CHINAHOY

5-August-2015

Poésie urbaine,de Beijing à New York

 

M2B dans un hutong en 2011.

 

L’art pur, c’est ce qui ne sert à rien et donc ne se vend pas… Nicolas de Lafaye illustre ce principe avec son tricycle vagabond qui, après avoir sillonné la Chine et vadrouillé en France, se dirige maintenant vers les États-Unis…

CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction

Nicolas de Lafaye est un artiste, ou plutôt il se définit lui-même comme un « poète urbain ». Qu’est-ce que la poésie urbaine, allez-vous me demander ? C’est bien sûr la première question que je lui ai posée. Et tout de suite j’ai vu s’allumer ses yeux rieurs derrière ses verres épais, sa barbe s’est mise à frémir d’aise, tandis que les explications se déversaient déjà en torrent impétueux.

La poésie urbaine, pour Niko, c’est créer une interférence dans le trafic. Dans la grande ville, le trafic semble chaotique, mais tous ces véhicules effectuent des trajets utilitaires, relient un point A à un point B pour une raison X. Le véhicule de Niko, lui, est une « structure inutile » qui vit sa vie et se promène sans rien vendre, ni acheter, ni transporter, sans but, sans objectif, sans contrainte. Un électron libre. Une plate-forme qui ne fait rien d’autre que son propre spectacle.

M2B

Nicolas avait commencé par travailler sur un « muks » (mobile urban kinetic sculpture), c’est-à-dire une sculpture mobile et changeante. C’était l’hiver 2010-11. Comme il était à Beijing, il a voulu partir des éléments qu’il avait à sa disposition, et c’est ainsi qu’il a dessiné et fait fabriquer par un shifu (maître) local une sorte de cadre cubique en acier dans lequel l’espace est divisé en sous-ensembles où évoluent des formes. Chacun des huit coins du cube porte un trigramme symbolisant les principes taoïstes qui régissent l’univers. Une représentation de l’univers, si l’on veut, représentation au sens visuel mais aussi dans le sens d’un spectacle de théâtre. Ce cube est installé sur un de ces sanlunche (triporteurs) que l’on croise partout en Chine. L’idée de départ était de circuler dans Beijing avec cette représentation du cosmos et la faire découvrir aux habitants des hutong, comme un happening qui allait les intriguer, les faire réagir, les interpeler.

Mais Nicolas s’est vite rendu compte qu’une œuvre artistique est l’enfant de son auteur. D’abord petite, faible et malhabile, elle requiert une attention de tous les instants. Et puis elle grandit et acquiert petit à petit son autonomie. Sa volonté propre commence à s’affirmer. Le tricycle portant le modèle du monde est présenté à l’ouverture du festival Croisements 2011, organisé par le Centre culturel de l’ambassade de France à Beijing.

Puis il est invité à Shanghai. Nicolas décide de faire de ce trajet un nouvel événement, et il prend la route sur son triporteur avec pour tout bagage une petite valise d’effets personnels, s’arrêtant dans les villages du bord de la route, comme un colporteur de rêve, un représentant du monde artistique dans des provinces pragmatiques. « Que vends-tu ? » lui demandait-on invariablement à chaque étape. « Rien » répondait-il toujours, suscitant l’étonnement amusé, l’incompréhension, les questions et les haussements d’épaules. Pourquoi sillonner ainsi le pays sans vendre ni acheter ni transporter quoi que ce soit ? Comment détourner un véhicule utilitaire plus complètement de sa mission habituelle ?

Le mobile poursuit alors sa route vers Hong Kong. Il est désormais motorisé, propulsé par l’un de ces increvables petits moteurs électriques que l’on voit sur les triporteurs chinois. Puis revient à Beijing, où le film du périple de 3 400 km est présenté dans le club Zajia. Il est ensuite nommé Ambassadeur culturel du cinquantenaire des relations diplomatiques sino-françaises, et à ce titre se retrouve exposé à Paris en 2014.

Fidèle à sa tradition nomade, le mobile a bien sûr parcouru les rues de Paris, visitant à l’instar des touristes chinois les principaux monuments historiques de la capitale… mais il retrouvait aussi ici ses racines, puisque Paris est la ville des inspirateurs du projet initial, Nicolas Schöffer et Eléonore de Lavandeyra Schöffer. Ils invitent Nicolas à une performance à la Villa des Arts en octobre 2014 où le mobile, son histoire, le film de son périple, sont présentés aux Parisiens...

 

Devant la Tour des tambours à Beijing en 2011.

 

Prochain défi

Le prochain défi du tricycle « d’inspiration française mais à l’ADN chinois » sera de représenter la Chine à New York pour l’Année internationale de la lumière organisée par l’UNESCO. Le mobile est d’ores et déjà sélectionné par le programme officiel du festival, et il bénéficie de multiples soutiens, comme celui de l’ambassade de France à Beijing, de la Mairie de Paris et du Consulat de France à New York. Cette nouvelle destination n’est pas anodine : New York est depuis 1980 jumelée officiellement avec Beijing. Le carrefour mondial abrite aussi d’importantes communautés chinoise et européenne. Il est donc très logique qu’après une enfance en Chine, la croissance de l’œuvre se poursuive, qu’elle devienne désormais un messager universel transmettant de continent en continent son message poétique.

« Où s’arrêtera-t-elle ? se demande Nicolas qui ajoute : depuis le début du projet, je sais qu’à un moment le Mobile Urban Kinetic Sculpture se transformera en Butterfly Effect Kinetic Sculpture. M2B, de M à B, c’est bien cela que veut dire le nom du projet. A un moment, la représentation itinérante va forcément devenir une représentation fixe. Ses changements de forme resteront alors localisées en un point, sans cesser pour autant de changer le monde, par l’ « effet papillon » qui stipule qu’un mouvement insignifiant ici peut, de proche en proche, entraîner des implications et des conséquences imprévues, des interactions nouvelles, et finalement déclencher un cyclone à l’autre bout du monde. »

Provoquer un coup de vent dans les esprits, un cyclone dans les représentations : telle est finalement l’ambition de toute œuvre d’art. De Beijing à New York, le tricycle chinois a le vent en poupe.

 

 

La Chine au présent

Liens