CHINAHOY

29-September-2014

La médecine traditionnelle chinoise en France

 

Le 16 avril 2007, à Suzhou, une classe internationale enseignant les fondamentaux de l'acupuncture, du massage tuina et du guasha (grattage) a été créée. (CFP)

 

La médecine traditionnelle chinoise s'attire de plus en plus les faveurs des Français. Comment ceux-ci considèrent-ils cette méthode de traitement venue de loin ? Quels rôles joue-t-elle dans la société française ? Analyse.

ZHANG JINLING*

Plus qu'une solution vers laquelle se tournent certains pour guérir leurs petits maux, il semblerait que la médecine traditionnelle chinoise (MTC) soit devenue dans la société française actuelle une sorte de mode, alliant entraînement physique, alimentation équilibrée et règles de vie. En outre, la MTC renvoie à d'autres domaines culturels, comme l'apprentissage du chinois, la collection d'objets d'art chinois, la pratique du qigong ou du tai-chi, l'étude du fengshui ou du Yi Jing (Livre des mutations), le cinéma chinois, le tourisme culturel en Chine, etc. Pour les Français, il s'agit d'un tout. Un tout qui est devenu un « bien culturel » en vogue sur le marché, estampillé « fabriqué en Chine » culturellement parlant.

La diffusion de la MTC en France

D'après les experts, la MTC serait arrivée dans l'Hexagone il y a déjà plus de 700 ans. La France est d'ailleurs vue comme le 2e « foyer » de la MTC, signe que cette derrnière s'est déjà acquis une assez bonne renommée auprès de la société française.

C'est l'Italien Marco Polo qui le premier introduisit la MTC en Europe, au XIIIe siècle. À partir du XVIIe siècle, des hommes d'affaires, des diplomates et bon nombre de missionnaires européens, dont des Français, jouèrent un rôle majeur dans la diffusion vers l'Ouest de la MTC. À la même époque, une grande quantité de livres sur la MTC, compilés pour la grande majorité par des missionnaires et sinologues, commencèrent à faire leur apparition en France. Jusqu'au XXe siècle, des professionnels de la santé participèrent à la promotion de la MTC en France, cherchant à généraliser cette spécialité. Dans le même temps, les publications sur la MTC se multiplièrent et les centres de MTC proliférèrent, un phénomène hautement stimulé par la diaspora chinoise en France.

De nos jours, les médias en tous genres constituent un puissant outil de diffusion de la MTC en France. À mesure que les Français découvrent la MTC, croît le nombre d'adeptes, de centres de MTC et de personnel soignant spécialisé. Les travaux de recherche à cet égard ont également gagné en rayonnement. Dès 1996, à l'initiative conjointe des ministères de la Santé chinois et français, Paris a ouvert son tout premier hôpital de MTC. Il a été bâti par l'Union européenne et l'Unesco, avec l'aide de l'Organisation mondiale de la santé.

Alors que je préparais mon doctorat à Lyon, j'ai fait la connaissance de Marianne, une Française fascinée par la culture chinoise. Par la suite, nous sommes devenus très bons amis. Marianne affectionne particulièrement la MTC, à laquelle elle a recours lorsqu'elle ne se sent pas en forme. Par ailleurs, elle pratique le tai-chi, mène des recherches sur l'art du fengshui et loue le Yi Jing au plus haut point. Elle ne recule devant aucune expérience nouvelle ! Alors qu'elle approchait la cinquantaine, elle s'est mise à étudier le mandarin, afin de mieux appréhender la culture chinoise. Parfois, elle prend part à des classes de chinois proposées par des associations et s'est même inscrite à l'université pour y suivre un cursus de chinois.

D'après mes observations, la MTC interprète grosso modo 5 rôles dans l'esprit des Français : une méthode de traitement, une voie de conditionnement physique, une philosophie, une fenêtre sur la culture chinoise, ainsi qu'un bien de consommation.

