CHINAHOY

10-October-2015

La Cité interdite, un vieux musée face à de nouveaux défis

 

52 % de la Cité interdite sont ouverts aux visiteurs, contre 30 % en 2002.

 

Symbole de l'histoire impériale chinoise, la Cité interdite, aussi connue sous le nom de Musée du Palais en Chine, est en train de se moderniser et de relever des défis pour devenir un musée de haut niveau.

CHEN WEI*

Vendeurs de thé, diseurs de bonne aventure, palanquins et calèches, foule de piétons, boutiques achalandées et au loin, champs verdoyants traversés par la rivière Bian : voilà une scène de vie à Bianjing, la capitale des Song du Nord (960-1127), telle qu'elle est décrite dans la peinture Le Jour de Qingming au bord de la rivière, réalisée par Zhang Zeduan sous cette dynastie.

À partir du 8 septembre 2015 et jusqu'au 8 novembre, cette très célèbre peinture ainsi que 283 objets précieux des collections nationales seront exposés dans le pavillon Wuying et le pavillon Yanxi de la Cité interdite à Beijing.

C'est la première fois depuis dix ans que cette peinture sur soie est offerte aux yeux du public dans son intégralité. D'après le règlement du Musée de la Cité interdite, l'intervalle entre deux expositions de calligraphies et peintures de la dynastie des Yuan (1271-1368) et des époques antérieures ne doit pas être inférieur à trois ans. Si vous n'allez pas l'admirer cette année, vous ne pourrez voir cette peinture qu'après trois ans de « repos ».

Cette année marque le 90e anniversaire du Musée de la Cité interdite. À cette occasion, des œuvres des dynasties Yuan et Song, telles Calligraphie Boyuan et la peinture Promenade printanière, ainsi que des calligraphies et peintures de cinq empereurs des Qing (Shunzhi, Kangxi, Yongzheng, Qianlong et Jiaqing) seront exposées. Ces monarques étaient eux-mêmes calligraphes et peintres de talent. Leur règne marqua la période la plus prospère des Qing et une grande effervescence artistique.

« C'est une occasion exceptionnelle de voir toutes ces œuvres d'art exposées ensemble. De plus, chaque objet présenté est un véritable trésor », nous assure Zeng Jun, le directeur du service des calligraphies et peintures du musée.

D'autre part, cinq nouvelles zones du palais seront ouvertes au public, portant ainsi de 52 % à 65 % l'espace visitable dans le musée. Les jardins du pavillon Cining et du pavillon Shoukang seront ouverts aux visiteurs pour la première fois depuis 90 ans. Vous pourrez même vous promener sur le tronçon du mur d'enceinte allant de la porte Est à la porte du Midi et visiter la tour d'angle au coin de la forteresse. La Cité interdite a également mis en place 18 expositions pour offrir au public une visite riche et inoubliable.

Cité interdite ou Musée du Palais ?

La Cité interdite est le site touristique le plus visité de Beijing. Il y a dix ans, lors d'un voyage aux États-Unis, le conservateur de ce qu'on appelle en Chine le « Musée du Palais » s'est rendu compte, en parlant avec un conservateur de musée local, que ce dernier était perplexe et se demandait si la Cité interdite et le « Musée du Palais » étaient deux établissements différents.

La Cité interdite, construite par l'empereur Yongle des Ming vers 1406-1420, est située sur l'axe central de Beijing. Elle a été la résidence de 24 empereurs des dynasties Ming et Qing (1368-1911). C'est le plus grand complexe de bâtiments à structure en bois du monde. Elle fait partie des palais les plus anciens et les mieux conservés. Ledit « Musée du Palais », quant à lui, a été créé en 1925 au sein de la Cité interdite et est le seul musée dans le monde qui reçoit plus de dix millions de visiteurs par an. Selon les dernières statistiques, il compte au total 1 807 558 objets anciens enregistrés. Plus de 40 % des 4,01 millions de précieuses reliques chinoises sont conservées au Musée du Palais, soit une collection de 1,68 million de pièces.

