CHINAHOY

1-June-2015

L’escrime populaire en Chine

 

 

MA HUIYUAN, membre de la rédaction

 

 

Il est 16 h 30 et après l’école, un groupe d’enfants entre en riant et en discutant au Club international d’escrime de Wang Haibin. Les écoliers retrouvent leurs équipements dont ils commencent à se revêtir. Tout à l’heure, ils entreront sur la piste d’escrime pour un cours donné en anglais par leur entraîneur hongrois.

 

À l’extérieur de la salle de cours se trouve un petit musée consacré à l’escrime, où sont exposés des épées et des masques du Moyen Âge, ainsi que de vieilles photos et des documents témoignant de l’histoire de l’escrime. Au sous-sol, c’est un caveau à la voûte de style français rempli de vieilles bouteilles de vin de Bordeaux. Au milieu de la cave se dessine une longue table de dégustation qui peut accueillir 50 personnes. « Nous ne poursuivons pas un intérêt économique. Notre objectif est de construire une plate-forme pour diffuser la culture de l’escrime », explique Wang Meng, directeur du club, qui poursuit : « Notre club n’est pas le plus grand, mais c’est le plus sélect. Même au niveau mondial, nous comptons parmi les meilleurs. Des cours d’escrime de qualité, combinés à une excellente plate-forme d’échanges commerciaux. »

 

 

Essor des clubs d’escrime

 

En 2010, sous la direction de l’entraîneur Wang Haibin, l’équipe chinoise de fleuret a remporté le Championnat du monde d’escrime qui se tenait à Paris. C’est la première fois de son histoire que la Chine gagnait ce titre. Inspiré et encouragé par ce succès, Wang Haibin, avec l’aide d’un financement octroyé par le Groupe O.R.G., a pu ouvrir en août 2011 son Club international d’escrime à Beijing, avec entre autres le soutien du Centre du vélo et d’escrime de l’Administration générale de la culture physique et du sport.

 

Le club compte déjà plus de 400 membres dont 75 % sont des jeunes de moins de 15 ans. Wang Meng nous raconte : « À l’époque de la fondation du club, l’escrime était un sport encore peu connu qui comptait peu de pratiquants. Il n’existait que dix clubs d’escrime à Beijing, dont seulement un ou deux grands. » Selon Wang Meng, ce sport est populaire depuis toujours à l’étranger, surtout en Europe, dans les pays comme la France, l’Italie et l’Allemagne. La France est traditionnellement un pays fort en escrime. D’ailleurs la langue officielle de l’arbitrage en escrime est toujours le français.

 

Aujourd’hui, Beijing compte 60 clubs d’escrime, grands et petits. 30 à 50 000 adolescents sont passés par un entraînement à l’escrime dans ces clubs et de nombreux adultes s’exercent eux aussi pendant leur temps libre. On compte 3 000 escrimeurs professionnels en Chine.

 

Wang Haibin donne régulièrement des cours et participe aux autres activités du club. Parmi les entraîneurs, on compte deux Hongrois, un qui enseigne le fleuret, l’autre l’épée. Le club entretient de bonnes relations de coopération avec l’Association d’escrime des États-Unis, des clubs américains d’escrime, l’Association d’escrime européenne, l’Association d’escrime française ainsi que de nombreuses équipes nationales d’Asie du Sud-Est.

 

Parlant des projets de coopération avec les universités des États-Unis, Wang Meng espère « frayer une voie d’accès aux étudiants chinois vers les universités américaines prestigieuses ». « Aujourd’hui en Chine, la plupart des amateurs d’escrime sont des jeunes de moins de 15 ans. Les jeunes entrent au lycée à 15 ans et face à la pression du gaokao (le concours national d’entrée à l’université), nombreux sont ceux qui ne parviennent pas à concilier leur passion avec le bachotage et se voient obligés d’arrêter l’escrime. Aux États-Unis, de bons résultats en escrime peuvent permettre un accès direct à de très bonnes universités. Nous espérons ainsi offrir cette opportunité aux adolescents chinois. » Le club international Wang Haibin organise aussi des camps d’été pour les jeunes Chinois désireux de visiter l’Université de Boston. D’autres membres du club ont été envoyés en France pour participer à des compétitions sur le circuit français.

 

D’après le directeur du club, la méthode d’entraînement chinoise est très différente de celle qui se pratique dans d’autres pays. « Nous attachons plus d’importance aux bases techniques, par exemple à la position fixe et à la position d’attaque. Dans les pays européens ou aux États-Unis, on s’attache plutôt à développer l’intérêt et la passion des enfants pour ce sport. »

 

 

Histoire de l’escrime en Chine

 

L’escrime professionnelle s’est beaucoup développée en Chine depuis la fondation de la République populaire. Luo Pingbei est une figure emblématique pour les escrimeurs chinois, car il pratique l’escrime depuis ses toutes premières années, ce qui fait de lui un témoin privilégié du développement de ce sport depuis les années 1960. Il fut l’arbitre du match final du Championnat du monde d’escrime et il est désormais consultant senior au Club international d’escrime Wang Haibin. « Dans les années soixante, quand on commençait à apprendre l’escrime, les équipements étaient très simples et rudimentaires », se souvient-il.

