CHINAHOY

1-June-2015

Wang Huaiqing et ses œuvres de l’âme

 

 

LU RUCAI, membre de la rédaction

 

 

Le peintre chinois voit ses tableaux battre des records dans les salles de vente. Parcours d’un artiste qui a su profiter de l’école chinoise et d’influences étrangères.

 

 

Le 6 avril dernier, lors de la séance des ventes printanières 2015 organisées par China Guardian consacrée à l’art contemporain chinois du XXe siècle, l’œuvre Le Lit réalisée en 1999 par Wang Huaiqing a été adjugée pour 10,35 millions de dollars hongkongais.

 

La peinture à l’huile Le Lit fait partie de sa série d’œuvres ayant pour thème les meubles. Cette toile se caractérise aussi, comme d’autres tableaux de cette série, par la simplicité des meubles de l’époque Ming (1368-1644). Sur fond de mur blanc, trois objets noirs montrent la distance dans l’espace et l’ampleur des meubles est rendue par leurs traits déformés. Le tableau montre, sous plusieurs angles, différents aspects du lit long mais étroit. Wang Huaiqing utilise des couleurs chaudes pour adourcir le fond gris et blanc et restitue l’ensemble de l’espace, le rapport entre le clair et l’obscur, ainsi que le poids du temps, par de subtils changements de touches dans d’épais coloris.

 

Wang Huaiqing est né en 1944 à Beijing. À l’âge de 12 ans, il a passé avec succès l’examen d’entrée à l’école secondaire annexe de l’Institut central des beaux-arts de Chine. À cette époque, c’est une chance extraordinaire, puisque l’école sélectionnait pour la première fois 40 élèves parmi les 20 000 que comptait le cursus primaire. Conscient de sa chance, il a passé huit ans à étudier dur. En raison de la situation politique d’alors, c’était l’école soviétique qui prenait une place dominante dans l’enseignement. Il se souvient de professeurs imposant une discipline stricte sur les matières à l’étude.

 

En 1964, l’année où Wang Huaiqing devait passer son examen national d’entrée à l’université, la Chine traversait une période économique particulièrement dure. « On n’avait pas assez à manger, on trouvait difficilement à s’habiller, ce n’était évidemment pas une période où l’on cherchait beaucoup de peintres ou d’artistes. Les universités refusaient des étudiants, surtout les universités d’art. » Faute de mieux, il dut se rabattre sur le département de photographie de l’Académie de cinéma de Beijing. Mais un jour, le directeur de son lycée est venu l’informer que le Conservatoire national des arts et métiers de Chine était en train de recruter des étudiants. Et surtout, « il y avait un département dédié à la peinture. » Wang Huaiqing alla s’inscrire comme étudiant au département de peinture décorative. En 1979, il a passé son examen d’entrée au mastère du Conservatoire national des arts et métiers de Chine.

 

En 1981, The Wall Street Journal publiait un article sur les œuvres d’un peintre chinois et surtout les remous considérables que celles-ci avaient provoqués. C’est bien sûr de Wang Huaiqing qu’il s’agit. L’œuvre controversée est intitulée Le portrait d’un Bole (découvreur de talents). Une façon de démontrer sa compassion pour le sort des intellectuels chinois, combinant les langages artistiques de l’Orient et de l’Occident, recourant aux concepts figuratifs de la peinture traditionnelle chinoise. « À l’époque, les intellectuels chinois n’étaient pas reconnus à leur juste valeur, et en tant que membre de ce groupe, lorsque je me rappelle de mon parcours, des souffrances que j’ai endurées, la méchanceté qui m’entourait, et c’est la tristesse et la colère qui me submergent », disait Wang Huaiqing au sujet de ce tableau. Il s’agit d’une composition abstraite, dont les lignes et les traits décoratifs esquissent un Bole et un cheval. Des caractères chinois peints en noir soulignent l’histoire pleine d’amertume des intellectuels chinois. Cette peinture eut un grand impact sur la société chinoise d’alors.

 

Au début de 1980, Wang Huaiqing et quelques-uns de ses camarades ont créé une Association des peintres de la jeune génération. Cette association a organisé une exposition de leurs peintures à l’huile au Musée des beaux-arts de Chine. En 1985, Wang Huaiqing s’est rendu à Shaoxing pour peindre d’après nature. C’est là-bas, dans l’ancienne résidence de l’écrivain Lu Xun, qu’il a franchi une étape capitale, un tournant dans sa création artistique. Dès son retour à Beijing l’année suivante, Wang Huaiqing a peint Pays natal. C’est depuis ce tableau que sa recherche se concentre ainsi sur les meubles chinois. Pour lui, les meubles sont des architectures mobiles. Hormis cette mobilité, rien ne distingue les meubles de l’architecture immobile, et les deux disciplines présentent des formes et des structures similaires. Dans ses peintures représentant des meubles, Wang Huaiqing a mis au point un langage artistique original qui lui est propre. Il utilise beaucoup le noir et quelquefois le rouge. À ses yeux, « le noir et le blanc sont aussi des couleurs ».

 

En 1987, il est allé étudier en tant que chercheur invité aux États-Unis. De son éducation traditionnelle stricte aux beaux-arts et confronté aux deux sujets incontournables qui sont la tradition chinoise et la mode occidentale, il a retenu une phrase de son maître Wu Guanzhong : « Seuls les géants chinois peuvent entrer en lice avec les géants étrangers. Et les géants chinois ne peuvent grandir que sur les terres chinoises. »

 

Deux ans plus tard, il rentrait en Chine. Il a peint une nouvelle version, agrandie, du Pays natal. Ce n’est pas une simple copie. « À ce moment je trouvais justement que mon pays natal était la voie que je devais suivre, une voie qui me permettait d’acquérir ma propre valeur et de trouver mon sens dans la vie, d’étudier la Chine du passé et la Chine du présent, enfin de faire ce qui correspond à ma nature et à mes intérêts », ainsi écrivait-il dans une lettre à un ami.

 

Lors de l’Exposition annuelle des peintures à l’huile qui s’est tenue en 1991, son œuvre Le style Ming a remporté le premier prix. Sa peinture représente une chaise de style Ming que le peintre met en valeur grâce à son caractère oriental, en utilisant des structures noires et grosses. Son temps libre, il aime le passer à se promener sur les marchés d’antiquaires. Selon lui, ces meubles qui rayonnaient autrefois de l’éclat de la richesse sont maintenant sans domicile fixe. Lors des enchères printanières organisées par China Guardian en avril 2008, sa série de peintures intitulée Les meubles sans domicile réalisées en 2001 et consacrée aux meubles a été adjugée pour 28 millions de yuans, le record à ce moment-là pour les œuvres du peintre.

 

Wang Huaiqing est désormais un peintre de premier rang à l’Institut de la peinture de Beijing et membre du conseil de l’Institut de la peinture à l’huile de Chine. Ses œuvres comprennent des peintures à l’huile, des sculptures, des estampes, des peintures à l’encre. Mais d’après Wang Huaiqing, c’est dans l’âme de l’artiste que se trouve l’éternel jardin artistique le plus sacré.

 

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