CHINAHOY

29-December-2014

Apprendre le chinois…dès le primaire !

 

Un cours de chinois à l'École La Nativité, à Aix-en-Provence. PHOTO FOURNIE PAR L'ÉCOLE LA NATIVITÉ

 

Enquête sur une nouvelle tendance en France : l'étude du chinois dans les écoles élémentaires.

 

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

 

Ces dernières années, il est très populaire d'étudier la langue la plus parlée dans le monde ! À l'heure actuelle, ce sont près de 40 000 Français qui se sont lancés dans cette aventure linguistique et culturelle, des effectifs en hausse de 400 % sur une décennie. Le chinois est actuellement la 5e langue la plus enseignée en France.

Face aux phénomènes de mondialisation et de migration des populations, l'Éducation nationale prête un intérêt croissant à l'apprentissage des langues. L'anglais, considéré comme la lingua franca du monde, est devenu une discipline quasiment obligatoire dès l'entrée au CP. Mais certains écoliers, qu'on évalue au nombre de 4 500, font en plus l'expérience de la langue de Confucius dans les quelque 40 établissements qui en offrent la possibilité.

De multiples avantages

Joël Bellassen a été l'initiateur d'une « innovation pédagogique » dans l'Hexagone : en 1987, il a proposé des leçons de chinois pour les plus petits à l'École alsacienne de Paris, dans laquelle il était professeur. « Au milieu des années 80, j'ai lu une panoplie d'articles de neurolinguistique et j'ai découvert que le chinois mobilisait l'activité cérébrale différemment du français. Mon objectif à l'époque était alors d'utiliser le chinois comme matière d'éveil, à travers la reconnaissance des tons et l'écriture des caractères. »

Il ajoute que le passage d'une langue à une autre est un bon moyen de « muscler le cerveau ». Le passage d'une écriture analytique (français) à une écriture idéographique (chinois) s'avère un défi supplémentaire pour nos neurones. Les sujets bilingues développent ainsi une certaine « agilité mentale ». D'après une récente étude américaine, apprendre une langue orientale permettrait même de prévenir la maladie d'Alzheimer !

Par ailleurs, les experts sont unanimes sur le fait qu'il est préférable d'apprendre une langue tôt pour pouvoir la parler tel un natif. L'oreille des petits est plus malléable que celle des adultes. Les plus jeunes ont la capacité d'intégrer et de répéter beaucoup mieux les sons perçus. Mais dès 8-10 ans, il est déjà trop tard : leur oreille commence à se fermer aux sons qui ne sont pas présents dans leur quotidien.

Enfin, « le chinois étant une langue réputée difficile, autant commencer à l'apprendre tôt, indique Élisabeth Zéboulon, directrice de l'école Jeannine Manuel à Paris. Notre enseignement cible la compréhension internationale, avec un intérêt particulier pour l'Asie. » Agnès Holtzheyer, directrice de l'école La Nativité à Aix-en-Provence, commente : « Nous enseignons le chinois depuis 2005 aux CM1 et CM2 en cours facultatifs, à raison de 1 h par semaine. Actuellement, sur le marché du travail, savoir parler anglais n'est plus suffisant. Il est nécessaire de maîtriser d'autres langues. Et le chinois compte parmi les langues porteuses, du fait du développement fulgurant de la Chine et de la quantité de ses locuteurs. Se débrouiller en chinois sera sans doute un vrai bagage pour ces enfants. D'autant que le nombre de touristes chinois ne cesse de se multiplier dans notre région du Sud de la France. »

Mme Zéboulon ajoute : « Notre credo, c'est que la culture passe à travers la langue. En étudiant le chinois, les enfants s'ouvrent progressivement au monde asiatique. » Véronique Rousseau et Marie-Christine Criard, à l'origine du programme d'éducation aux langues et plurilinguisme institué en 2006 dans la petite école de La Genette à La Rochelle, opinent : « Notre objectif n'est pas uniquement l'apprentissage du chinois. De prime abord, nous voulons ouvrir les enfants à une diversité de langues et cultures, pour les "décentrer" par rapport à la langue française. Bien sûr, il y a une portée civique derrière. »

Outre l'esprit de tolérance que l'apprentissage du chinois peut renforcer, Mme Criard révèle un autre atout : « En français, lorsque l'on ne comprend pas un texte, on lance "C'est du chinois !", ce qui souligne la difficulté de cette langue. Les élèves sinisants ont ainsi ce sentiment de comprendre quelque chose d'ardu et de spécial, que même les adultes ne connaissent pas. Ils prennent alors goût à l'effort. De plus, comme ils débutent tous au niveau 0, certains voient le chinois comme une occasion de redorer leur blason scolaire. »

Des méthodes pédagogiques diverses

Vous l'aurez compris : l'apprentissage du chinois apporterait aux plus jeunes une panoplie de bénéfices. Interrogeons-nous désormais sur les méthodes d'enseignement employées.

