CHINAHOY

29-August-2014

Gan Zhiyou : diffuser l’art de la poterie dans le monde

 

Gan Zhiyou.

 

ZHOU LIN, membre de la rédaction

Héritier de la poterie Fuli, Gan Zhiyou en a fait sa vie, élargissant les recherches à ce sujet et créant de nouvelles œuvres en terre cuite. Aujourd'hui, il souhaite que cet artisanat acquière une notoriété au-delà des frontières de son village...

Depuis déjà 30 ans, les œuvres de l'artiste Gan Zhiyou ont gagné le respect des experts. Lors de l'exposition d'arts artisanaux folkloriques du Shandong tenue au Musée d'art national de Chine, Liang Rensheng, professeur à l'Académie centrale des beaux-arts et spécialiste en arts folkloriques, a déclaré tout excité aux visiteurs, alors qu'il tenait entre ses mains un lion en terre cuite mêlant originalité et réalisme : « Ce chef-d'œuvre aurait toute sa place au Centre Pompidou. Il est la preuve que l'art de la poterie est encore bien vivant en Chine. » De son côté, une intellectuelle japonaise dit être arrivée aux aurores au musée, rien que pour pouvoir admirer ce genre de pièces. Les poteries de Gan Zhiyou ont reçu un accueil favorable de la part du public, tant chinois qu'étranger, ce qui a conforté le créateur dans sa décision de diffuser son art dans le monde.

Déjà, en 1995, Gan Zhiyou s'était vu remettre le titre d'« artiste folklorique » par l'Unesco.

Fuli, foyer de la terre cuite

C'est dans les années 1950 qu'est né Gan Zhiyou, dans le vieux village de Fuli, situé dans le bourg de Xiji à Zaozhuang (Shandong). Un village caressé d'une vive passion pour la poterie !

D'après les souvenirs de Gan Zhiyou, Fuli abritait dans son enfance une cinquantaine d'ateliers de poterie de toute taille, dans lesquels les familles travaillaient jour et nuit. Partout, s'entendait le fracas des cruches ; les flammes rouges crépitant dans les fours éclairaient la nuit noire. Vers 3-4h du matin, avant que le jour commence à poindre, les hommes se levaient, puis transportaient sur une palanche leurs poteries bringuebalantes jusqu'au marché pour les y vendre ; à 17-18h, quand la nuit venait à tomber, ils rentraient joyeusement chez eux sans tarder, se partageant bruyamment les bénéfices du jour. Les femmes se mettaient alors à préparer le repas dans la cour. Ustensiles de cuisine s'entrechoquaient, tandis qu'une fumée s'élevait haut dans le ciel. Après leur journée bien remplie, les artisans s'amusaient, eux, à pourchasser leurs enfants espiègles en attendant le dîner. « 60 ans plus tard, ces images de vie harmonieuse restent profondément gravées dans ma mémoire. Je les vois encore quand je ferme les yeux, de sorte qu'il me serait difficile aujourd'hui de renoncer à mon amour pour la terre cuite », décrit Gan Zhiyou.

Selon un proverbe chinois, « toute terre engendre une culture ». Fuli, avec sa longue histoire, ne fait pas exception. Dans ce village, soi-disant lieu de naissance du légendaire Fuxi (l'un des trois Empereurs), ont été retrouvées des poteries réalisées à partir d'une centaine de matériaux divers et de procédés sans pareil, que les locaux surnomment « jouets ». L'art de la poterie Fuli remonte à plus de 5 600 ans déjà. Les articles en terre cuite servaient aux rites, à l'ornement et à la vie quotidienne.

Gan Zhiyou nous a précisé que la famille du côté de son père vivait principalement de la vente de poteries, notamment son oncle, très habile pour en façonner. Quant à lui, il compte pour la 6e génération de potiers du village. Sous l'influence de sa famille, il a établi des liens privilégiés avec ce que nous considérerions comme de la boue. Ainsi, il voyait un poulet, il créait un poulet ; il croisait un chien, il représentait un chien... Il faisait revivre la réalité. Les villageois l'avaient alors surnommé le « prodige de la poterie ».

Mais lorsque la Révolution culturelle a éclaté, les poteries ont été inclues sur la liste des « quatre vieilleries » à éliminer. Il se rappelle que les moules de tout le village avaient été réduits en un tas de débris... À seulement 15 ans, Gan Zhiyou, témoin de cette scène, avait décidé qu'un jour s'épanouirait à nouveau l'art folklorique de la poterie Fuli...

Faire renaître la poterie Fuli

« La chance ne sourit qu'aux esprits bien préparés », dixit Louis Pasteur. En 1978, Gan Zhiyou est devenu le responsable d'un centre culturel communautaire à Xiji, où il a véritablement entamé sa carrière de potier.

