CHINAHOY

30-October-2015

Kachgar : renouveau de la vieille ville

 

 
Les anciennes maisons en terrasses de Kachgar. (YU XIANGJUN) 

 

ZHANG HUA, membre de la rédaction

Aux premiers rayons du soleil, toute la vieille ville de Kachgar scintille et s'illumine. Rue Ariye, dans le bazar aux pots de fleurs, Rarip Ajim pousse la porte de sa maison et dépose sur ses étalages des pots de fleurs, des pots de terre cuite et des cruches à eau de toutes formes et de toutes tailles.

Âgé d'une trentaine d'années, Rarip Ajim est un représentant de la cinquième génération d'une famille de céramistes. Il y a seulement cinq ans de cela, il habitait comme sa famille et les autres habitants de la vieille ville dans des maisons aux murs en pisé obscures et délabrées, sans raccordement au gaz ou à l'eau courante.

Kachgar se trouve au sud-ouest du Xinjiang. C'est une ville importante qui garde depuis 2100 ans les frontières de l'Asie centrale. Les différentes sections de l'ancienne Route de la Soie se croisent ici dans le grand Ouest chinois. Si l'on surnomme le centre-ville historique de Kachgar « l'ancienne cité de mille ans », c'est parce que cela fait mille ans que les Karakhanides, une dynastie qui régna dans la région entre 840 et 1212, firent de cette ville leur capitale. Les plus anciens quartiers conservent cet aspect qui date d'avant le XVIIe siècle. C'est un cas unique en Chine de préservation d'un quartier historique dans le style de cet ancien royaume d'Asie centrale.

Rénovation sur mesure de la vieille ville

La ville de Kachgar s'est construite au fil des millénaires et manque cruellement d'infrastructures modernes. La plupart des bâtiments du centre sont âgés de cent, voire plusieurs centaines d'années, et leur structure combine terre, bois et brique. Les rues d'une largeur maximum de 6 mètres s'entrecroisent, les plus étroites n'atteignant pas 1,5 mètre de large. Des rues tellement surchargées qu'il manque l'espace pour y installer des canalisations. Un facteur aggravant est que Kachgar se situe dans une zone à fort risque sismique où les bâtiments vétustes représentent une menace.

En août 2010, la municipalité de Kachgar a lancé un plan sur cinq ans de rénovation de la vieille ville, soit 28 quartiers, 49 083 foyers ou 5,07 millions de m² de bâtiments anciens. Cette annonce a soulagé Rarip Ajim qui s'inquiétait de la sûreté de sa vieille maison, mais d'autres soucis sont venus l'assaillir : quelle forme va prendre la rénovation ? Le bazar traditionnel sera-t-il conservé ?

Abaybulla Yasen, responsable du bureau de quartier de la rue Ariye nous a assuré que le bazar des pot de fleurs serait le premier quartier à être rénové à titre expérimental. « Le remodelage s'applique à proposer des plans de reconstruction individuels afin de restaurer les vieux bâtiments tout en sauvegardant leur aspect traditionnel. Pendant les travaux, on accorde une grande attention à la préservation du style et de la structure des quartiers historiques. On fait attention à respecter autant que possible les mœurs et les coutumes, ainsi que les modes de vie et de travail. »

De fait, les projets de reconstruction et de rénovation de ces dizaines de milliers de foyers sont tous différents. Rarip Ajim nous a raconté son expérience. « Les plans de reconstruction ont été modifiés une dizaine de fois. » Lorsque l'architecte lui a présenté l'esquisse du plan, Rarip Ajim a trouvé que le salon était trop petit. « On ne pouvait y placer qu'un tapis de deux mètres sur trois, alors que les tapis vendus sur le marché font tous quatre à cinq mètres. Ils ont modifié le plan pour répondre à ma remarque. Ce n'est qu'après que je me sois déclaré satisfait de leur design en apposant mes empreintes digitales que les travaux ont pu commencer. »

Huit mois de travaux plus tard, sur l'emplacement de l'ancienne maison de Rarip Ajim, se dresse un immeuble flambant neuf de deux étages. Une maison à la façade jaune ornée de sculptures d'une grande finesse qui contient une dizaine de pièces : toilettes, salle de vente, salle de travail, chambres à coucher, salle à manger et une cour intérieure. À la sortie de sa cour, Rarip Ajim peut vendre sa poterie sur un grand espace agrémenté de marches. Ses inquiétudes du début se sont envolées.

