CHINAHOY

1-July-2014

Les souvenirs des bâtiments français

 

M. Jin présente l'historique des bâtiments de l'Institut des langues étrangères de Tianjin. (PHOTO PAR YU JIE)

 

Li Yuan, membre de la rédaction

Fin du XIXe et début du XXe siècle, les Français occupaient une partie de Tianjin. Cette présence française d'antan hante encore les lieux...

À120 km au sud-est de Beijing, se trouve un lieu qui s'appelle « le gué ou passa le fils du Ciel ». C'est l'origine du nom de la ville de Tianjin. Celle-ci fut la première municipalité relevant directement de l'autorité centrale de Chine. En comparaison avec la capitale, la ville présente un style totalement différent : Beijing « la chinoise », Tianjin « l'occidentale », c'est ainsi qu'on les qualifie en Chine.

Le style d'une ville naît de la décantation de son histoire. En 1860, Tianjin devient un port franc après la deuxième guerre de l'opium. Neuf concessions étrangères s'y installent. Les architectes européens y construisent des bâtiments d'après les standards de l'Europe. Tous les courants y sont représentés : gothique, baroque, roman, byzantin, victorien, néoclassique, Art déco... Que ce soit l'architecture anglo-saxonne, française, italienne, germanique, espagnole, tous les styles sont à Tianjin. Aujourd'hui, un peu plus de 1 000 bâtiments toujours debout y forment une sorte de musée de l'architecture européenne en plein air. « Des maisons occidentales, on en trouve aussi à Shanghai, à Qingdao, à Xiamen, à Wuhan. Mais c'est à Tianjin qu'il en reste le plus et qu'elles sont les mieux conservées », déclare Jin Pengyu, ancien directeur du Bureau pour la préservation des bâtiments historiques de Tianjin.

Âgé aujourd'hui de 69 ans, M. Jin est né dans le quartier des « cinq grandes avenues » qui contient le plus grand nombre de constructions occidentales de la ville. Ces édifices, il les voit depuis qu'il est tout petit. Après sa majorité, Jin Pengyu a commencé à travailler dans la restauration des bâtiments et à l'Office de l'immobilier. Cela lui a permis de côtoyer de plus près ces vieilles pierres. Aujourd'hui, bien qu'à la retraite, il s'occupe toujours de faire visiter les anciens monuments de Tianjin et est très recherché par les spécialistes en architecture. On le surnomme d'ailleurs « l'encyclopédie des bâtiments occidentaux de Tianjin ».

Les bâtisses de l'ancienne concession française

« La concession française était un peu moins grande que la concession britannique — c'était la deuxième de la ville — mais son ambiance et sa prospérité étaient difficiles à égaler, nous raconte M. Jin. Si vous arrivez en train à Tianjin, en sortant de la gare, tout de suite vous verrez le pont de la Libération. Ce pont amovible en fer fut construit en 1927 par le Bureau de l'industrie de la concession française. C'est par là que l'on entrait dans la partie française de Tianjin, d'où son nom originel : "le pont français". »

D'après Jin Pengyu, il reste à peu près 300 bâtiments français dans cette partie de la ville. Les plus représentatifs sont la rue commerçante avec le grand magasin Quanye, le parc central, la rue de l'équateur, l'avenue Chengde et la rue nord de la Libération. Plusieurs aires de l'ancienne concession sont d'ailleurs situées en zone protégée.

La concession française de Tianjin est organisée selon un plan classique, avec un axe et un parc centraux servant de repères à l'organisation générale du reste de la concession. Les rues perpendiculaires à l'axe central sont rectilignes, et chaque perspective se termine par un grand bâtiment. La façade des immeubles donnant sur la route est souvent prétentieuse, et les rues, larges. Le style général se veut luxueux et grandiloquent. La concession française est composée de bâtiments administratifs et de villas indépendantes. Ces bâtiments administratifs sont regroupés sur la rue nord de la Libération et autour du grand magasin Quanye ; les villas se concentrent autour du parc et des deux rues citées un peu plus haut.

Le magasin Quanye était le centre commerçant de la concession française. Les quatre grands bâtiments qui composent cette zone, à savoir le magasin, la Société Générale du Zhejiang, l'hôtel élégance et l'hôtel Jiaotong, étaient les plus hauts de Tianjin à l'époque. Plus tard, le magasin Quanye est devenu le centre des affaires de la ville.

