CHINAHOY

1-April-2014

Ce jour où j'ai marié des Chinois

 

La voiture des futurs mariés arrive sur le lieu de la cérémonie.

 

LAURENT CASSAR, membre de la rédaction

Après avoir beaucoup entendu parler des mariages chinois, j'étais curieux d'assister à une cérémonie. J'étais loin de me douter que j'allais en être partie prenante avec un rôle pour le moins inattendu…

Première semaine du mois d'août 2013. Le temps est radieux et la température dépasse les 30° C. Je profite de mes longues vacances de professeur d'université en Chine, paisiblement allongé au bord de la mer, sur la plage de Yantai…C'est alors que je reçois un coup de téléphone un peu particulier d'un des dirigeants de mon université. Il me dit qu'on a besoin de moi pour un mariage qui doit se tenir le week-end prochain. Besoin de moi ? Mais pour quoi faire ? Et qui sont ces gens ? Il me répond de façon assez floue : « Ne t'inquiète pas, tu dois seulement être présent et tu pourras participer au repas… C'est d'accord ? » Après lui avoir fait confirmer que je n'aurais rien de spécial à faire, j'accepte, curieux d'assister à un mariage chinois.

Une proposition inattendue

Habitant juste en face d'un restaurant où se déroulent régulièrement des mariages, j'ai pu voir de ma fenêtre une cinquantaine de « danses des lions sauteurs » et de feux d'artifices en dix mois, mais je n'avais aucune idée de ce qui se passait à l'intérieur de la salle. Est-ce que les gens dansent ? Boivent-ils beaucoup d'alcool ? Y-a-t-il des chants collectifs ? Je le saurai très bientôt. La veille du mariage, je reçois un coup de fil d'un autre membre de l'université, qui me dit qu'il m'emmènera au mariage demain à 10h45 et… que comme les mariés ont étudié un an aux États-Unis, ils veulent que je les marie en anglais ! Moi, marier un couple ?! En anglais en plus ?! « Ne t'inquiète pas, ça prendra juste deux minutes, et puis aucun invité ne comprendra l'anglais », me répond-t-il pour me détendre. Le soir même, étant également DJ dans un pub de Yantai, je demande conseil à ma patronne sur la meilleure façon de marier des couples. « Ils veulent un mariage religieux ou pas ? », me demande-t-elle. Je réponds que je n'en ai aucune idée ! Elle fait des recherches sur Internet et m'écrit deux discours : un pour marier les gens au nom de la loi (mariage civil) et un autre pour marier les gens au nom de Dieu (mariage religieux). Elle me dit qu'en lisant un de ces textes, je devrais m'en sortir. Plus tard, mes amis m'appellent pour aller danser. Je leur réponds que je ne peux pas me coucher trop tard car je dois marier des gens demain midi. « Quoi ?! Mais qu'est-ce que tu racontes ?! » me répondent-ils. Je leur dis que je leur expliquerai demain…

Samedi 10 août, 10h45. J'attends la personne qui doit m'emmener au mariage devant l'entrée de l'université. Il fait déjà très chaud et je me mets à l'ombre pour ne pas transpirer. Il m'a dit que je n'avais pas à bien m'habiller : jeans et t-shirt. Je suis en jeans avec des baskets noires, mais j'ai mis une chemise. C'est un mariage quand même… Mon contact arrive avec 20 minutes en retard. Une fois dans la voiture, il m'annonce autre chose : « Il faut que tu prépares une petite introduction, peut-être quelque chose de drôle, pour mettre les gens à l'aise. » Et je n'ai que 15 minutes de trajet pour trouver quelque chose ! Heureusement qu'il ajoute : « Tu n'es pas obligé de parler chinois… anglais ou français, ou un mélange des trois, peut-être… Oui, un mélange des trois, c'est bien, je crois ! » J'ai beau réfléchir, je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir raconter à ces gens que je ne connais absolument pas…

Nous arrivons sur place. Le mariage se tient dans la salle de réception d'un hôtel situé en bord de mer. À peine entré dans le hall, je sens le stress monter. Je suis clairement « l'intrus » de la cérémonie. Personne ne me connaît et tout le monde me regarde. En apprenant mon nom, le personnel fait appeler l'organisatrice du mariage qui arrive aussitôt et me fait mettre une broche à laquelle sont accrochées une rose et une bande rouge avec l'inscription « témoin de mariage » en chinois. Si j'avais su, je me serais mieux habillé… Je sors ensuite ma feuille avec les deux textes « pour marier des gens » et demande lequel est le plus approprié. On me demande quel type de mariage on voit le plus souvent dans les films américains. Je leur réponds que c'est le mariage religieux. « Alors, tu vas faire un mariage religieux ! » Si j'avais su que j'entendrais cette phrase un jour dans ma vie… Je fais tout de même remarquer que je ne ressemble pas du tout à un prêtre, je n'en ai ni l'habit ni la Bible. « Ah, une Bible, bonne idée, est-ce qu'il y a une Bible dans l'hôtel ? » demande alors l'organisatrice. Heureusement, personne n'en trouva…