Le jour où il a vu sa nouvelle maison, Rarip Ajim était si ému qu'il a pleuré. Il a eu une pensée pour son grand-père décédé : « S'il pouvait voir notre nouvelle maison, il danserait de joie ! »

 

Le bazar de la rue Ariye, on y trouve beaucoup de poteries. (XU XUN)

 

Le bazar : l'âme de Kachgar

À Kachgar, un proverbe dit « Il n'y a que le soleil et la lune qu'on ne peut pas acheter au bazar. » Les bazars sont nombreux dans la vieille ville, et on y trouve de tout : tissus, céréales et huile, tapis, chapeaux, ferronnerie, argenterie, épices, etc. Leur histoire remonte à plus de mille ans, et ils ont modelé la vieille ville comme les mains invisibles. Les bazars sont les meilleures plates-formes d'échange, de mélange et de transmission des cultures de l'islam, la Grèce ancienne et de Rome, de l'Inde et de l'Asie centrale. Les travaux de rénovation de la vieille ville ne concernent que son organisation urbaine. Les bazars sont préservés, et ce sont eux qui recèlent l'âme de la ville de Kachgar.

Après les travaux de reconstruction, la ville de Kachgar est classée site historique de classe 5A. Il attire de plus en plus de touristes et les affaires de Rarip Ajim marchent de mieux en mieux. Son revenu mensuel a triplé, voire même décuplé, puisqu'auparavant il gagnait seulement 1 000 yuans par mois. Les deux salles au rez-de-chaussée sont décorées en salle d'exposition de poterie pour les clients. Grâce à son sens développé du commerce, Rarip Ajim tient à proposer de la poterie traditionnelle et classique tout en lançant une série de pots vernissés de style moderne ornés de sculptures. Une de ses pièces s'est vendue récemment 7 000 yuans. « J'ai entendu dire que mon œuvre est désormais exposée dans le hall d'un hôtel », se rengorge le jeune homme.

Dans la rue Kumdarwaza, un autre bazar se spécialise dans le commerce des instruments de musique. Le magasin Asahan de Kachgar y présente une riche collection d'instruments de musique du Xinjiang et d'autres objets d'art : un rawap, un duttar et un naqqara. Au rez-de-chaussée, près de l'escalier, Kurbanjan Ablimit fabrique à la main, avec minutie, des instruments de musique. Il est l'héritier d'un art folklorique de la région autonome. Il joue au rawap la chanson Souvenir des compagnons d'armes, du film Visiteurs des montagnes de glace. La musique attire tout de suite les touristes qui l'entourent pour l'écouter.

« Notre famille fabrique et vend ici des instruments de musique depuis 200 ans ; je représente la sixième génération », explique Kurbanjan, un jeune Ouïghour sympathique habillé à la dernière mode. Âgé d'une vingtaine d'années, il maîtrise parfaitement la confection des instruments de musique des ethnies kazakhe, ouïghoure, kirghize et tadjike. Il possède sa propre interprétation du caractère de chaque instrument et de chaque type de musique qui s'y associe. « Avant de leur vendre un instrument de musique, je présente à mes clients l'histoire de quelques instruments, afin de leur donner une connaissance de base de cet instrument, mais aussi de notre culture. »

Par exemple, le tamboura est un instrument folklorique à cordes pincées de l'ethnie kazakhe. Ses deux cordes de soie ou d'acier peuvent vous guider pour découvrir la culture nomade de l'ethnie : le ruisseau qui murmure, l'oisillon qui piaille, le piétinement du troupeau de moutons ou le claquement des sabots du cheval.

Les instruments de Kurbanjan se vendent très bien. Il a des clients chinois, mais aussi allemands, kazakhs et mongols. Loin de se contenter de sa situation actuelle, Kurbanjan envisage d'ouvrir un magasin en ligne pour vendre sur les sites Taobao et Alibaba. « Par les moyens traditionnels, les clients ne peuvent acheter qu'en visitant ma boutique. Mais je ne peux pas assurer la livraison des instruments. »

Il projette aussi d'offrir gratuitement des cours de musique ouïghoure en ligne aux amateurs, grâce à des vidéos. Kurbanjan espère que, grâce à Internet, la culture ouïghoure pourra mieux se transmettre et se perpétuer.