Et pour faire un bon pot, rien de tel qu'un bon moule ! « Les trois sortes de moules qui existaient dans ma famille, je les ai toujours vus comme des trésors. En vue de faire revivre l'art de la poterie Fuli, j'ai commencé par faire du porte-à-porte dans le village pour collectionner de vieux moules artisanaux. » C'est ainsi qu'il rencontra Gan Zhi'en, vieux potier solitaire de 85 ans. Ce fin connaisseur des « jouets » était en fait un cousin éloigné de Gan Zhiyou. Lorsque Gan Zhi'en tomba gravement malade, Gan Zhiyou s'empressa d'aller lui chercher des médicaments, puis resta à son chevet jour et nuit. Alors que le vieil homme était au seuil de la mort, il confia à Gan Zhiyou en désignant un jujubier : « En dessous, gît une ancienne cave à patates, dans laquelle j'ai dissimulé 16 moules. Ils ont été vitaux à plusieurs générations de notre village. C'est avec grand soulagement que je tiens à te les léguer. »

En possession de ces moules, Gan Zhiyou se mit en tête de reconstruire cette cave. Sans le sou, il vendit 250 kg de patates douces séchées qu'il stockait chez lui et deux parcelles de terre de sa famille. Il dépensa même les 500 yuans que son père avait économisés pour le mariage de son frère aîné. Dans les années 1980, 500 yuans permettaient de s'acheter un grand trois-pièces ! Gan Zhiyou, pleinement soutenu par ses proches, était plus que motivé. Il se disait : si je ne fais pas de la poterie, je décevrais mes ancêtres ! Mais tandis qu'il rebâtissait la cave, les parois de celle-ci se sont effondrées alors qu'il était à l'intérieur. Heureusement, les villageois sont intervenus à temps pour le mettre hors de danger. Sa jambe gauche et son bras droit gardent encore quelques cicatrices bien visibles de ce jour-là. Mais une fois rétabli, Gan Zhiyou s'était à nouveau consacré corps et âme à la reconstruction de cette cave.

Une fois celle-ci retapée, Gan Zhiyou se lança dans de laborieuses recherches sur l'art de la poterie. Pour comprendre celle de Fuli, il se mit à étudier en autodidacte 17 disciplines, dont l'archéologie, l'histoire, les arts artisanaux, l'évolution de la pensée chinoise, la calligraphie, la sculpture, le théâtre, la philologie, et même la physique-chimie. En outre, il sillona monts et rivières sur des dizaines et des dizaines de kilomètres pour rendre visite à plus d'une centaine de potiers, susceptibles de lui servir de professeurs.

Il souhaitait notamment apprendre le démoulage, étape cruciale dans la poterie. Pour ce faire, il parcourut un jour 35 km à vélo pour consulter la fabrique de pinceaux Yinping, au nord-est de Zaozhuang. « Je suis parti en toute hâte, sans même prendre d'argent sur moi. Du coup, je mourais de faim ! Et pour étancher ma soif, je buvais de l'eau en bordure des routes. Enfin, après tant d'efforts, j'avais trouvé un produit spécial pour le démoulage, que je souhaitais rapporter chez moi sur mon dos, dans un sac. Mais sur le retour, à mi-chemin, mon vélo m'a lâché. J'ai donc dû traîner mon véhicule ainsi que ce sac rempli de terre sur 20 km, à pied », raconte Gan Zhiyou, cette force de la nature.

Durant cette trentaine d'années d'études, de production et d'apprentissage, Gan Zhiyou a investi un total de 200 000 yuans dans l'extraction de la terre et dans la recherche. Mais finalement, il a trouvé le véritable sens de la poterie. Il en a produit plus de 100 sortes, qui reprennent les trois fonctions d'antan : objets rituels, ustensiles du quotidien et articles décoratifs. Respectant la méthode de production authentique des poteries Fuli, Gan Zhiyou s'est néanmoins permis des innovations audacieuses. Tout en maintenant le style artistique sobre d'autrefois, il a intégré des éléments esthétiques propres à la culture du village, cherchant la beauté dans le « vulgarisme extrême ».

Diffuser cet art populaire dans le monde

Une fois à la retraite, Gan Zhiyou s'est voué tout entier à la recherche sur la culture et la fabrication des poteries Fuli. Il a créé le Centre de recherche sur la poterie Fuli et rédigé de nombreux articles à ce sujet, afin de permettre à cet art d'être diffusé à travers le globe.

Le célèbre artiste chinois Zhang Ding, ancien président de l'Académie centrale des arts et du design, s'est penché spécifiquement sur le cas des poteries Fuli lors du Forum des savants et experts chinois et étrangers qu'il présidait. Les experts ont estimé que chacun de ces articles en terre cuite, tous très distincts, portait en eux un héritage culturel et historique profond. Et c'est ainsi que ce forum a évalué les poteries Fuli produites par Gan Zhiyou : « Il s'agit d'œuvres artistiques exceptionnellement rares, où la poterie du Shandong a été développée de manière unique. »

À l'heure actuelle, les poteries Fuli ont déjà été exportées vers 26 pays et régions, dont les États-Unis, le Japon, la France et l'Allemagne. En outre, elles ont intégré les collections du Musée national d'arts et de l'Académie nationale des arts de Chine, ainsi que celle du Musée du jouet et de la Société du jouet à taille humaine du Japon.

Dans la petite cour où vit Gan Zhiyou, les caractères « Centre de recherche sur la poterie Fuli » inscrits au mur sautent aux yeux. Sur l'aile gauche, se trouve un atelier de poterie ; sur l'aile droite, le salon et la bibliothèque. L'endroit est décoré d'un arsenal d'objets en terre cuite. Sur une petite table, sont posés des livres sur la poterie ainsi que deux feuilles. Gan Zhiyou nous a précisé qu'il était en train de composer une chanson sur la poterie Fuli, pour faciliter la diffusion de cet artisanat.

Notre ami de 63 ans a déjà réussi à transmettre sa passion à son descendant, Gan Long-kui. Père et fils ont ensemble créé L'Histoire de Fuli, une série TV qui met en lumière le sauvetage, la protection, l'exploitation et la transmission de ce patrimoine culturel populaire. Gan Zhiyou espère qu'à l'avenir, davantage de personnes découvriront la poterie Fuli et se joindront à la lutte envers la défense et la propagation de sa culture.

 

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