Les rites du mariage traditionnel

11h30, le mariage commence avec les traditionnels pétards et feux d'artifices. Pendant ce temps-là, les mariés et leurs familles arrivent en convoi, plusieurs BMW rouges de location se suivant. Puis l'orchestre se met à jouer, tambours et cymbales, de part et d'autre de l'allée menant à l'entrée de l'hôtel. Précédés par deux lions (enfin, des hommes portant des déguisements de « lions mystiques »), un lion rouge (qui représente l'homme) et un lion jaune (représentant la femme), les futurs mariés font leur apparition et commencent à marcher au milieu de l'orchestre. À mi-chemin, le couple s'immobilise. C'est alors que les « lions sauteurs » commencent leur chorégraphie. Il faut deux hommes pour constituer un « lion » : un pour la partie avant et l'autre pour la partie arrière du corps. Tout d'abord les lions se redressent, un des deux hommes sautant sur les épaules de l'autre. Les deux bêtes s'approchent ensuite l'une de l'autre avant de mimer un baiser, bouche contre bouche. Pendant ce temps-là, des enfants lancent des bouts de papier rouges en forme de cœur sur le couple qui reste stoïque. Puis les deux lions se mettent à tourner sur eux-mêmes, face à face, la personne se trouvant sur les épaules de l'autre se jetant en arrière, couchée dans le vide à 90°, retenue par les jambes par son acolyte du bas. La figure est périlleuse et les exécutants sont bien entraînés. Pour finir, l'homme du haut se met debout sur les épaules de son collègue et les deux lions se mettent tête contre tête, formant une arche sous laquelle les futurs mariés passent avant de prendre diverses photos puis de rentrer dans le bâtiment.

11h50. Le stress monte encore d'un cran quand j'arrive dans la salle de mariage, après être passé par un hall où une centaine de cigarettes sont posées dans de petites assiettes pour les invités. La salle est à dominante rouge : les tables sont couvertes de nappes rouges et les fauteuils sont également rouges, tout comme les serviettes. Au fond, il y a une scène, entre un écran géant et une énorme sono, entièrement décorée de tissus argentés et violets. Le tout est d'un très bon goût, si l'on excepte les grandes bouteilles de Sprite posées sur chaque table et les gros cartons de bières déposés à intervalle régulier aux pieds des fauteuils. Je demande le nom des mariés : Cao Jianting et Cai Yang. Je demande surtout comment prononcer leurs noms : le chinois étant une langue tonale, un mot mal prononcé peut prendre un tout autre sens. On me demande ma profession : « J'étais professeur de français jusqu'au mois dernier, mais je vais travailler à Beijing pour La Chine au présent dans deux mois. Maintenant je suis seulement DJ. » On me répond : « On va te présenter comme un grand journaliste et DJ de Beijing ! » « Mais c'est faux… » « Mei wenti, mei wenti (c'est pas grave, pas de problèmes, en chinois)… »

Midi. La cérémonie débute. Un présentateur muni d'un micro anime le mariage à la manière d'une émission télévisée de divertissement. On me dit de me tenir prêt, qu'on peut m'appeler sur scène à tout moment. Le présentateur présente les futurs mariés, ainsi que leurs parents qui arrivent sur scène accompagnés de musiques jurant avec le décor. Une amie ayant assisté à un mariage chinois avant moi m'avait raconté qu'elles avaient vu les parents de la mariée arriver sur scène au son du générique de La Guerre des étoiles. Je n'eus pas cette « chance »… Peu après, mon accompagnateur me dit d'aller me placer sous un genre de baldaquin recouvert de rideaux blancs et de roses blanches en plastique, car on va bientôt m'appeler. Je suis sur un tapis en moquette blanche avec des spots braqués sur moi, séparé de la scène par un passage un peu surélevé traversant la salle entre les tables des invités. Je stresse…

