CHINAHOY

30-October-2015

Yang Jie, l’imam dans le vent

 

Yang Jie.

 

ZHANG HUA, membre de la rédaction

Il détonne un peu parmi les autres imams chinois : il est le premier d'entre eux à se déplacer en moto, mais aussi à se lancer sur le marché boursier.

L'imam Yang Jie navigue sur son iPhone4 pour compter ses suiveurs sur WeChat, l'équivalent chinois de Twitter. « J'ai plus de 700 followers. J'ai créé plusieurs groupes. Chaque matin, ma première tâche est de répondre aux questions des fidèles, ou de leur expliquer la politique du gouvernement vis à vis de la religion », explique M. Yang.

Il détonne un peu parmi les autres imams chinois : il est le premier d'entre eux à se déplacer en moto, mais aussi à se lancer sur le marché boursier, à posséder une voiture, à utiliser l'internet en 3G, le premier à se livrer au micro-blog ... Toutes ces premières ont valu à Yang Jie le surnom d'« imam dans le vent ».

« Les musulmans peuvent profiter de la vie moderne »

Yang Jie, 48 ans, est grand, et derrière ses lunettes à la mode, il a l'air d'un vrai gentleman. Il est l'imam de la mosquée du village de Sangonghu dans le district de Qutubi, au Xinjiang.

La mosquée, de taille modeste, possède une cour où poussent de grands arbres feuillus. L'ambiance est calme. Elle ressemble à beaucoup d'autres mosquées du Xinjiang. Ce qui la différencie, c'est le bureau installé dans une des bâtisses de plain-pied, agencé selon les canons du confort moderne. Téléviseur, sofa, table de thé... mais aussi quelques équipements sportifs comme un extenseur et des haltères. Dans la cour, on voit une voiture fabriquée par une joint-venture sino-sud-coréenne. Du premier coup d'œil, on se dit que cet imam n'est pas comme les autres.

« J'ai changé de voiture quatre fois », nous confie M. Yang, en pointant du doigt la Hyundai blanche. Un train de vie qui n'était pas du goût de tous les croyants au début.

En 1998, il s'équipa d'un premier téléphone portable, ce qui était très rare à l'époque. Beaucoup de gens avouèrent leur surprise, trouvant que cela ne seyait pas à la dignité d'un imam. M. Yang s'en moquait : « Le portable est l'outil de la communication moderne, c'est comme une troisième oreille pour l'homme. Sans lui, on est isolé du monde. » Il encourageait ses concitoyens à passer eux aussi à l'ère mobile.

En juillet 2006, M. Yang se lança dans la spéculation boursière. Un bon musulman peut-il s'adonner au business ? M. Yang s'en expliqua avec patience : « L'islam autorise les affaires entre partenaires. La participation au marché boursier est un échange entre partenaires. D'après lui, les canons islamiques encouragent le commerce, à condition qu'il soit légal et fair play.

Ses opérations en bourse ont valu à M. Yang des gains d'environ 40 000 yuans. C'est avec cet argent qu'il s'est acheté sa première voiture. « Maintenant, je suis un des pontes de notre village », dit-il avec fierté.

D'un esprit ouvert et moderne, M. Yang illustre l'islam au travers de son style de vie moderne et encourage les croyants à trouver un rapport nouveau entre la vertu religieuse et le travail en société.

Selon M. Yang, l'imam est chargé de véhiculer la culture traditionnelle, mais il est aussi le pratiquant et le missionnaire de la culture moderne. « J'aime être précurseur et mener les autres musulmans vers une acceptation de la vie moderne. »

Du doute à l'acceptation

En 2011, Yang Jie s'est intéressé au programme national de santé reproductive. Sur sa recommandation, un point d'information et de prévention gynécologique et un centre de sensibilisation pour la prévention du sida ont été installés dans une pièce vacante jouxtant la cour de la mosquée. C'était le premier projet du genre dans la préfecture autonome de Changji. Une nouveauté qui a provoqué une vive réaction parmi les habitants, qui croyaient qu'un sujet lié au sexe n'avait rien à faire dans une mosquée. Les plus violents allèrent jusqu'à réclamer le remplacement de l'imam Yang Jie.

« Diffuser des connaissances utiles à la santé des musulmans, en quoi cela peut-il nuire à leur moralité ? » demandait-il. Dans le doute, il a maintenu fermement sa position, à savoir que l'islam encourage la science et s'oppose à l'erreur, à la superstition, à l'ignorance et à la violence. Il répétait aux croyants que les traditions musulmanes ne condamnent pas la culture moderne et que les musulmans respectueux des traditions peuvent également profiter des avantages de la vie moderne.

