CHINAHOY

26-November-2014

Pesang : passeur d’artisanat ethnique

 

Pesang. (Photo par LI GUOWEN)

 

Rencontre avec un maître de l'artisanat du Tibet, qui s'applique à préserver les techniques de tissage traditionnelles dans la coopérative qu'il a fondée.

LI GUOWEN, membre de la rédaction

Une dizaine de femmes travaillent attentivement à l'étage, au grincement des machines à tisser. Les pédaliers s'activent, les navettes semblent des poissons allant et venant entre les fils, la laine s'entrelace entre leurs doigts habiles. Dans la cour, des ouvriers s'occupent d'embobiner la laine filée, de la laver et de teindre les tissus. Il s'agit d'une scène quotidienne dans la Coopérative de tissage ethnique artisanal du bourg de Tsethang, district de Nêdong, située au sud du Tibet dans la préfecture de Shannan.

La sauvegarde des techniques traditionnelles

Âgé de 46 ans et à l'origine peintre de thangka, Pesang est aujourd'hui responsable de la Coopérative. En 2007, lors d'un voyage d'observation, il avait découvert que la culture traditionnelle était bien conservée dans les régions non frontalières, et que l'artisanat ethnique y avait été bien préservé. Inquiet que ces techniques artisanales de tissage du huaji (une sorte de tissu en laine) ne disparaissent, il avait décidé de s'occuper de cet artisanat précieux.

Le huaji en chinois est un produit textile en laine de la meilleure qualité, tissé manuellement et généralement utilisé pour les couvertures, les habits et les écharpes.

En 641, sur ordre du second empereur de la dynastie des Tang, Tang Taizong, la princesse Wenchen (en tibétain Mung-chang Kungco) fut envoyée à Tubo (ancien nom du Tibet) pour se marier avec le Tsenpo (leadeur tibétain) Srong-btsan Sgam-po. L'arrivée de la princesse permit aux tisserands tibétains d'échanger avec ceux qui accompagnaient la jeune altesse. Après le décès de Srong-btsan Sgam-po, Mung-chang Kungco resta vivre dans la vallée de la rivière de Yalong dans la préfecture de Shannan, et c'est à cette période que les techniques de pulu (lainage tibétain) progressèrent beaucoup. En 710, la princesse Jincheng des Tang fut elle aussi envoyée à Tubo pour se marier avec le Tsenpo Kridê Zukzain. Dès lors, l'industrie textile et l'artisanat au Tibet connurent un grand essor, et les techniques de pulu se développèrent d'autant plus. Aujourd'hui, le pulu est non seulement un tissu indispensable à l'habillement et à l'ameublement des Tibétains, mais également la preuve de la continuité de la culture traditionnelle.

Parmi les techniques de pulu existantes, le huaji est la plus complexe, car elle exige des tissus extrêmement fins et doux. Auparavant, seule la haute société avait les moyens d'en acheter. Du fait que cet artisanat n'était maîtrisé que dans le bourg de Tsethang du district de Nêdong, le huaji est également appelé tsetie : « tse » étant l'abréviation de Tsethang, et « tie » représentant le type de tissage, en l'occurrence, le pulu. Le tsetie est donc le pulu tel qu'il est fabriqué à Tsethang. En 2010, celui-ci a été inclus dans le patrimoine culturel immatériel de la région autonome du Tibet. Quatre ans plus tard, Pesang a été lui-même classé parmi les maîtres de l'artisanat du Tibet.

Pour sauvegarder et diffuser les techniques de huaji, Pesang a déployé de grands efforts pour rechercher les héritiers de ce mode de tissage. Il les a invités à produire des outils de tissage, à résumer les processus de fabrication et à former de jeunes apprentis. Ainsi, il a réussi à faire revivre cet art qui était en voie de disparition.

Pesang nous raconte qu'il n'y avait que quelques personnes âgées qui savaient encore filer la laine, technique de base pour fabriquer le huaji. Âgé alors de 83 ans, Ngawang Tsomo représentait la troisième génération de fileurs de sa famille. Il faisait partie des artisans que Pesang avait inclus dans son projet. Au début, Ngawang Tsomo était réticent : il craignait que les jeunes apprentis ne soient découragés par la pénibilité du travail.

« À l'époque, mon unique désir était de préserver cette technique », nous explique Pesang, tout en montrant une photo de lui avec Ngawang Tsomo. Pesang s'était rendu à cinq ou six reprises chez le vieil artisan pour lui faire montre de sa ferme résolution et lui faire comprendre qu'il voulait aider cette artisanat à perdurer. De plus, Pesang avait reconnu Ngawang Tsomo pour maître. Touché par sa sincérité, le vieux bonhomme avait finalement accepté de l'aider.