La famille de Mamatrixat Abudulla partage les mêmes aspirations que celle de Kurbanjan. « Je suis de la quatrième génération qui fabrique le doppa (bonnet traditionnel) auquel je suis profondément attaché. Mon rêve est d'ouvrir un jour une salle d'exposition pareille à la sienne. Je voudrais permettre à plus de gens d'apprendre à connaître le doppa ouïghour. »

Sur les murs s'alignent des couvre-chefs ouïghours de tous types et de toutes couleurs. Les origines et la signification des ornements sont parfois indiquées à côté. « Tiens, ce sont des doppas de Khotan, une région où l'on produit des noix... les chapeaux ont une forme de noix. » Ces petits chapeaux, avec les explications de Mamatrixat Abudulla, prennent vie et se mettent à incarner l'histoire des différentes cultures des régions du Xinjiang.

Mamatrixat Abudulla a dépensé une centaine de milliers de yuans pour promouvoir et populariser la culture du doppa. Son fils Bakkaji Mamatrixat a commencé à participer à ce travail tout récemment. Il trace des plans pour le futur : « Je pense que dans l'avenir, on pourra recourir à WeChat et à Internet pour mieux diffuser notre culture. »

Selon Mamatrixat Abudulla, le développement de l'industrie du doppa passe par un mode de production industriel, loin des méthodes artisanales de l'atelier familial. Dans ce but, le père et le fils ont fondé l'Association Kamat du doppa ouïghour de la ville de Kachgar. À l'heure actuelle, ils se concentrent sur la mise au point d'un processus de fabrication normalisé du doppa qui permettra de procéder à la division du travail et de créer plus d'emplois. Mamatrixat Abudulla explique : « La fabrication d'un doppa passe par quatre processus. Chacun représente des emplois nouveaux. Je voudrais optimiser le temps libre des femmes du village pour lancer une production unifiée de grande envergure. »

 

Une après-midi comme une autre dans la vieille ville de Kachgar.

 

Avec nous, la vieille ville ne disparaîtra pas

En se promenant dans les rues de la vieille ville, on a le sentiment d'être entouré d'une grande fresque de coutumes et de traditions : les habitants de cette ville vivent ici de génération en génération ; les aînés s'appuient contre le mur en terre pour jouer du tamboura au soleil ; les femmes en robe atlas brodent des doppa ; les enfants s'amusent dans les ruelles… Le charme de la vieille ville persiste depuis des millénaires.

Depuis la rénovation de Kachgar, les habitants se sentent plus attachés que jamais à leur ville. Rarip Ajim nous confie qu'en plus de son commerce, ce qui lui tient à cœur ce sont les voisins qui se côtoient depuis des générations, les boucheries et boutiques d'épicerie-mercerie familières, l'arôme qui se répand dans les rues et ouvre l'appétit, ainsi que les appels prolongés de la mosquée Id Kah qui est là depuis 600 ans.

Toutes les deux semaines, Rarip Ajim se rend en tricycle à l'atelier de poterie pour y chercher des articles de toutes couleurs pour son magasin. Même si le trajet n'est que de cent mètres, Rarip Ajim a le sentiment de traverser le passé et le présent. Juste en face de la vieille ville on trouve une grande roue lumineuse, des architectures très modernes, et le flot incessant des voitures. La modernité bruyante contraste violemment avec les murs en terre de la ville historique.

La modernité encercle irrésistiblement la vieille ville de mille ans. Au fond de son cœur, Rarip Ajim ne regrette pas l'évolution de la ville. Mais le souvenir et l'affection de sa famille s'enroulent, génération après génération, autour de ces quartiers anciens. Aujourd'hui, un de ses vœux les plus chers serait de veiller sur sa ville en diffusant la culture unique de la poterie.

Quand on lui demande son avis sur la rénovation de la vieille ville qui détruit les anciens modes de vie et la culture, la question le laisse perplexe. « Pourquoi ? Nous vivons très bien aujourd'hui. Avec nous, la vieille ville ne disparaîtra jamais », dit-il d'un ton décidé.

 

 

La Chine au présent

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