Un musée qui n'attirait pas beaucoup de visiteurs

Un spectacle se rejoue tous les jours dans la Cité interdite : sur l'axe central de la porte Tian'anmen à la porte du Midi, les guides agitent frénétiquement leurs fanions et, haut-parleur à la main, s'égosillent pour faire avancer les touristes. Dans les pavillons de chaque côté des cours principales, personne. Or, dans le musée, près de 10 000 objets anciens sont exposés de façon permanente mais l'impression générale est que le musée est vide.

Un jour, au cours d'une inspection, devant l'entrée de la salle des horloges, Shan Jixiang a même entendu un guide crier aux membres de son groupe : « Entrez, mais vous n'avez que cinq minutes pour visiter ! ».

Les visiteurs ignorent que ce palais qui s'étend sur 1,12 million de m² compte 35 départements. Ce sont 1 500 employés qui travaillent en étroite collaboration avec une centaine d'organismes à l'entretien et à la réparation de ce que l'on voit : les portes, les fenêtres, les bancs, les tables en bois. Mais aussi de ce que l'on ne voit pas : les objets en or ou en pierres précieuses, les calligraphies, les peintures, les stèles, les jarres en cuivre, les monticules artificiels de rochers, ou encore les arbres centenaires et les pelouses qui sont confiés à des équipes spécialisées.

Nommé conservateur du musée en 2012, Shan Jixiang travaillait auparavant à l'office du patrimoine culturel et urbanistique de Beijing. Son ambition pour la Cité interdite : faire du « site touristique » un « musée » et transformer les « touristes » en « visiteurs ». Depuis qu'il est devenu conservateur, les choses ont bien changé : la Cité interdite ferme le lundi pour entretien ; une journée gratuite à titre d'essai a été organisée ; un quota de visiteurs quotidiens a été mis en place ; les billets d'entrée peuvent être achetés en ligne, etc. D'autres mesures ont été prises : déménagement des bureaux hors de l'enceinte du palais, ouverture de nouveaux guichets près de la porte du Midi, installation de toilettes pour femmes sur la place de la porte du Sud, etc. « Il faut respecter la dignité du monument, mais aussi celle des visiteurs », explique Shan Jixiang.

En fait, la Cité interdite ne se prêtait guère à devenir un musée. Les portes et les fenêtres de ses salles et pavillons, qui sont en bois, laissent entrer une quantité importante de poussière à l'intérieur. Pour éviter les risques d'incendie, jusqu'à ce jour, il n'y a toujours pas d'électricité dans certaines salles. Celles-ci n'ont pas non plus été réaménagées. D'autre part, « les salles du musée sont souvent coupées en cinq ou six pièces et ne communiquent pas entre elles. Cela complique la narration de l'exposition », explique Sun Miao, directeur adjoint du département des expositions.

C'est la raison pour laquelle différents moyens sont mis en place pour aménager chaque exposition, soit en utilisant un éclairage par fibre optique, du verre laminé (qui laisse passer 20 % de lumière), des vitrines d'exposition spéciales ou des vitres antiréfléchissantes.

En 2013, pour éliminer tout risque lié à la sécurité (notamment en cas d'incendie, cambriolage, secousse sismique), mais aussi toute détérioration des collections, la Cité interdite a lancé une campagne pour rénover les infrastructures et réaménager les entrepôts souterrains.

Les zones visitables du musée sont passées de 30 % en 2002 à 52 % aujourd'hui. En 2020, elles atteindront la limite de 76 %.

Le conservateur du musée a la volonté de dévoiler plus de collections aux visiteurs. Une équipe de 90 personnes, du plus haut niveau national, est chargée de la protection, de la restauration et de l'étude des objets historiques. Malheureusement, les résultats de son travail sont peu connus de l'extérieur. Le musée a donc organisé cette année une grande exposition des objets restaurés pour montrer le niveau atteint par la Chine dans les techniques de restauration.

 

Shan Jixiang présentant à Chengdu la nouvelle initiative pour la préservation de la Cité interdite.

