CHINAHOY

28-April-2015

Il peint son univers intérieur

 

Deux personnes. (PHOTO FOURNIE PAR CHINA GUARDIAN)

 

L'artiste, Chao Ge, exprime une vision très personnelle qui évolue avec la société chinoise.

LU RUCAI, membre de la rédaction

Lors des enchères d'automne 2014 organisées par la maison China Guardian, le tableau à l'huile Deux personnes de l'artiste chinois contemporain Chao Ge, a été adjugé pour 9,315 millions de yuans.

Le tableau réalisé en 1996 représente un homme bossu aux habits noirs et aux cheveux ébouriffés. Son regard vif reflète des sentiments intimes complexes et indicibles. Les années 1990 sont constitutives d'une période de sa création orientée par l'intuition, explique le peintre. « Je souffrais d'une anxiété qui me rongeait jour après jour. L'image d'un homme recroquevillé m'est venue à l'esprit. Je ne voulais pas juger ce qu'il représentait, et j'en ai esquissé immédiatement un portrait, puis commencé à rechercher un modèle convenable. » D'après lui, cette image d'un homme arc-bouté reflète son état d'esprit d'alors. « C'est peut-être la société qui lui donne cette image ou alors un autre fardeau sous lequel il ploie. » Finalement, après bien des recherches, le peintre a fini par choisir un paysage dans son pays natal, le pied d'une montagne sous le soleil couchant, comme arrière-plan de sa toile. Sur le tableau, derrière l'homme aux habits noirs, le peintre fait apparaître la silhouette d'un autre homme, à peine perceptible, isolée. Pour l'auteur, cette image en second plan incarne les sentiments complexes qu'il voulait exprimer à ce moment-là.

Chao Ge est issu de l'ethnie mongole. Il est né en 1957 à Hohhot, capitale de la Mongolie intérieure. En 1978, c'est-à-dire la deuxième année après le rétablissement du gaokao (examen national d'entrée à l'université), il a passé son examen puis est entré au département de la peinture à l'huile de l'Académie centrale des beaux-arts de Chine. C'est là qu'a commencé sa quête picturale, sa découverte des rapports entre vie artistique et vie sociale. D'après certains critiques d'art, Chao Ge est, parmi les artistes contemporains chinois, celui qui persiste le mieux dans sa conviction et dans son idéal. Pour Chao Ge, « vue sous l'angle de la civilisation humaine, l'urbanisation excessive est une sorte de cancer. » Il ne cache pas son dégoût pour les maux engendrés par les mégalopoles. La nature humaine primitive et simple qui se conserve dans les régions pastorales et les campagnes le réjouissent, mais pourtant, même dans l'air pur des pâturages il perçoit encore l'odeur de dioxyde de carbone et d'autres effluves propres aux villes. Cela le blesse et il essaie d'exprimer cette souffrance dans sa peinture.

C'est vers la fin des années 1980 que Chao Ge a commencé à s'établir une réputation solide dans le milieu de la peinture chinoise. C'est à cette époque que les beaux-arts chinois ont connu une évolution brusque, suite au choc provoqué par la découverte de l'art occidental. Des jeunes artistes chinois dont Chao Ge ont commencé à réfléchir sur le système artistique chinois. En tant que représentant du néoclassicisme en Chine, Chao Ge a étudié le langage de la peinture à l'huile, créant plusieurs œuvres représentant le corps humain, comme par exemple Nu féminin assis sur une chaise, Da Qi, etc. À la différence des œuvres réalistes décrivant des femmes nues alanguies dans des intérieurs luxueux, Chao Ge combine ses peintures et l'époque actuelle pour exprimer l'ouverture de l'ensemble de la Chine et le réveil de la nature humaine dans ce pays.

 

Une œuvre sur le thème de la plaine.

 

Face aux changements brutaux de la fin des années 1980 et du début des années 1990 qui ont provoqué une évolution sociale intense, Chao Ge a été submergé par une soif d'expression. C'est au cours des années 1990 qu'il a peint Le sensible, L'Ouest, Deux personnes, Personne s'appuyant sur le mur, Visage jeune... Parmi ces œuvres, Le sensible est peut-être la plus représentative de son état d'esprit. Ce tableau datant de 1990 présente le portrait d'une personne sceptique à la barbe hirsute et aux yeux pleins de doute. « Je voulais exprimer mes sentiments intérieurs par cette peinture. Je voulais saisir une chose bien réelle pour moi, comme par exemple lorsque je me sentais très nerveux ou lorsque j'éprouvais une pression psychologique intense. » Selon Chao Ge, « cette peinture est le résultat de contradictions, pas l'expression d'un sentiment unique. » Il pense que sa série de peintures reflètent toutes le même sentiment. Deux personnes, le tableau récemment vendu aux enchères, est le prolongement de l'œuvre Le sensible, mais il est plus abouti, les cheveux plus emmêlés, les yeux plus vifs. D'après Chao Ge, cela a à voir avec les changements sociaux radicaux que la Chine connaissait à l'époque. « J'ai réagi et j'ai participé. C'est pourquoi cette œuvre touche la société dans ses profondeurs. » Il a adopté la méthode de la psychanalyse pour représenter l'univers intérieur de ses personnages et de la société en mutation. Ses œuvres ont eu un effet profond sur le développement de la peinture à l'huile de l'époque et elles ont influencé d'autres peintres plus jeunes.

Dans le même temps, depuis les années 1980, Chao Ge qui venait de la steppe mongole, a fait un grand nombre de croquis et de peintures à l'huile sur le thème des pâturages. Ces œuvres veulent exprimer l'étendue des prairies, mais aussi la fierté et l'attachement des Mongols à leur mode de vie et à leur cadre naturel. Dans cette série, il faut voir notamment La rivière Kerulen sous le soleil, Le lac Ejinur et La silhouette du pays natal. Des paysages qui sont plus dépouillés que ses œuvres présentant des personnages, mais pas moins bouleversants.

En 2000, Chao Ge a passé six mois en Europe où il a visité dix pays. Sous l'influence des classicismes grec et romain, il a exploré le style classique. C'est la troisième période de son œuvre : après les années 1980 caractérisées par la simplicité, les années 1990 marquées par l'impulsion et le défoulement, l'époque post-2000 est axée sur le style classique. En 2006, l'exposition « Renaissance du classicisme – exposition des œuvres de Chao Ge » s'est tenue au musée du monument Vittoriano en Italie. D'après les critiques locaux, ces œuvres sont une fusion du style classique et de l'esprit de la société moderne.

Depuis 1988, Chao Ge enseigne à l'Académie centrale des beaux-arts de Chine. Il poursuit des recherches parallèles dans la peinture et l'enseignement. Ces dernières années, ses œuvres attirent de plus en plus d'attention sur le marché, et si certaines se sont vendues pour quelques centaines de milliers de yuans, d'autres ont été adjugées pour plusieurs millions de yuans. Le prix atteint par Deux personnes représente son record actuel.

 

La Chine au présent

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