Les bâtiments français de Tianjin sont souvent très ornementés et donnent une impression de solennité. Les façades sont en pierre ou en matériaux imitant la pierre ; certaines sont en crépis ou juste peintes. La majorité des édifices possèdent une horloge sur leur fronton. Le bâtiment principal de l'Institut des langues étrangères de Tianjin, situé sur la rue de l'Hippodrome, est typique de l'architecture française. L'ancien consulat français, le Bureau de l'industrie, l'administration coloniale, le Cercle français et l'ancienne caserne ont conservé en intégralité leur style architectural.

En comparaison avec les bâtiments administratifs, très austères et solennels, les villas privées font montre d'un style plus personnel. M. Jin nous dévoile leur histoire : « Les habitants des concessions, qu'ils soient des personnages militaires, politiques ou des entrepreneurs, savaient rester humbles en ces temps alors instables. Ils recherchaient le calme. Du fait de cette psychologie particulière, les villas sont plus humaines, assez basses ; les jardins sont profonds et intimes.

L'éclectisme est aussi une des particularités de ces villas. « Beaucoup d'hommes politiques du gouvernement de Beiyang, après avoir quitté le pouvoir, ont acheté une maison à Tianjin, mais la majorité des propriétaires chinois ne connaissaient pas l'architecture occidentale et ses règles. Certains ont fait des modifications pas très heureuses. Il y en a même qui sont allés jusqu'à coller des ornementations chinoises en forme de pièces de monnaie sur les bouches d'aération. »

Le parc central, anciennement parc français, se situe sur la rue du même nom. Les villas de la rue sont parmi les plus connues de Tianjin. L'hétérogénéité est ici particulièrement répandue. Au numéro 9, on trouve la maison de l'entrepreneur chinois Zhang Ruiting, dont le toit est à la Mansard ; au 10, l'ancienne demeure de l'industriel Zhuang Lefeng, qui est dans un style allemand ; et la villa anglaise de Li Chuncheng au numéro 12.

Évidemment, lorsque l'ancien propriétaire est un personnage célèbre, la maison prend de l'importance. Ainsi dans la concession française, ces petites villas ont souvent été la demeure de personnages historiques chinois. Sur la rue de l'équateur, plusieurs appartenaient à des gouverneurs militaires ou à des seigneurs de la guerre à l'époque de la République de Chine, d'où le nom de « rue des gouverneurs militaires ». Parmi ses hôtes les plus illustres, on peut citer, Zhang Xueliang ou encore Yang Yuting.

D'après Jin Pengyu, la plupart des bâtiments de l'époque coloniale de Tianjin sont des œuvres des architectes français Muller et Mendelsohn. Les principales réalisations de Muller à Tianjin sont le grand magasin Quanye, le bâtiment Lihua, l'hôtel Jiaotong, l'édifice Bohai, mais elles ne se limitent pas qu'à des immeubles : Muller a construit aussi la minoterie et la manufacture textile par exemple. Les bâtiments construits par Mendelsohn sont ceux du Bureau de l'industrie, de l'administration coloniale et Baifu.

La prospérité de ces villas occidentales se termina avec la fin de l'époque du gouvernement de Beiyang. Mais elles n'ont pas perdu de leur valeur, car elles demeurent de formidables matériaux d'étude. Pour les historiens, elles sont pleines de secrets à livrer ; pour les architectes, elles sont comme des manuels en trois dimensions ; pour les réalisateurs, les rues sont comme des décors de cinéma. D'ailleurs, le bâtiment de l'Institut des langues étrangères de Tianjin a servi plusieurs fois de scène de tournage pour des productions cinématographiques chinoises.

 

Le plus ancien terrain de sport de Tianjin est aujourd'hui devenu une place du centre-ville. (PHOTO PAR WANG WENJIE)

 

Le Wall Street de l'Orient

Le développement urbain de Tianjin a été très influencé par les concessions, et notamment la concession française. Le centre urbain, prospère tant au niveau culturel qu'économique, a formé un noyau autour duquel s'est organisée la ville. Le centre de la concession constitue le quartier administratif, suivi du quartier économique, financier, etc... Un peu à la manière des cernes d'un arbre.

Au numéro 29 de la rue nord de la Libération, le musée de la Finance. Le conservateur adjoint du musée, M. Liu, nous affirme que Tianjin était le centre économique de la Chine au XIXe siècle. Le musée de la Finance se trouve dans l'ancien bâtiment du Cercle français, un immeuble dans le plus pur style Art déco, particulièrement bien conservé. Il se trouve sur la rue de la Finance, rue centenaire bordée d'une trentaine de banques.

