CHINAHOY

30-July-2014

Les Wenyiqingnian, jeunesse, mondialisation et quête d'identité

 

Un magasin d'objets artisanaux attire les visiteurs à Wudaoying. (YU JIE)

 

VERENA MENZEL, membre de la rédaction

Depuis l'ouverture de la Chine en 1978, ce pays a connu de profonds changements. L'ouverture n'a pas seulement influencé l'économie nationale, mais elle a aussi permis à la Chine d'ouvrir ses portes à la culture étrangère. Les jeunes Chinois ont alors commencé à battre la table au rythme des chansons de Michael Jackson, Madonna ou Whitney Houston pendant que leurs parents les invitait à apprendre la calligraphie ou leur faisaient prendre des cours de erhu (violon chinois à deux cordes). Plus tard, ce furent Coca-Cola, Volkswagen qui firent leur entrée en Chine, puis Mac'donalds. En 1997, les jeunes Chinois entraient au cinéma avec leur Nike et autres Adidas pour regarder : Titanic. Ce film est gravé dans la mémoire de ces jeunes comme le premier film hollywodien diffusé en Chine.

Le temps passe, et les jeunes des années 80 et 90 ont grandi, le fossé des générations s'est creusé entre leur génération et celle de leurs parents. Mais, ce n'est pas une occidentalisation ni une américanisation. Les études culturelles à échelle mondiale prouvent que la mondialisation n'est pas uniquement une annulation de la culture traditionnelle par une culture autre, mais qu'elle produit une sorte d'inspiration par l'influence d'une culture étrangère qui amène à créer de nouveaux phénomènes. Les jeunes Chinois n'ont pas uniquement épousé les modes venues de l'étranger par l'ouverture, mais en ont fait leur culture. Dans les années passées, après la rencontre avec la culture populaire de l'Occident, une culture particulière à la jeunesse chinoise s'est formée, ses instigateurs en sont appelés : les Wenyiqingnian.

Si l'on tenait à traduire cette expression en langue occidentale, il ne fait nulle doute que l'on se heurterait à une impossibilité linguistique. Cette réalité prouve que la Chine a produit un nouveau phénomène dans le processus de la mondialisation, des particularités qui lui sont propres et ne peuvent être considérées comme une copie ou une imitation de la culture occidentale. Si l'on analyse caractère par caractère cette expression, 文艺青年Wenyiqingnian signifie « jeune de culture et d'art », dans un sens large, cela qualifie un jeune qui s'intéresse énormément à la culture et à l'art. Ces dernières années, ce qualificatif est devenu très populaire. Du moment qu'une personne passe du temps sur de la musique, des films ou des livres qui ne sont pas dans le courant commun, on peut dire qu'elle est un Wenyiqingnian. Ceux-ci sont particulièrement attirés par tout ce qui est cinéma d'art, poésie, paroles des chansons. Les Wenyiqingnian vont au concert, voir du théâtre, écrivent des poésies, des histoires et des romans. À part cela, ils écrivent des critiques musicales, de film, littéraires... Ce sont eux qui se promènent dans les rues avec leur appareil photo, et partagent sur Weibo leurs pensées et impressions. Ils ont souvent un appareil LOMO, une paire de Convers aux pieds, un tee-shirt marin et comme toutes les fashions victims, ils ont leur sac en toile de jute sur l'épaule et incarnent ce style un peu vintage qui est la marque de fabrique des Wenyiqingnian.

En réalité, l'expression existait déjà dans le vocabulaire chinois avant. Mais n'avait jamais été aussi populaire. Ce mot est devenu un mot central et un slogan de vente. C'est également un signal. Soit on le revendique, soit on le refuse. Ce qui est sûr, c'est que les gens doivent avoir une opinion dessus. Ce phénomène particulier est aussi une marque, qui exprime cette tendance qui a commencé après l'ouverture de la Chine dans les années 80 et qui reflète l'esprit de cette génération. À la différence de celle de leurs parents, celle-ci a plus d'occasions de faire ses propres choix, s'autorise à suivre ses instincts, à rêver, à partir en quête de quelque chose. Face à ces nouveaux espaces et possibilités, les représentants des Wenyiqingnian ont formé une nouvelle forme de conscience, ils se préparent à porter plus de responsabilités et à affronter plus de risques. Ils se sont imprégnés de nouvelles sources culturelles venant de la musique, la mode ou le cinéma occidental. Ces représentants de la jeunesse s'élancent les premiers vers ses défis de la marchéisation de la société, celle-ci est déjà entrée dans tous les domaines de la vie en Chine grâce ou à cause du développement effréné de celle-ci.