Le rôle de la MTC dans la société française

Aux yeux des Français, la MTC est avant tout une méthode de traitement à fortes caractéristiques chinoises. Il n'est pas rare que des médecins utilisent des herbes médicinales chinoises, l'acupuncture ou le massage tuina pour soigner leurs patients. Mais parmi ces thérapeutiques, il est à noter que l'acupuncture est la mieux accueillie par les Français, notamment pour ses effets curatifs magiques.

J'ai découvert qu'il est assez populaire chez les Français de se tourner vers la MTC pour remédier à des désordres physiologiques (fatigue, insomnie, nervosité, manque de vitalité...). De plus en plus choisissent même un praticien de MTC comme médecin traitant. Aujourd'hui, de nombreux centres de MTC sont installés à Lyon. En témoignent les nombreuses publicités dans la presse locale. Et bien sûr, parmi les gérants de ces cliniques, on retrouve des Chinois, mais également des Asiatiques venus d'ailleurs et des Français.

Bien que la communauté scientifique française mette en doute la scientificité de la MTC, il semblerait que la population continue de croire fermement en l'efficacité de l'acupuncture. En revanche, les herbes médicinales chinoises sont relativement moins sollicitées en France. Pourtant, les « remèdes de grands-mères » français recourent également aux plantes traditionnellement. Ainsi, les herbes médicinales chinoises possèdent « naturellement » un aspect culturel digne d'éveiller l'intérêt des Français. Par ailleurs, les profondes connaissances botaniques de la MTC en surprennent plus d'un.

La sagesse associée à la MTC gagne en reconnaissance. Outre les consultations, se développent des guides d'auto-soins, des « coups de pouce » à la vie quotidienne qui entrent progressivement dans les foyers français. Cependant, ces livres en rapport avec la MTC sont présents essentiellement chez les amoureux de la culture chinoise. De plus, la plupart des Français voient davantage la MTC comme une forme de culture plutôt qu'une méthode de traitement à proprement parler.

Outre l'acupuncture, les Français connaissent également de la MTC les bienfaits du massage tuina, d'une bonne alimentation et de l'exercice physique (qigong, tai-chi), en accord avec la tendance de la société française à prendre soin de son corps. À l'heure actuelle, certains Français s'inspirent de la MTC pour se maintenir en forme et manger sainement, d'une part ; et d'autre part, de plus en plus pratiquent le qigong ou le tai-chi pour renforcer leur condition physique. Selon Marianne, le tai-chi peut aider à gérer le stress, à éliminer les tensions et à se sentir plus en harmonie avec son propre corps. Elle a appris à mieux coordonner ses mouvements, à améliorer sa précision et à prendre davantage confiance en elle. D'après elle, le tai-chi s'apparente à une philosophie « pratique », qui vise le maintien de l'équilibre, la flexibilité, la vitalité, la maîtrise de soi et enfin, la liberté spirituelle.

Marianne connaît la MTC depuis de nombreuses années, mais demeure néanmoins frappée par la philosophie que celle-ci renferme. Pour elle, la médecine occidentale (MO) omet la prévention : elle n'a jamais su comment aider les gens à rester en bonne santé, ni ne leur a jamais enseigné comment restaurer leurs forces. À l'inverse de la MTC, la MO semble s'intéresser à la maladie plus qu'au malade. « Nos médecins occidentaux progressent constamment dans la recherche, développant de nouveaux médicaments et de nouveaux outils de diagnostic. Ils privilégient une méthode de traitement chimique, de plus en plus complexe à mettre en œuvre, de plus en plus chère et dont l'efficacité est moindre, quand bien même les effets n'en sont pas nuisibles », m'a un jour expliqué Marianne. Elle apprécie particulièrement ce concept de « juste milieu » au cœur de la MTC, un concept qu'elle essaie d'étendre à sa vie professionnelle et quotidienne : modérer ses actes pour ne pas tomber dans les extrêmes. Elle estime que dans notre société moderne, les gens ne semblent pas comprendre ce principe de « modération », gaspillant alors leur « capital santé ».