 

Quand la Cité interdite rentre chez les gens

Pour son 90e anniversaire, la Cité interdite va publier en octobre prochain une série d'albums à colorier inédits intitulés Le plaisir de colorier la Cité interdite inspirés de l'album de coloriage The Secret Garden.

Il y a quelque temps, le musée a déjà organisé sur son Weibo officiel une activité du même genre. Il a proposé aux internautes trois dessins en noir et blanc représentant trois constructions anciennes, que ceux-ci doivent colorier de façon imaginative. Les internautes ont répondu avec enthousiasme au jeu et déployé tout leur talent : un internaute a fait un dessin avec du fil de couleur et des perles, un autre un dessin bleu avec un simple stylo à bille et un troisième a colorisé le dessin grâce à un logiciel de traitement d'images.

Le Centre de services culturels du musée existe depuis 60 ans déjà. Mais, autrefois, les produits dérivés qu'il produisait étaient pour la plupart des reproductions de pièces des collections. Du reste, la qualité était là, mais ils étaient très chers et pas faciles à transporter. Peu de gens les achetaient. En 2013, en prenant exemple sur le Musée de la Cité interdite à Taipei (Taiwan), des produits culturels qui joignent l'utile à l'agréable ont été développés.

Parmi ceux-ci, des écouteurs en forme de collier de perles, des éventails avec une citation d'un empereur disant : « Eh oui ! Sa majesté est comme elle est ! », des étiquettes de bagage marqué « silence absolu » (pancartes tenues devant le cortège d'un mandarin), des marque-page avec le motif de l'empereur Yongzheng en train de pêcher et des paquets de cartes à jouer sur lesquels est inscrit le poème du Pavillon des Orchidées (célèbre calligraphie de Wang Xizhi (303-361) de la dynastie des Jin de l'Est). Très rapidement, ces souvenirs ont eu un grand succès sur Internet, et ont permis à la Cité interdite de changer son image sérieuse et austère en une image plus détendue.

Shan Jixiang utilise lui-même un étui pour mobile avec un motif de robe que portaient les fonctionnaires des dynasties Ming et Qing. Et il la montre aux autres chaque fois qu'il donne une conférence. Dans un article, il préconise l'intégration des musées dans la société. Selon lui, « rendre populaire la culture des musées » est une mission : il faut renforcer l'interaction entre les musées et le public pour satisfaire la demande culturelle de ce dernier.

À ce jour, le musée a mis au point plus de 7 000 produits dérivés, y compris plusieurs applications pour smartphone : Les bons augures de la Cité interdite, Les beautés de l'empereur Yinzhen et La Cité interdite au quotidien, etc., qui sont plébiscitées par les utilisateurs. Parmi ces applications, celle intitulée Une journée de l'empereur a été créée spécialement pour les enfants. Ceux-ci peuvent savoir ce que faisait l'empereur du lever au coucher, et même jouer en ligne à monter à cheval et à tirer à l'arc en compagnie de l'empereur.

Aujourd'hui, la Cité interdite va encore plus loin. Elle coopère pour la première fois avec des producteurs de films pour mettre au point des produits dérivés culturels. C'est ainsi que, pour accompagner la projection du film The New Startling by each step, tout un panel de souvenirs a été commercialisé : magnets pour frigo, T-shirts, sacs écolo et tasses avec marqué « Sans précipitation et avec prudence » (règle de conduite de l'empereur Kangxi à son successeur).

La boutique en ligne du musée sur Taobao a été ouverte en 2008, mais elle ne connaît réellement le succès que depuis deux ans. Le 5 août dernier, une opération de promotion a été lancée : 1 500 supports pour téléphone mobile ont été vendus en une heure et 16 000 commandes ont été passées en un jour.

Une plus grande ouverture à l'international

En tant que musée national, la Cité interdite donne plutôt au public une impression d'austérité. Pourtant, même sans faire trop de publicité, les visiteurs affluent. Auparavant, ses responsables donnaient peu d'interviews à la presse et les Chinois, comme à l'époque de l'empereur, ne savaient pas ce qu'il s'y passait.