D'après nos recherches, les manuels de chinois pour les primaires commencent à se développer, mais peu sont encore utilisés au sein des classes. Les enseignants, d'origine chinoise pour la grande majorité, choisissent eux-mêmes la pédagogie qui leur semble la plus adéquate.

Aux écoles La Nativité et Jeannine Manuel, l'accent est mis d'abord sur l'oral et l'écrit vient ensuite, selon les recommandations de l'inspecteur général du chinois. « Il faut tenir compte à mon avis de la charge cognitive propre à l'enfant, précise Joël Bellassen. À cet effet, je préconise depuis toujours de séparer l'oral et le graphique. Ils doivent apprendre les termes les plus utiles, mais il n'est pas nécessaire qu'ils sachent les écrire, car ceux-ci peuvent s'avérer compliqués. "Merci" (谢谢xiexie) en est un bon exemple. Toutefois, il ne faut pas pour autant faire l'impasse sur l'écriture, mais leur présenter des caractères simples (木 mu, 林 lin, 森 sen…) pour faire grandir leur intérêt à l'égard de cette langue. »

L'école de La Genette, quant à elle, ouvre une fenêtre sur la langue chinoise par le biais de la littérature. « Nous travaillons donc à partir d'œuvres culturelles réputées, comme L'Épopée du Roi Singe et Le cerf-volant du bout du monde, de sorte à émerveiller les élèves. Ils se laissent alors emporter dans la magie du chinois. »

Par ailleurs, des activités plus ludiques permettent aux enfants de réutiliser leurs connaissances. « Pour apprendre à écrire certains caractères, les élèves les tracent dans l'air en faisant des mouvements comme du tai-chi, suivant l'exemple de leur professeur, décrit Mme Rousseau. En outre, chaque fin d'année, les élèves montent sur scène au théâtre L'Horizon de la Rochelle et interprètent en chinois une pièce qu'eux-mêmes ont écrite. »

D'après les programmes de l'Éducation nationale, les élèves sont censés accéder à un niveau A1 (niveau élémentaire) à la fin du primaire. Toutefois, il est encore difficile de déterminer si cet objectif est réellement atteint. « À la fin du CM2, les élèves sont capables de se présenter en chinois, de compter, de dire les couleurs, etc... Mais il n'y a pas d'évaluation à proprement parler. L'objectif est avant tout privé », explique Mme Holtzheyer. En revanche, à l'école Jeannine Manuel, où les inscrits commencent le chinois dès le CP, on place la barre très haut. « Les élèves doivent être capables de passer le HSK 4, soit l'équivalent du niveau B2 (niveau avancé) », indique Mme Zéboulon.

L'accueil favorable des divers intéressés

Néanmoins, les directrices d'école, bien que croyant aux bénéfices du chinois pour les enfants, avouent être un peu désarmées... « Moi-même ne parlant pas chinois, il m'est difficile de contrôler la pédagogie », confie Mme Holtzheyer.

Toutefois, toutes observent chez les petits un vif attrait pour cette discipline « exotique ». « Les enfants manifestent une curiosité naturelle pour les langues étrangères. Ils sont très motivés. Dans certains cas, ce sont les élèves eux-mêmes qui ont choisi de faire du chinois », note Mme Holtzheyer. Mme Zéboulon fait remarquer : « Il s'agit d'une langue difficile, mais les élèves l'adorent, ils s'accrochent. D'ailleurs, 90 % poursuivent son apprentissage au collège. »

Nous vérifions directement auprès d'une classe de CE2 à l'école La Genette. Quand nous leur demandons « Qui parmi vous aime les cours de chinois ? », tous lèvent la main à l'unanimité. La majorité explique qu'ils peinent un peu pour la prononciation, mais qu'écrire des caractères basiques n'est pas compliqué. Toutefois, certains s'inquiètent de la masse de travail qu'il leur reste à abattre...