« Avant ce programme, les femmes de notre village manquaient de culture médicale. Elles ne connaissaient pas les mesures de prévention et lorsqu'elles tombaient malades, enfermées dans des idées anciennes, elles n'allaient pas consulter. La généralisation des examens gynécologiques a permis un meilleur dépistage et un traitement plus précoce des infections potentiellement graves », poursuit Yang Jie.

M. Yang a essayé de donner des cours aux croyants en combinant certaines pages liées à la santé reproductive dans le Coran et les recommandations saintes. Petit à petit, les femmes se sont enhardies à aller visiter la salle de sensibilisation. Sur le mur de la salle, des vers faciles à comprendre et des photos illustrant les questions liées à la santé génitale. Sur la table on trouve des magazines qui peuvent être empruntés.

Les estimations de l'administration du district de Qutubi suggèrent qu'en 2014, après quatre années d'efforts, le taux de diffusion des connaissances de base sur les maladies gynécologiques est passé de 35 à 95 % chez les femmes musulmanes, tandis que le taux de morbidité est tombé de 80 à 20 %, et le taux de traitement chez les femmes infectées, de 30 à 95 %.

Peu à peu, les personnes qui doutaient ont fini par se rallier à l'exemple de Yang Jie, d'abord en adoptant le portable, puis en achetant des actions ou une voiture.

Pas synonyme de pauvreté

Dans le cabinet de travail de Yang Jie, on voit un livre sur son bureau. Il s'agit d'un livre sur le développement de l'hôtellerie touristique, et il a visiblement vécu. Cela fait 13 ans que M. Yang assume ces fonctions d'imam à la mosquée du village. En dehors de ses activités religieuses, il explique aux fidèles la nécessité de s'enrichir, en combinant des préceptes du Coran concernant le commerce et des informations concrètes sur le marché.

Le district de Qutubi se trouve à 60 km d'Urumqi, capitale de la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Le mot « Qutubi » signifie en langue mongole « lieu de bon augure ». Cela fait longtemps que Yang Jie réfléchit sur la meilleure méthode pour développer ce village qui n'est ni loin ni près de la capitale.

En se renseignant sur les opportunités existant dans les environs, M. Yang a découvert un site de rafting qui aboutit près du village. Il a suggéré à des villageois d'ouvrir des restaurants pour attirer les touristes, leur offrant un grand nombre d'idées de promotion.

Au lieu d'attendre passivement les clients, il a encouragé les patrons d'établissement à se rendre sur le site touristique pour y faire la promotion de leur restaurant, offrir aux touristes des légumes venus de leur plantation. Il a également conseillé que chaque famille qui gère un restaurant se spécialise sur un plat particulier. Depuis, ces restaurants aux menus différenciés forment un tissu industriel local qui attire de plus en plus de clients. Ceux-ci sont favorablement impressionnés par la cuisine musulmane.

Grâce à son aide, six familles du village se sont lancées dans la restauration touristique, et elles sont récompensées par des gains considérables. Treize autres familles prévoient d'ouvrir bientôt des restaurants.

Suivant les recommandations de M. Yang, c'est son voisin qui a le premier ouvert un restaurant dans le village. Son revenu annuel dépasse 200 000 yuans, et c'est l'établissement le plus florissant du village.

« L'islam n'est pas synonyme de pauvreté », explique M. Yang. J'ai publié sur mon WeChat des informations sur les moyens de s'enrichir et sur les produits potentiellement intéressants. Ceux qui ont besoin de mon aide, je me tiens à leur disposition », conclut-il.

Écouter la radio et regarder la télé, telles sont deux autres activités quotidiennes pour M. Yang. Cela lui permet d'élargir son horizon et d'acquérir beaucoup d'informations, mais aussi des connaissances juridiques qu'il peut mettre à profit dans ses activités religieuses. C'est pourquoi on fait parfois appel à ses arbitrages pour régler un différend.

Le district de Qutubi rassemble 25 ethnies différentes, parmi lesquelles des Han, des Ouïghours et des Kazakhs. L'islam, le bouddhisme, le christianisme et le catholicisme coexistent. On compte 54 lieux de culte qui emploient un clergé de 67 personnes.

« Ici, les peuples de différentes ethnies vivent en harmonie, leur liberté de croyance est respectée et garantie », conclut Yang Jie, qui est actuellement vice-président du Comité du district de Qutubi de la Conférence consultative politique du peuple chinois et membre du Comité permanent de l'Association islamique du district. Aujourd'hui, de plus en plus de religieux trouvent comme lui le courage d'avancer avec leur temps.

 

 

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