CHINAHOY

10-October-2015

Bouddhas tibétains aux enchères

 

Sculpture du Ve shamarpa en argent à la coiffe rouge, datant du XVIe ou du XVIIe siècle.

 

LU RUCAI, membre de la rédaction

Objets religieux mais aussi objets d'art... Les statues du bouddhisme tibétain ont une valeur (presque) inestimable...

Au printemps 2015, la maison China Guardian a organisé une séance de ventes spéciale intitulée « Au royaume du sacré – statues de bouddhas en or et en cuivre », lors de laquelle plusieurs chefs d'œuvre du bouddhisme tibétain ont été vendus. Parmi ces derniers, une sculpture du Ve shamarpa en argent à la coiffe rouge, fabriquée au XVIe ou XVIIe siècle, a été adjugée pour 5,06 millions de yuans (environ 712 000 euros).

Le shamarpa, parfois appelé le « tulkou à la couronne rouge », est l'un des tulkous suprêmes de la lignée Kagyu (secte blanche) dans le bouddhisme tibétain et l'un des premiers maîtres à l'origine de la tradition de la réincarnation chez les tulkous. Selon des documents historiques, avant sa mort, le premier tulkou Düsum Khyenpa avait prédit que sa réincarnation donnerait naissance à deux écoles : karmapa et shamarpa. Réciproquement maître et disciple, ces deux écoles se transmettent les enseignements bouddhistes l'une à l'autre afin de préserver le Dharma (l'ensemble des préceptes du Bouddha). Le Ve shamarpa, qui était à la fois disciple du VIIIe karmapa Mikyö Dorje et maître du IXe karmapa Wangchuk Dorje, est la personnalité la plus vénérée de la lignée des shamarpa. À sa mort, il fut incinéré : son crâne ainsi que les os de ses bras et jambes furent récupérés pour devenir des reliques bouddhistes.

L'artisan qui sculpta l'œuvre vendue aux enchères a rendu les traits de ce shamarpa avec réalisme. La sculpture se décompose en trois parties fondues séparément : le chapeau rouge (signe d'érudition), le personnage en question (majoritairement en argent) et le socle en forme de lotus (en cuivre doré). Le visage aux pommettes saillantes et les deux bras du Ve shamarpa sont de couleur dorée. Le maître porte un habit de moine tibétain qui recouvre tout son corps, jusque ses jambes, avec en plus un kesa. Au-dessous, le piédestal en forme de lotus sur lequel il est assis est sculpté avec finesse de motifs de pétales de fleurs, sur deux rangées, parfaitement alignés. Au revers de ce piédestal sont gravées des inscriptions qui renseignent sur l'identité de la figure sculptée. Il s'agit en tout cas d'une pièce rare en cela que les matériaux utilisés (cinabre pour le chapeau ; or pour le visage) sont authentiques, ce qui lui confère une grande valeur tant artistique qu'historique.

 

Statue de Sakyamuni en cuivre doré, datant du XVe siècle.

 

Venu d'Inde et introduit en Chine sous la dynastie des Han de l'Est (25-220), le bouddhisme, fusionnant avec le confucianisme et le taoïsme autochtones, a exercé une profonde influence sur l'histoire et la culture chinoises. C'est au VIIe siècle que le bouddhisme, se propageant depuis la Plaine centrale chinoise, l'Inde et le Népal, est parvenu jusqu'au Tibet. Là, il s'inspira de la religion locale, le bön, et d'autres croyances populaires pour donner naissance au bouddhisme tibétain caractérisé par ses riches canons, préceptes et doctrines, l'organisation détaillée de ses temples, ses strictes méthodes d'apprentissage des soutras, sa pensée et ses pratiques fondamentales, ainsi que sa tradition originale des tulkous (bouddhas vivants) qui se réincarnent. De nos jours, le bouddhisme tibétain, aussi appelé « lamaïsme », constitue l'une des trois branches du bouddhisme, les deux autres étant le bouddhisme mahayana et le bouddhisme theravada.

À l'âge d'or du bouddhisme tibétain, chaque famille nombreuse devait destiner un de ses enfants à la vie monastique. C'est à l'issue du XVIe siècle que bonzes et bonzesses étaient les plus nombreux : ils représentaient un quart de la population tibétaine ! En 1951, date de la libération pacifique du Tibet, ceux-ci se dénombraient encore à plus de 100 000, soit un bon dixième de la population dans la région. En 1959 a été lancée une réforme démocratique, qui a permis de moderniser les temples bouddhistes. Les Tibétains ont acquis le droit de choisir de se faire moine ou non, tandis que les bonzes et bonzesses ont pu reprendre leur vie séculière. Aujourd'hui, la région autonome du Tibet compte 1 700 temples du bouddhisme tibétain qui abritent 46 000 moines et nonnes, dont plus de 300 tulkous environ.

La plupart des Tibétains sont croyants. Chaque année par exemple, plus d'un million d'entre eux se rendent en pèlerinage à Lhassa. À l'intérieur comme à l'extérieur des célèbres lieux de culte tels que le monastère de Johkang et le monastère de Samyé, nombre de fidèles pratiquent divers rites religieux. Partout à travers la région, on peut voir aussi des bannières bouddhiques et des pierres mani.

Aujourd'hui, les objets d'art du boud-dhisme tibétain, présentant des composantes artistiques originaires d'Inde et du Népal ayant fusionné avec l'esthétique et les formes d'expression tibétaines, sont hautement prisés par les collectionneurs. Les grandes maisons d'enchères aux quatre coins du globe organisent de temps à autre des séances spéciales consacrées à l'art bouddhique. En mars dernier à New York, dans le cadre de l'Asian Art Week tenue chaque printemps par Christie's, la séance « La collection de Robert Hatfield Ellsworth » a eu lieu. Liu Yiqian, un collectionneur chinois, y a acheté une statue d'un yogi tibétain en cuivre datant du XIe ou XIIe siècle, au prix fort de 4,869 millions de dollars (environ 4,362 millions d'euros). De même, lors des ventes printanières 2015 organisées par China Guardian, une statue de Virupa en cuivre doré, venant du Tibet et datant du XVe siècle, a été adjugée pour 2,5875 millions de yuans (environ 364 000 euros).

 

 

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