Au fil de mon enquête, j'ai remarqué que les Français appréciant la MTC, au travers de méthodes et idées de traitement médical ou de conditionnement physique, peuvent en saisir la philosophie sous-jacente. Nombreux sont ceux qui approuvent particulièrement les concepts de globalité et de traitement par différenciation des syndromes soulignés dans la MTC, des notions illustrées distinctement par le yin et le yang. D'ailleurs, ces termes spécifiques « yin et yang », directement empruntés du chinois, sont communément employés en français.

Entre-temps, la MTC est devenue pour les Français une fenêtre sur la culture chinoise. De nos jours, à Lyon par exemple, il existe des associations avec pour objet principal la promotion de la MTC, lesquelles proposent des activités telles que formations, cours... Ces associations soutiennent également d'autres disciplines culturelles chinoises, en enseignant entre autres le mandarin, le qigong, le tai-chi, etc. Nous pouvons donc en conclure que la MTC et d'autres éléments culturels chinois sont autant d'intermédiaires qui permettent aux Français d'entrer en contact avec la culture chinoise, pour mieux la comprendre.

Marianne a été membre de nombreuses associations en ce genre, sans jamais s'en lasser. Mais elle m'a confié que ces services ont un coût. En France, la consultation en MTC est relativement chère, tout comme le sont le matériel médical (ventouses...) ou les stages de formation. Cette passion croissante des Français à l'égard de la MTC renferme un énorme potentiel commercial.

Encore un long chemin à parcourir...

Au fil des siècles, elle a progressivement conquis la confiance de la société civile française et a établi une assise culturelle. Ainsi, si la MTC est largement admise dans la société française d'aujourd'hui, ce n'est pas parce qu'une élite l'a promue, mais parce qu'elle existe en tant que culture, déjà ancrée dans le quotidien de gens ordinaires.

Toutefois, il convient de noter que cette MTC aux couleurs de la Chine qui se développe en France apparaît encore comme un « autre culturel », de par ses côtés exotiques. Ce sont justement les différences culturelles qu'elle affiche qui retiennent l'attention des Français. En liant contact avec la MTC ou d'autres champs culturels propres à la Chine, ces Français sont amenés à mener une expérience positive, ce qui attise d'autant plus leur envie de comprendre la culture chinoise.

En revanche, dans le système de soins français, la MTC n'est pas reconnue en tant que méthode de traitement. Elle n'est pas prise en charge par l'assurance maladie à l'heure actuelle. L'ordre social moderne empêche ainsi la MTC d'imprégner le quotidien des Français. De fait, c'est plutôt en tant qu'identité culturelle qu'elle existe dans la société française.

Cependant, la Chine et la France ont récemment entrepris des efforts conjoints pour promouvoir la coopération dans le domaine de la MTC. L'Éducation nationale a notamment commencé à délivrer des diplômes supérieurs de MTC. Une coopération médicale qui en outre permet les échanges culturels entre les deux peuples, ainsi qu'une pratique de la MTC plus consciencieuse. La MTC a déjà reçu un accueil très favorable sur le plan culturel ; puisse-t-elle désormais obtenir la place qu'elle mérite dans le système de soins français. À l'avenir, nous espérons que la MTC ne sera pas uniquement le symbole culturel d'une philosophie holistique aux yeux des Français, mais aussi une véritable méthode de traitement sur le plan institutionnel, pour venir compléter la médecine occidentale. De même, nous souhaitons qu'elle continue d'encourager l'interaction et la compréhension entre les peuples.

 

*ZHANG JINLING est chercheur associé à l'Institut d'études européennes de l'Académie des sciences sociales de Chine.

 

La Chine au présent

Liens