pour moi qui suis toujours aussi perplexe après avoir suivi des yeux plusieurs parties de ce jeu aux 10 000 combinaisons… Il modère toutefois ses propos : « Il faut néanmoins des années pour atteindre un haut niveau ».

Wen Xiaofeng aime particulièrement ce jeu ancré dans la tradition chinoise, notamment parce qu'il est très tactique, faisant clairement référence aux stratégies de guerre. Cependant, il a du mal à trouver du temps pour y jouer.

Wang Dong, un jeune homme de 26 ans originaire du Shandong, a lui décidé de s'y consacrer au maximum, en dépit de son travail prenant dans les médias. Dès qu'il a un peu de temps libre, il défie des maîtres d'échecs chinois sur Internet. Après vingt années d'entraînement, il a déjà acquis un excellent niveau qui lui a permis de remporter quelques coupes dans les tournois provinciaux. Mais il précise modestement : « J'ai participé au championnat national organisé une fois par an à Beijing, mais j'ai fini parmi les derniers. » Bien qu'il se juge désormais trop âgé pour obtenir un niveau professionnel, il ne renonce pas à ce loisir qui fait appel à l'intelligence, l'adaptation et l'anticipation, et compte bien retenter sa chance à la prochaine compétition nationale.

Le jeu de go (ou weiqi)

Bien qu'il préfère sans aucun doute les échecs chinois, Wang Dong nous indique qu'il joue aussi de temps en temps au jeu de go, bien plus simple, dans ses règles comme dans son matériel : un tablier de 19x19 lignes sur lequel évoluent des pions noirs et des pions blancs ; chaque équipe a pour mission d'entourer complètement son adversaire, de sorte à dérober le territoire de ce dernier.

Pour mettre en valeur son ancienneté, certains livres attribuent l'invention de ce jeu à l'empereur légendaire Yao et à son conseiller Shun, qui vécurent il y a plus de trois millénaires. Plus sérieusement, les premières références à ce jeu remontent à la période des Printemps et Automnes (770-476 av. J.-C.). Il se popularise sous la dynastie des Han, en particulier à la cour, au point d'être inscrit parmi les « quatre arts du lettré » (aux côtés de la peinture, de la musique et de la calligraphie).

Certains chercheurs voient, dans ce jeu autrefois réservé à l'élite, l'illustration de la pensée chinoise : les pions noirs et les pions blancs, tel le yin et le yang, s'opposent, communiquent et se complètent. Hautement stratégique, il fait également référence à L'Art de la Guerre de Sun Zi (544-496 av. J.-C.), qui proclamait que la plus prestigieuse victoire est celle que l'on gagne sans combattre. Ainsi, à la différence des échecs chinois, on ne tue l'ennemi directement : on le cerne avec prudence.

Liu Peng, un jeune de 25 ans venant du Shandong, contemple attentivement la partie qui se trame entre deux joueurs, jusqu'à ce que nous venions le perturber. Il nous explique qu'il ne joue pas souvent au jeu de go, qu'il préfère jouer sur son portable au wuziqi (un jeu utilisant le même tablier, mais dans lequel un joueur doit réussir à aligner 5 pions de même couleur, à la manière du Morpion). D'après lui, les jeunes ne s'adonnent pas trop à ces jeux de sociétés. Ils préfèrent, pour se détendre, aller au restaurant, au karaoké, au bar – où certains jouent d'ailleurs au jeu des dés (équivalent du Poker menteur) – ou encore dans un parc pour courir.

Les jeux de cartes

Seules les cartes semblent susciter l'enthousiasme des jeunes. Bien que les premières cartes à jouer aient vu le jour sous la dynastie des Tang (618-907) et qu'une variété de sets chinois différents existent suivant les jeux (cartes domino, cartes monétaires, cartes d'échecs), ce sont les cartes à jouer occidentales qui sont aujourd'hui couramment utilisées.

En chinois, jouer aux cartes se dit dapai, soit littéralement « frapper les cartes ». Cette expression prend tout son sens quand on jette un œil à une partie : les Chinois ne posent pas délicatement leurs cartes sur la table, mais s'amusent à les faire claquer contre celle-ci, comme si ce rituel allait leur porter bonheur. Autre anecdote qui m'a surprise : leur manière de « distribuer ». Distribuer entre guillemets, car en réalité, personne n'est investi de cette tâche : chacun se sert à tour de rôle dans une sorte de pioche, un peu comme des amis qui se partageraient une fondue chinoise (huoguo).