Pour ce qui est de l'avis des parents, il est moins homogène, selon les dires des directrices d'école. Certains sont très contents et fiers que leurs enfants étudient une langue orientale, considérant que la maîtrise du chinois sera certainement un plus pour leur avenir ; d'autres ne comprennent pas vraiment l'intérêt d'apprendre plusieurs langues aux petits qui commettent déjà des erreurs en français. Cette catégorie de parents craint que leur enfant se sente surchargé ou que la découverte du chinois se fasse au détriment des matières traditionnelles, comme le français, les mathématiques ou l'histoire-géographie.

Des difficultés pour généraliser cette nouvelle discipline

« Le chinois est encore peu enseigné dans les écoles primaires, regrette Joël Bellassen, et ce pour des raisons objectives. Le nombre d'heures totales que doivent suivre les élèves est réglementé. Et le chinois ne peut être choisi à la place de l'anglais, devenu obligatoire. » Les établissements doivent respecter le cadre horaire imposé par l'Éducation nationale. Il peut s'avérer difficile d'intercaler 1 ou 2 h de chinois dans l'emploi du temps des écoliers. C'est notamment pour cela que des sections internationales se sont développées dans la plupart des académies, selon la volonté des recteurs. Les établissements disposant de ce statut accueillent des élèves français et étrangers, qui suivent au moins 3 h d'enseignement en langue vivante étrangère. Une quarantaine propose le chinois.

Toutefois, à l'école « traditionnelle » de La Genette, on s'est battu pour faire entrer le chinois dans la liste des disciplines enseignées. Mme Rousseau explique : « Nous ne voulions pas réduire la découverte des langues étrangères à l'anglais. Alors, en complément, nous avons mis à profit des potentiels existants. Une de nos professeurs est bilingue en espagnol, elle a enseigné cette langue aux enfants par exemple. Nous avons également invité les parents des élèves étrangers, d'où qu'ils viennent, à venir faire une brève présentation de leur langue maternelle ou dialecte devant la classe. Cette démarche ne suppose aucun frais : tous les établissements sont en mesure de faire de même pour montrer aux élèves que d'autres systèmes de grammaire, d'écriture, de pensées existent. » Néanmoins, La Rochelle ayant fait le choix de se tourner vers l'Asie-Pacifique, le chinois apparaissait comme une évidence. Elle poursuit : « Notre école a bâti un projet spécifique en 2006, s'appuyant sur le contexte géographique. Le chinois étant déjà enseigné dans certains collèges, lycées et universités de la ville, nous demandions à proposer une discipline que les élèves auraient l'occasion de poursuivre, tout comme l'anglais est imposé dans un souci de continuité de l'apprentissage. Le rectorat a trouvé ce projet fort intéressant et l'a donc ratifié. » À travers ces paroles, on comprend que pour pouvoir offrir un enseignement régulier du chinois en primaire, il est indispensable que cette langue soit déjà en option dans les niveaux supérieurs, ce qui pose souvent problème.

Autre difficulté pour certains établissements : trouver des professeurs et surtout, avoir les moyens de les payer. « Au début, nous recevions un financement de la part de l'Académie, précise Mme Holtzheyer. Puis celle-ci a préféré limiter sa contribution aux cours d'italien, l'Italie étant limitrophe à notre région. Néanmoins, depuis deux ans, nous maintenons notre projet d'enseignement du chinois grâce au soutien financier de l'organisme de gestion de l'école. » À l'école La Genette, l'argent est aussi une source de préoccupation pour assurer les cours de chinois : « C'est Mme Grenié (voir numéro de novembre), qui, à son retour de Chine, a commencé à prendre en charge bénévolement les cours de chinois. À la rentrée 2006, suite à l'autorisation du recteur, ces heures ont pu être rémunérées. Toutefois, pendant un an et demi, l'administration a interrompu la rémunération du professeur de chinois et nous avons été contraints de supprimer cette discipline. Aujourd'hui, nous comptons deux types d'intervenant : un professeur payé par l'Éducation nationale et une stagiaire longue durée à l'institut Confucius de La Rochelle. »

En conclusion, le chinois, langue quatre fois millénaire mais également langue d'avenir, ouvre une fenêtre sur la culture asiatique. À ce compte-là, beaucoup estiment qu'il serait utile de l'apprendre aux plus jeunes, qui en plus en redemandent. Mais cette ambition se heurte parfois aux réalités de l'enseignement primaire... Pourtant, selon Joël Bellassen, la France demeure en Europe le principal pays initiateur et moteur de ce phénomène d'enseignement du chinois au primaire.

 

La Chine au présent

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