CHINAHOY

10-October-2015

Au pays des transports électriques

 

Scooters électriques dans un quartier résidentiel de Fuzhou, capitale de la province du Fujian.

 

La mobilité et la pollution atmosphérique sont deux défis pour toutes les grandes villes du monde ; en Chine, l'innovation produit des solutions créatives et prometteuses. Enquête.

CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction

La première chose qui étonne, lorsqu'on s'installe à Beijing, c'est l'incroyable variété du trafic. Évidemment, comme dans toute mégalopole, la voiture est partout. Mais elle doit ici partager le bitume avec une foule d'autres catégories de véhicules. Il y a bien sûr les vélos, qui autrefois régnaient en maîtres dans les rues de la capitale et qui ne se laisseront pas détrôner aussi facilement. Mais aussi toute une multitude de petits véhicules utilitaires : sanlunche (triporteurs) de toutes formes et tailles pour les livraisons de quartier et les petits déménagements, motos-taxis et scooters, vélos-poubelles et camions de nettoyage urbain, sans compter évidemment les bus et les trolleys des transports urbains, ni les occasionnels camions des services de jardinage municipaux.

Tout ce joli monde a bien du mal à coexister. Presque toutes les voies sont divisées pour séparer les « motorisés » des « non motorisés », mais c'est une distinction difficile à réaliser dans la pratique tant les gabarits, les trajectoires et les vitesses sont disparates... Imaginez en plus les voies cyclables obstruées par des voitures garées, les cyclistes roulant à contresens la moitié du temps et les embouteillages monstres, et vous aurez une idée du stress que subissent quotidiennement les Pékinois sur leurs trajets domicile-travail toujours plus longs.

Quand l'État s'en mêle

Heureusement, l'innovation est là et de nouveaux modes de transport pourraient bien remédier à ces vicissitudes. La deuxième source d'étonnement pour le visiteur en Chine, c'est l'omniprésence de véhicules électriques. Bus, camions de livraison, sanlunche, vélos et scooters électriques sont partout. Ils se glissent rapidement et silencieusement le long des avenues. Un phénomène dans lequel la Chine est en pointe. Sébastien, un Français établi à Beijing, a récemment franchi le pas et s'est payé un vélo à assistance électrique. « Pour 3 000 yuans, je suis libre de mes mouvements. Je me rends au bureau en 20 minutes, les cheveux au vent, sans fatigue, sans craindre les embouteillages. C'est le paradis ! »

Les mégalopoles chinoises ont malheureusement suivi l'exemple de leurs sœurs d'Europe et d'Amérique du Nord avec l'étalement urbain qui allonge les trajets, privilégie la voiture, nécessite des rocades et des contournantes qui déchirent le tissu des quartiers. Mêmes causes, mêmes effets : elles connaissent elles aussi des encombrements aux heures de pointe. Elles ont en revanche eu la sagesse de bannir les motos et les moteurs à deux temps horriblement bruyants, mais aussi extrêmement polluants. Dès 2001, le gouvernement chinois a lancé une politique de soutien aux véhicules à énergies nouvelles (ou Programme 863), encourageant l'électrification des moyens de transport urbains. Cette politique, d'abord expérimentée dans 10 grandes villes, s'est ensuite étendue aux 25 principales mégapoles du pays. Les deux-roues électriques font désormais partie du paysage urbain en Chine.

Ce succès est certainement dû à la politique incitative de l'État, combinée à de récents progrès technologiques (batteries au plomb peu à peu remplacées par des batteries au lithium) et à des prix imbattables grâce à la compétition féroce des constructeurs chinois. Résultat, les deux-roues électriques s'imposent en Chine, beaucoup plus que dans les autres pays où ils restent des produits de niche, peu distribués et donc relativement chers.

Le marché des vélos et des scooters électriques, embryonnaire dans les années 1990, a explosé. Des centaines de constructeurs sont apparus, une concurrence acharnée a suscité l'apparition de nouveaux modèles et d'innovations petites et grandes. On estime à plus de 30 millions le nombre de deux-roues électriques vendus en 2014 et à 47 millions la taille du marché d'ici 2018. Un marché entièrement dominé par la Chine, qui représentait quasiment 100 % des unités fabriquées, mais aussi 95 % des ventes mondiales en 2010. La part du marché chinois devrait se réduire progressivement alors que d'autres pays suivront l'exemple de l'électrification, mais elle reste supérieure à 90 % aujourd'hui et les experts estiment qu'elle sera encore de 89 % en 2018.

 

Présentation d'une trottinette électrique légère et pliable lors de l'Exposition internationale des véhicules électriques de Beijing.