Quand nous leur demandons à quel jeu ils s'activent, les participants répondent « au poker ». Visiblement, c'est un poker version chinoise, car les règles s'apparentent plutôt au jeu du Président, dont le but consiste à se débarrasser le premier de ses cartes, en posant des simples, des doubles, des triples (voire des carrés) ou des suites.

Yan Li observe ce spectacle un peu en retrait. Cette Pékinoise de 50 ans sait jouer à ce jeu de cartes, mais préfère regarder qu'y prendre part. Les jeux de sociétés, traditionnellement, attirent la gent masculine. Les hommes de la troisième génération jouent l'après-midi, pendant que les femmes restent au foyer pour se charger des tâches ménagères et sûrement aussi pour fuir les rayons du soleil (la blancheur de la peau compte parmi les critères de beauté en Chine). Les « mamies chinoises », à l'image de Yan Li, préfèrent chanter et danser le soir sur les places publiques entre amies. « Chacun ses goûts », conclut-elle.

Le mah-jong (ou majiang)

À Houhai, nous ne sommes malheureusement pas tombées sur une tuile du mah-jong. Mais impossible de faire l'impasse sur le « jeu national de Chine » ! Mêlant calcul et hasard, ce jeu se compose de 144 tuiles (numérales et honneurs). Chacun des quatre joueurs en possède 13 dans sa main. À chaque tour, ils piochent une tuile et en jettent une autre, à dessein de rassembler des tuiles identiques ou consécutives trois par trois, ainsi qu'une paire. Plusieurs manches s'enchaînent, et le jeu peut vite devenir interminable… D'ailleurs, les familles déploient souvent leur table de mah-jong à l'occasion du Nouvel An chinois, où la coutume veut que l'on aille se coucher le plus tard possible.

De nombreuses variantes existent suivant les régions et les villes chinoises. Il est de notoriété publique que ce jeu est dans certains cas associé à l'argent, malgré l'interdiction de cette pratique par l'État. D'après notre jeune Liu Peng, le mah-jong est éminemment populaire dans la province du Sichuan. D'ailleurs, c'est dans cette province, dans le village de Hongkou plus précisément, que s'est tenue en septembre dernier une compétition de mah-jong réunissant simultanément 2 380 joueurs à 595 tables, un évènement recensé dans le Guinness des records.

Perspectives de ces jeux traditionnels chinois

Une version informatique du mah-jong, appelée le « mah-jong solitaire » (car il se joue tout seul), a longtemps été proposée par défaut sur les ordinateurs Windows.

Et l'avenir semble se trouver sur les écrans ! Bien que se développent en Chine des clubs et des cafés-jeux, ce sont les applications qui gagnent le cœur des jeunes Chinois. D'après les commentaires que j'ai pu entendre au travers de mes interviews, la jeune génération ne rejette pas ces jeux traditionnels comme on se débarrasserait d'antiquités, mais ne trouve simplement pas le temps de se réunir entre amis pour quelques parties, soumis à la pression quotidienne liée à la société moderne. L'essor d'Internet et des multimédias leur permet en revanche de jouer n'importe où et à n'importe quel moment, contre des robots ou d'autres internautes.

Cependant, un certain lien social est brisé : d'une, le joueur s'individualise car il est difficile de se faire de vrais amis sur la toile ; de deux, jouer via Internet ne recrée pas la bonne ambiance ou le sérieux que communiquent les joueurs des rues, au point d'attirer tout un groupe de badauds. Car comme nous avons pu l'induire, ces jeux de société sont des jeux EN société. Autour des joueurs, s'entassent des curieux, qui pour la plupart viennent fournir des conseils avisés ou apprendre par l'observation.

Les télécommunications modernes et le phénomène plus général de mondialisation ont permis en outre à ces jeux chinois de traverser les frontières. Le mah-jong, par exemple, connaît une petite notoriété à l'étranger. Le premier championnat européen de mah-jong s'est tenu en 2005 aux Pays-Bas.

Mais c'est surtout le jeu de go qui prend de l'ampleur en Europe, et notamment en France, depuis les années 70, porté à la fois par les influences chinoise, coréenne et japonaise. Une Fédération française de go, qui propose des adresses de clubs, des formations, ainsi qu'une revue, semble notamment très active. De plus, depuis 42 ans, est organisé annuellement autour du go le tournoi de Paris, une compétition dont sont déjà sortis vainqueurs les champions tricolores Frédéric Donzet, Thomas Debarre et Fan Hui (originaire de Xi'an, mais aujourd'hui naturalisé français).

Toutefois, difficile encore d'imaginer des Occidentaux jouant à des jeux traditionnels chinois dans les rues ou parcs de leur pays d'origine...

 

La Chine au présent

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