À l'aube des années 80, ce sont dans les villes du littoral oriental de la Chine, au milieu de cette atmosphère exhaltante pareille à la ruée vers l'or, dans ces villes à la population dense au cœur d'un pays à la population gigantesque, que les Wenyiqingnian, entre tradition et modernité, égocentrisme et collectivisme, recherchent leur identité. C'est souvent dans une recherche artistique ou culturelle qu'ils trouvent leur moyen d'expression. Ils se désolidarisent du courant général pour aller faire face aux nombreux phénomènes venus de l'Occident. Ils deviennent ermites des grandes villes, vivent pour la musique, les films, les livres et pour chercher la réponse à leurs questions dans ceux-ci. Beaucoup d'entre eux s'enterrent chez eux, sans contacts avec le monde extérieur. À cause de ce style de vie, certains sont vus comme des pantouflards, casaniers. Certains vont, eux, tenter d'exprimer leurs quêtes dans la création artistique personnelle. Ces explorations artistiques ont permis d'amener à la Chine une scène musicale jeune et au développement fulgurant, ainsi qu'une pléthore de jeunes auteurs.

L'Internet a eu un rôle catalyseur dans l'expansion du phénomène Wenyiqingnian. L'Internet est devenu la principale plate-forme d'échanges de ses jeunes au pouvoir créateur. Au cours de ces deux dernières décennies. Leur influence a eu un effet décisif sur le développement d'Internet en Chine. Les jeunes attirés par la culture n'utilisent pas seulement activement Weibo ou Sina Weibo pour échanger avec des personnes aux centres d'intérêts communs, ils ont aussi permis à de nouveaux portails Internet d'obtenir des succès inégalés, comme en témoigne le portail Douban.com. Sur ce site, les internautes peuvent rédiger des critiques en rapport avec la musique, le cinéma, la littérature, les internautes intéressés par les mêmes sujets peuvent se retrouver et être au courant des évènements culturels dans la ville où ils sont. Le développement fulgurant du portail de musique Xiami.com vient aussi des Wenyiqingnian. Ils ont poussé le développement de la scène musicale indépendante. Ils ont notamment eut un effet décisif sur le développement de la musique folk, pop et rock indépendante.

Le mouvement des Wenyiqingnian a, non seulement, eu une influence sur l'espace virutel, mais est aussi visible dans l'urbanisme des villes chinoises. Dans le quartier Tianzifang de l'ancienne concession française de Shanghai, autour de la tour du tambour de Beijing. Autour de ces endroits se sont ouverts de plus en plus de magasins de fringues, de magasins de création. On y trouve des cupcakes, des bars à chats, des cafés, des magasins de mangas, des marchés aux puces, des magasins de seconde main et même des magasins de sur-mesure. Avec l'ouverture de la rue commerçante Nanluoguxiang, l'expansion de la culture Wenyiqingnian a atteint à son apogée commerciale. Les marchands de souvenirs ont fait imprimer ce slogan sur les T-shirt, gravé sur les porte-clefs. Les Wenyiqingnian se sont fondus dans le consumérisme du courant général.

La merchandisation de plus en plus importante du concept Wenyiqingnian amène beaucoup de Wenyiqingnian à refuser cette appelation. Ils ont déménagé de Nanluoguxiang pour s'installer dans des quartiers moins fréquentés de la capitale. Un de ces oasis est situé à l'ouest du temple des Lamas dans le hutong de Wudaoying. C'est un charmant hutong de Beijing, on y trouve de petits magasins et cafés.

Pourtant, avec le temps, de plus en plus de touristes ont trouvé la route pour se rendre à cet endroit, et les restaurants occidentaux tels KFC et cafés tels Starbucks et Costa ont envahi l'est de ce hutong. Peu importe ! Car ce que certains protecteurs de la culture chinoise craignaient ne s'est pas produit : c'est-à-dire l'occidentalisation des jeunes Chinois n'a pas eu lieu. Au contraire ! Les jeunes Chinois nés dans les deux dernières décennies du XXe siècle ont - en même temps qu'ils s'imprégnaient de phénomènes culturels occidentaux - créé leur propre culture et montré au monde, aux autres jeunes artistes, fans de mode, la façon chinoise de résoudre cette équation. C'est pour cela qu'il serait inutile de s'inquiéter que l'influence occidentale restreigne les jeunes Chinois. Ce dont il faudrait s'inquiéter en revanche, c'est l'hyper-marchéisation latente qui pourrait engloutir la créativité des jeunes.

 

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