En 2011, le musée a dû faire face à une grave crise : le 8 mai, des objets d'art prêtés au musée Liang Yi de Hong Kong et exposés dans le pavillon Zhai ont été dérobés ; en juillet, une assiette en céladon vernissée, chef-d'œuvre de la porcelaine de style « Ge » de la dynastie des Song, a été brisée par maladresse par un chercheur lors d'un test de résistance. Ces incidents ont amené les gestionnaires du musée à réfléchir sur la transparence au sein de la gestion de l'établissement. Pour eux, chaque citoyen doit être au courant de ce qui se passe au musée et être assuré de son droit de participation à la gestion de ses affaires.

En entrant dans ses fonctions, Shan Jixiang s'est donné pour mission de tenir 500 conférences pour les médias, les élèves, le personnel du musée et le grand public. Cet objectif a été dépassé. Tous les deux mois, l'établissement organise un point presse pour tenir les médias au courant de la marche de son travail et de la liste des tâches à accomplir dans la prochaine période.

En 2009, pour la première fois depuis 60 ans, les conservateurs des musées de la Cité interdite de Taipei et de Beijing se sont rencontrés. Cela a été qualifié de « voyage brise-glace ». Par la suite, les échanges de personnels et chercheurs entre les deux institutions se sont multipliés. En octobre, à l'occasion du 90e anniversaire du Musée de la Cité interdite à Beijing, le Musée de Taipei prête à celui-ci huit œuvres de Giuseppe Castiglione (peintre jésuite à la cour des Qing) pour organiser l'Exposition du 300e anniversaire de la venue de Giuseppe Castiglione en Chine. En même temps est tenu le 5e séminaire académique entre les deux musées.

Actuellement, les deux musées coopèrent pour éditer une nouvelle compilation des collections rares des œuvres de l'empereur Qianlong, Tianlulinlang.

Le Centre international de formation pour les musées relevant du Conseil international des musées a été créé le 1er juillet 2013 au Musée de la Cité interdite. Il s'agit du premier organisme de formation professionnel en muséologie pour les pays en développement, en particulier, ceux d'Asie-Pacifique. En novembre de la même année, le premier stage y a été organisé. Une trentaine d'experts en muséologie d'Afrique et d'Amérique latine y ont participé.

En avril dernier, l'Institut international pour la conservation des œuvres historiques et artistiques a conclu un accord-cadre avec le musée pour créer le Centre de formation de l'Association internationale pour la restauration des objets historiques. Le but est de promouvoir les recherches et les échanges dans le domaine de la réparation des œuvres d'art sur le plan international et d'améliorer le niveau technique de restauration dans les pays en développement et ceux de la région Asie-Pacifique.

La Cité interdite a également établi des partenariats avec le Musée du Louvre, le Musée national de Tokyo, l'Institut allemand d'archéologie et d'autres établissements de recherches scientifiques.

Il ne faudrait pas oublier de mentionner le fait qu'à partir de 2013, la Cité interdite a fait appel à des experts externes au musée pour restaurer certains des objets de ses collections. Dans l'arrondissement Dongcheng de Beijing, on trouve de nombreux artisans spécialisés dans les arts artisanaux traditionnels comme les laques, les cloisonnés, les objets en jade, des lanternes, des sculptures en ivoire. Certains sont des disciples des descendants des artisans de la Fabrique impériale de la dynastie des Qing. Ces artisans aident maintenant le musée à restaurer les objets et œuvres d'art qui en ont le plus besoin.

Cette année, en collaboration avec l'École professionnelle internationale de Beijing, le musée y a ouvert un département de protection des monuments et objets historiques. D'autre part, une série d'activités, dont des conférences, ont été organisées avec l'aide du musée pour y attirer davantage de visiteurs et élever sa notoriété.

En un mot, la Cité interdite, figure de l'histoire et de la tradition, est en train d'évoluer pour devenir un établissement plus spécialisé, plus ouvert et plus proche du public.

 

*CHEN WEI est journaliste à China News Weekly.

 

 

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