Au début du siècle dernier, la rue nord de la Libération située dans la concession française était considérée comme le Wall Street de l'Orient : c'était le centre financier du Nord-Est de la Chine. La banque HSBC, la City Bank of New York, la Banque sino-française pour le commerce et l'industrie et beaucoup d'autres encore avaient leurs succursales sur cette artère. Après la libération de Tianjin en 1949, la Banque populaire de Chine, la Banque de construction de Chine et plusieurs autres banques s'installèrent sur cette rue. Aujourd'hui, ce sont 26 succursales, installées dans les bâtiments des anciennes banques, qui y sont présentes. En 2006, la municipalité de Tianjin a décidé de faire de la rue nord de la Libération le nouveau centre financier du nord de la Chine, pour ainsi faire perdurer ce nom de « Wall Street de l'Orient ».

Mais la rue de la Finance n'est pas le seul endroit dédié à l'économie à Tianjin. Le magasin Quanye représente aussi la prospérité de la ville. Ce bâtiment, conçu par l'architecte français Muller, présente un style classique un peu éclectique et était l'emblème du quartier des affaires de Tianjin. Il a permis à toute une zone de s'enrichir. Dans les années 20, l'hôtel des Citoyens, la Société générale du Zhejiang, le magasin Quanye, l'hôtel élégance, organisés autour d'un carrefour, formaient un quartier composé d'édifices dédiés au commerce. Le magasin Quanye a d'ailleurs donné son nom à nombre de constructions alentours. Cet endroit est la rue commerçante de Tianjin et un espace fameux pour se promener. On le surnomme « le petit Paris ».

Aujourd'hui, les jeunes Tianjinois à la mode passent tous par là. Que ce soit dans les nouveaux centres commerciaux ou dans le magasin Quanye restauré, la modernité est bien entrée dans cette rue presque centenaire, sans lui faire perdre un brin de son charme.

Préserver l'aspect historique

« L'urbanisme des villes chinoises converge vers l'uniformité, mais Tianjin a su garder son aspect particulier, à la fois chinois et européen, qui lui va si bien, Ce n'est pas quelque chose de commun en Chine », s'enthousiasme M. Jin.

Bien qu'il soit à la retraite, Jin Pengyu n'arrête jamais. Il ne se souvient même plus du nombre de touristes, historiens, architectes ou étrangers venus à Tianjin retrouver leur ancienne demeure à qui il a servi de guide... Chaque année, Jin Pengyu fait le tour des anciennes bâtisses pour établir un rapport sur leur état général et proposer des restaurations si nécessaires.

Pour mieux préserver ces bâtiments historiques, la municipalité de Tianjin a mis en place une politique. La réglementation concernant la protection des bâtiments historiques de la ville de Tianjin a pris effet en septembre 2005. Tianjin devint la première ville chinoise à graver dans le marbre la protection des constructions historiques. Aujourd'hui, ce sont 877 édifices historiques qui possèdent la plaque indiquant qu'ils sont protégés par la municipalité de Tianjin. Il existe trois niveaux de protection : spécial, important et normal. Les bâtiments estampillés niveau de protection spécial sont au nombre de 61 ; niveau important, 210 ; et enfin niveau normal, 606.

Les bâtiments historiques sont restaurés dans leur jus, pour que l'ancien et le moderne puissent cohabiter. Jin Pengyu est très fier et soulagé du résultat de ces restaurations. Mais les plus jeunes ont une autre façon d'envisager la protection des bâtiments historiques et prônent leur réutilisation à des fins économiques.

Ainsi, la Chinahouse, sur la rue de l'équateur, est une ancienne villa restaurée selon des idées nouvelles. Zhang Lianzhi a acheté la propriété pour 30 millions de yuans et a décidé d'utiliser comme matériaux de décoration les porcelaines, sculptures en marbre, pierres de cristal et améthystes de ses collections. Il a transformé cette maison française en lui faisant revêtir un habit chinois. En effet, la maison est couverte d'éclats de porcelaine, d'assiettes et autres pierres sur toute la façade et les parties en dur de la maison. Pas un endroit où faire rentrer un éléphant ! En 2010, dans le classement des 15 musées au design le plus spectaculaire, le Huffington Post a classé ce musée au même rang que le musée du Louvre et le Centre Pompidou.

Le ministre conseiller de l'ambassade de Chine en France, Tan Duisheng, a déclaré lors de l'exposition sur Tianjin organisée à Paris : « Tianjin est une ville qui a 600 ans d'histoire, empreinte de beaucoup de mémoires et d'épisodes importants et précieux. Les bâtiments français de Tianjin en ont été les témoins pour certains. Les villas occidentales de Tianjin sont un peu comme la Tour Eiffel de Paris, caressées par la lumière du temps et protégées du soleil par les arbres des jardins. Le caractère d'une ville, son esprit, ses joies et ses peines sont tous peints sur sa peau. »

 

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