L'habit ne fait pas le prêtre

« Et maintenant, venu de Beijing, applaudissez le grand journaliste et DJ, Laurent Cassar ! » dit le présentateur au micro. Comprenant très mal le chinois, mon accompagnateur me fait de grands gestes signifiant que je dois aller sur scène. Je marche alors jusqu'à la scène, aveuglé par les projecteurs, sous les applaudissements des invités. Le présentateur me donne son micro ainsi qu'un porte-documents rouge dans lequel se trouve le texte à lire. Je me retourne vers la foule et dit « dajia hao ! » (bonjour tout le monde, en chinois). On m'applaudit encore. Je me présente alors brièvement en français sous les regards étonnés des invités, puis je passe à l'anglais (avec mon fort accent français), expliquant que comme les futurs mariés ont étudié un an aux États-Unis, je vais les marier en anglais. Je commence à lire mon texte en regardant alternativement le public et le couple se trouvant à ma gauche : « Nous sommes réunis ici aujourd'hui, au nom de Dieu, pour célébrer le mariage de… etc… » Je ne sais pas à qui m'adresser en premier. J'opte pour l'homme, en improvisant mon laïus : « Cao Jianting, voulez-vous prendre pour épouse cette charmante demoiselle, Cai Yang, et l'aimer et la chérir toute votre vie durant ? » « Yes ! ». Mince, il a répondu trop vite, je n'ai pas eu le temps de lui passer le micro… Je place alors le micro devant lui et il répète « yes ! », submergé par l'émotion. En voyant les yeux des mariés remplis de larmes, je me rends compte qu'ils sont en train de vivre le moment le plus beau de leur vie. Je stresse encore davantage. « Cai Yang, voulez-vous prendre pour époux ce charmant jeune homme, Cao Jianting, et l'aimer pour le restant de vos jours ? » « Yes ! »« Par les pouvoirs qui me sont conférés, je vous déclare mari et femme ! » Ça y est, c'est fini ! Enfin… on dirait que les mariés attendent encore autre chose… Ah oui, j'oubliais le principal ! « Vous pouvez embrasser la mariée ! » En regardant ces deux jeunes s'embrasser sous les applaudissements des invités, j'ai moi-même les larmes aux yeux. Je rends le micro au présentateur en félicitant encore les mariés, puis je vais m'asseoir à la table numéro 6 pour le repas.

Mais ce n'est pas un simple repas car, sur scène, le spectacle continue ! Avec différentes musiques, les mariés dévoilent au public certains caractères chinois de leur choix : le caractère 家 (famille) apparaît sur un tableau qui était auparavant recouvert de sable, et 一生一世 (pour la vie) apparaît au fur et à mesure que les mariés versent une bouteille de vin dans un cadre transparent formant les contours des caractères. Les parents des mariés sont à nouveau appelés sur scène, et le mariage prend une tournure mélodramatique avec une chanson douce aux paroles vantant l'amour des parents. Puis le présentateur, à moitié en larmes, invite les mariés à prendre leurs parents ainsi que leurs beaux-parents dans les bras en commentant : « Je vous remercie, merci papa, merci maman, merci du fond du cœur… » Je me demande si ce présentateur se force à pleurer ou non, et s'il le fait à chaque mariage…

Après ceci, les choses sérieuses commencent. Du moins pour les invités. Il y a beaucoup de plats différents posés sur les tables, et les femmes assises à côté de moi remplissent constamment mon assiette de nourriture, me donnant des mets de choix comme de gros concombres de mer (la spécialité locale) baignant dans une sauce au caramel. Pas évident de manger ça avec des baguettes… L'homme assis à ma gauche s'occupe quant à lui de remplir à ras bord mon verre de bière et s'avère aussi très doué pour me le faire vider. Pendant ce temps-là, les spectacles se succèdent sur scène : chansons folkloriques, violoncelliste, opéra du Shandong… même l'organisatrice du mariage poussera la chansonnette d'une voix suraiguë à faire éclater des verres. Les invités des différentes tables communiquent assez peu entre eux, mais il est de bon ton de se lever et d'aller trinquer avec toutes les tables à un moment du repas. Je me plie volontiers à la tradition et enchaîne les toasts et les verres de bière, de vin ou de baijiu (alcool blanc chinois). En revenant à ma table, alors que la fête bat son plein, mon accompagnateur me lance : « Allez ! On rentre ! » Je lui réponds qu'on pourrait rester encore un peu, les plats continuant d'affluer sur les tables, mais il me dit qu'il doit rentrer. Après tout, il ne connaît personne à ce mariage, lui non plus ! Je vais dire « au revoir » au jeune couple en leur souhaitant sincèrement tout le bonheur du monde. Je les ai mariés, ils auront donc toujours une place spéciale dans mon cœur. Ainsi s'acheva ce moment si particulier où j'ai marié des Chinois…

 

La Chine au présent

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