 

Créativité et innovation débridées

Mais un autre facteur explique le succès phénoménal du transport électrique en Chine. « Ce pays est une terre d'innovation sans équivalent dans le monde », m'explique Chris Riether, l'ingénieur en chef de la société Evoke Motorcycles. Contrairement aux autres pays, où les brevets et la propriété intellectuelle corsettent l'innovation, ici, la concurrence technologique est très vive. On regarde ce que font les concurrents, on copie, on améliore. Chaque constructeur doit sans cesse innover et développer ses modèles sous peine de perdre des parts de marché. On voit les modèles récents rivaliser de fantaisie dans le profil, les coloris, les options... À côté des scooters de base, des modèles de plus en plus chers et performants se taillent un franc succès auprès des jeunes socio-professionnels urbains, comme le Niu (buffle), connecté à Internet, proposé par la société Niu Technology de Beijing. Son fondateur Li Yinan explique : « C'est un peu en hommage à nos ancêtres, qui travaillaient à dos de buffle, que j'ai choisi ce nom de marque ».

D'autre part, la proximité qui existe entre les constructeurs et la distribution fait que l'on peut sans cesse expérimenter des idées nouvelles. Les normes de mise sur le marché ne sont pas aussi draconiennes qu'en Europe ou aux États-Unis : il suffit de quelques mois pour qu'un prototype soit mis en vente sur Internet, testé par les utilisateurs, amélioré par les constructeurs. Voyez le monowheel (roues électriques sans selle ni guidon) ou les trottinettes électriques : des produits nouveaux apparaissent tous les jours en Chine, dont certains sont voués au succès, d'autres à l'échec... ou au rattrapage, grâce à des innovations encore plus audacieuses. Ainsi, le boom des achats sur Internet livrés à domicile (Taobao, Amazon, mais aussi pizzas et hamburgers) n'aurait pas été possible sans ces incroyables petits camions électriques qui se faufilent partout.

Ramener le fun dans les transports

Impossible de ne pas évoquer la société Evoke lorsqu'on parle d'innovation dans les véhicules électriques. Cette start-up, créée en 2014 par un Chinois canadien et un Américain grandi en Chine, s'est donnée pour objectif de ramener le fun dans la jungle urbaine.

Rendre plaisants les déplacements en ville ? Des embouteillages ludiques ? J'avoue que leur concept m'a intrigué, et les questions se bousculent dans ma tête alors que je franchis le quatrième périphérique de Beijing, à la recherche de la zone industrielle où se dissimule leur petit atelier...

L'idée de départ de leur aventure, c'est que tous les types de véhicule ont leur version électrique adaptée pour la ville, sauf la moto. Normal : la moto, c'est un véhicule à part. Cher, dangereux, puissant, spectaculaire. Y changer quoi que ce soit semble voué à l'échec. Mais c'est un défi qu'Evoke a décidé de relever. Leurs yeux brillent alors qu'ils m'expliquent le pourquoi du comment.

« Nous sommes des passionnés de moto, m'explique Nathan Siy, chef de la petite entreprise. Mais rouler à moto, dans les villes asiatiques ultra-concentrées, ce n'est pas réaliste : les nuisances sont trop importantes. Alors nous avons réfléchi à une moto silencieuse et non-polluante. En deux ans de recherches et d'expérimentations, nous sommes arrivés à ce véhicule qui atteint une vitesse de 130 km/h et une autonomie de 160 km... bien plus cher qu'un scooter électrique, bien sûr, mais rien à voir avec le prix d'une Harley Davidson. » Mais les performances, la conduite, le plaisir, dans tout ça ? « Les performances de notre moto électrique ne sont pas inférieures à celles d'une moto classique ; elles sont différentes. Un moteur électrique est bien meilleur qu'un moteur thermique à basse vitesse : le couple se libère dès le démarrage, les sensations à vitesse réduite sont similaires à celles d'une moto très puissante de 500 ou 600 cm³... alors que la puissance effectivement déployée correspond à une moto de 250 cm³ ! » intervient Chris. « Ceux qui l'essayent sont instantanément convaincus », conclut-il.

Ils m'invitent à visiter leur atelier. « Nous n'avons vendu qu'une vingtaine d'exemplaires à ce jour, pratiquement des prototypes, m'explique Nathan. Le défi, désormais, c'est de trouver des investisseurs et d'étendre notre réseau de concessionnaires, pour devenir visibles sur le marché. Parallèlement, nous travaillons avec les autorités municipales pour adapter nos produits à la législation du trafic : pour l'instant nos motos sont considérées comme des scooters électriques ; mais leurs performances sont trop différentes et elles devraient former une classe à part. »

Une classe à part : c'est bien ce qui vient à l'esprit lorsqu'on admire ces bolides profilés, silencieux et puissants comme des tigres. Et comme on dit en Chine : « Le plus difficile, lorsqu'on chevauche un tigre, c'est d'en descendre. »

 

 

La Chine au présent

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