« Ngawang Tsomo est décédé il y a deux ans, nous apprend Pesang, plongé dans les souvenirs du vieil artisan. Après avoir accepté mon invitation, il était venu vivre à l'atelier et consacrait tout son temps à la formation des apprentis… »

Au mois de mai 2008, avec le soutien du gouvernement local, Pesang a fondé, à ses propres frais, la Coopérative de tissage ethnique artisanal du bourg de Tsethang, avec pour but d'hériter et de diffuser le patrimoine culturel immatériel de la région tibétaine.

 

La coopérative de Pesang n'aurait pu se développer sans les femmes locales et leur savoir-faire. (Photo par LI GUOWEN)

 

Totalement fait main

Quand il travaillait comme peintre de thangka, Pesang avait un bon revenu. Son œuvre réalisée en 1983 et baptisée Ramasser le hada avait même obtenu le second prix lors d'une exposition nationale de peinture destinée aux agriculteurs. Mais il a investi presque toutes ses économies pour créer la coopérative.

En ce qui concerne le financement et les bénéfices, Pesang exprime clairement sa position : « Mon argent vaut beaucoup moins que les techniques de tissage huaji. J'espère pouvoir contribuer à leur préservation. L'artisanat ethnique est un trésor sans pareil. S'il disparaît aujourd'hui, ce sera une perte irréparable pour la civilisation humaine. Dans le même temps, j'espère, par la diffusion de ce patrimoine culturel exceptionnel, augmenter les revenus des membres de la coopérative et animer le marché de l'emploi local. »

Cependant, rendre la coopérative rentable n'est pas chose aisée, car les techniques de tissage huaji nécessitent un coût très élevé. De la sélection de la laine à son filage en passant par le tissage au métier à tisser à pédaliers, ainsi que le lavage et la coloration des produits finis, on compte au total 18 opérations dans le processus. « Les jeunes employés de la coopérative passent plus d'un an à maîtriser tous les chaînons du tissage huaji, fait remarquer Pesang. La laine destinée au tissage huaji provient du duvet autour du nez du mouton, et un mouton en possède au maximum 0,5 kg. Pour transformer celui-ci en fil, un artisan expérimenté doit filer 0,1 kg de duvet par jour, tandis qu'un tissu huaji nécessite au minimum 0,6 kg de fil », explique Pesang.

Pourquoi ne pas utiliser alors une technique mécanique pour le tissage ? Pesang nous explique : « J'avais songé à mécaniser le tissage, mais de cette façon, ce que nous obtiendrions ne serait pas un véritable tissage huaji. En outre, les touristes n'achètent que les textiles fabriqués intégralement à la main. »

« Les premières années d'une coopérative sont toujours déficitaires, ajoute Pesang. La formation des jeunes tisserands nécessite beaucoup de temps et d'argent. Pendant la période d'apprentissage et d'adaptation, presque tous leurs produits sont défectueux et ne peuvent pas être vendus sur le marché. Les affaires de la coopérative ont commencé à s'améliorer vers 2010. Avec l'augmentation de notre réputation, la coopérative a reçu une plus grande considération de la part du gouvernement local et des gens. Les bénéfices de la coopérative ont atteint 1,62 million de yuans en 2013, et 0,96 million de yuans au premier semestre de 2014. »

Des projets ambitieux

À l'heure actuelle, le huaji est déjà devenu une carte de visite du district de Nêdong. La production et la vente de ce produit sont en constante augmentation. Il est apprécié par de plus en plus de consommateurs.

Lors de la 9e Foire internationale de l'industrie culturelle de Chine organisée en mai 2013, les produits en huaji multicolore qu'a apportés Pesang ont permis à davantage de personnes de découvrir cette sorte d'artisanat tibétain. Pour élever le niveau de R&D de ses produits, ainsi qu'augmenter la réputation et la compétitivité du huaji sur le marché chinois et étranger, la coopérative de Pesang a coopéré au mois de décembre 2013 avec une filiale du groupe Lancy spécialisé dans l'habillement.

En raison de la lenteur de la production manuelle, Pesang refuse les grosses commandes. En plus de la production pour le groupe Lancy, la coopérative gère aussi des commandes spéciales. L'agrandissement de la coopérative est une question urgente à laquelle Pesang est en train de réfléchir. Pour le moment, la coopérative a obtenu des facilités de location par le comité de quartier local. « La coopérative va aider à régler certains problèmes de chômage des habitants locaux. Le gouvernement local de la préfecture de Shannan attache une haute importance au développement de la coopérative. Dans le futur parc industriel en projet, un terrain nous a déjà été affecté », nous confie Pesang, confiant.

 

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