 

M. Luo Pingbei rappelle qu’à l’époque, ce sont des entraîneurs soviétiques qui avaient formé les premiers escrimeurs chinois. Lors de la première édition des Jeux nationaux en 1959, l’escrime n’était qu’une discipline de démonstration. Mais dès la seconde édition, en 1965, l’escrime était une discipline officielle. Une dizaine d’équipes venant de provinces différentes ont participé aux matchs d’escrime.

 

Les années suivantes furent moins fastes pour les sports en général, et l’escrime en particulier a connu une période de stagnation. En 1974, ce sport fut réhabilité. C’est cette année que la Chine a participé pour la première fois aux Jeux Asiatiques dont la 7e édition se tenait en Iran, puis à la 31e édition du Championnat du monde d’escrime en France. En 1978, lors des Jeux Asiatiques à Bangkok, Wang Ruiji, un jeune chinois de 21 ans, a gagné la médaille d’or au sabre individuel hommes. En 1984, Luan Jujie a rapporté une médaille d’or à l’équipe chinoise dans la discipline du fleuret individuel femmes lors des Jeux Olympiques, les premières médailles d’or asiatiques. Après Luan Jujie, c’est Wang Haibin qui devint la figure emblématique de l’escrime chinoise en gagnant le championnat national en 1997 avant de remporter la seconde place au fleuret par équipes hommes en 2000 aux Jeux Olympiques de Sydney, puis la médaille d’or au fleuret individuel hommes lors des Jeux Asiatiques 2002 à Busan. Il est aujourd’hui entraîneur en chef de l’équipe chinoise masculine de fleuret.

 

Les escrimeurs chinois ont remporté les résultats remarquables : Zhong Man, médaille d’or aux Jeux Olympiques de Beijing 2008 au sabre individuel hommes ; Lei Sheng, médaille d’or aux Jeux Olympiques de Londres 2012 au fleuret individuel hommes ; médaille d’or aux Jeux Olympiques de Londres 2012 pour l’équipe féminine chinoise.

 

Luo Pingbei se souvient de son premier exemplaire des règles de l’escrime. Il s’agissait à l’époque d’une traduction chinoise du manuel français, mais il n’était pas satisfait de cette traduction. Le français est la langue d’usage pour l’escrime, c’est pourquoi il s’est plongé dans l’étude de cette langue pour pouvoir un jour arbitrer des matchs. « J’étais conscient que la maîtrise de la langue française est indispensable pour un professionnel de l’escrime. » Luo Pingbei nous raconte que dans les années 80 et 90, la Chine organisait une formation des arbitres d’escrime où l’on apprenait la terminologie française. Avant le lancement de cette formation officielle, la Chine ne possédait que deux arbitres internationaux : Tao Jinhan et Chen Jingxi, qui avaient passé en 1975 l’examen de la Fédération internationale d’escrime (FIE). Depuis, de nombreux arbitres chinois ont reçu une formation à l’étranger, dont Luo Pingbei en 1988 à Chicago. Luo Pingbei a ensuite étudié et travaillé en France, où il a noué des amitiés durables avec des Français du milieu de l’escrime. »

 

La province du Jiangsu est parmi celles qui produisent le plus d’escrimeurs, comme Luan Jujie et Wang Haibin. Wang Meng nous a raconté que, un jour où il accompagnait des entraîneurs français dans cette province, ceux-ci s’étaient étonnés de la grande taille des escrimeurs de la région.

 

Un sport de plus en plus populaire

 

« L’escrime est aujourd’hui comme le golf il y a dix ans : même si ce sport reste très minoritaire en Chine, son potentiel est immense », poursuit Wang Meng. « C’est un sport qui possède une identité forte, sa propre culture et ses traditions. » D’après les statistiques de l’Administration générale de la culture physique et du sport, le pays compte aujourd’hui 100 000 licenciés, professionnels ou amateurs, principalement à Beijing, Shanghai et dans la province du Guangdong. Ces dernières années, les clubs d’escrime se multiplient dans toutes les régions.

 

L’essor de ce sport en Chine est entraîné par la participation à des compétitions à l’étranger, le recrutement d’entraîneurs étrangers, mais aussi par l’envie d’explorer les différences culturelles. Les équipes chinoises obtiennent de bons résultats à l’international. D’après Wang Meng, le développement de ce sport devrait se baser plus sur l’engouement populaire que sur les résultats dans la compétition professionnelle. La multiplication des clubs et des écoles fournira à son tour un vivier de talents plus vaste aux équipes professionnelles.

 

« Au-delà de la technique de l’escrime, nous enseignons aussi le français. C’est la langue officielle de ce sport, par conséquent il est conseillé de maîtriser quelques bases. D’ailleurs nos cours de français sont très demandés par les jeunes membres et par leurs parents. » C’est le concept du club de Wang, « la compréhension et la diffusion de la culture de l’escrime. »

 

Depuis ses débuts dans les années soixante jusqu’aux médailles d’or aux Jeux Olympiques, l’escrime chinoise est passée du statut de sport peu connu à celui de discipline populaire pour les adolescents. Elle continue à gagner en popularité et se tient dans le peloton de tête en Asie. Gageons qu’elle n’est pas au bout de ses progrès.

 

 

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