CHINAHOY

26-February-2014

Wen Fang, entre engagement et liberté

 

Wen Fang.

 

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

Quand j'ai contacté Wen Fang pour l'interviewer, elle m'a répondu : « Je suis très contente de vous connaître. Mais je suis en ce moment en Suède pour un projet artistique. » Ces quelques mots renferment déjà deux informations sur cette jeune artiste : d'une part, qu'elle parle couramment français ; et d'autre part, qu'après dix années de carrière, Wen Fang s'est acquis une renommée internationale qui la conduit aux quatre coins du monde.

Un parcours très lié à la France

Wen Fang est née à Beijing en 1976. C'est aussi dans la capitale chinoise qu'elle a fait ses études d'art. Après l'obtention de son diplôme, elle a exercé le métier de créatrice de sites Internet pendant six ans. Puis, elle a mis ses économies à profit pour entamer un premier voyage : elle a pris une année de cours à l'Alliance française avant de partir pour Lyon (un an), puis Paris (près de deux ans), où elle a suivi des cours de photographie à L'École nationale supérieure Louis-Lumière. « J'ai beaucoup apprécié mon séjour en France, commente-t-elle. C'est aujourd'hui encore un pays très important pour moi, car j'y garde des amis proches et je travaille souvent en lien avec des Français. Mais de façon générale, il est bien de vivre loin de son pays quelque temps, peu importe l'endroit. On comprend alors que sa culture n'est pas la seule logique qui existe et on apprend à mieux se connaître soi-même. »

Le premier mot qui lui vient à l'esprit quand elle repense à la France : chaleureux. « Une amie brésilienne à moi pense que les Français sont froids. Mais pour une native de Beijing comme moi, la France est très chaleureuse. » Elle argumente ses propos en expliquant que les voitures s'arrêtent pour laisser passer les piétons, que les passants nourrissent les pigeons dehors ou encore que les hommes sourient aux belles filles dans la rue. Elle ajoute : « Cet endroit, ainsi que les amis et artistes passionnés mais sans le sou que j'y ai rencontrés, me manquent beaucoup. Les artistes chinois sont doués, mais dans l'ensemble, ils donnent l'impression d'être plus "secs". Les artistes chinois sont comme des fleurs sauvages qui tentent désespérément de pousser dans les ronces. Pour survivre, ils doivent former un grand arbre. Les artistes de rue français, en comparaison, semblent plus puissants, mais aussi plus durs, omettant le côté souple de la beauté. »

En 2004, elle revient à Beijing pour devenir photographe. Mais pour elle, développer une photo, l'encadrer et l'accrocher sur un mur, c'est comme mettre une âme dans un tombeau. Une distance se crée alors entre l'œuvre et les spectateurs. C'est pourquoi, comme elle voyage dans le monde entier, Wen Fang voyage entre les différents supports qui peuplent notre vie quotidienne, comme la brique, le bois, l'eau, la résine, etc...

Parmi ses expositions personnelles les plus célèbres, se trouve « Fondations », qui en 2008 lui a ouvert les portes du succès. Le concept : des dizaines de visages d'ouvriers migrants imprimés sur des briques. Une manière de rendre hommage aux mingong (travailleurs migrants) qui bâtissent les grandes villes telles que Beijing, dont elle a pu observer l'essor exponentiel au fil de sa vie. Elle trouve des similitudes entre briques et travailleurs migrants : tous deux viennent de la campagne, déménagent vers le milieu urbain, vivent entassés dans des espaces restreints...

Suite à cette réussite, Wen Fang a continué de partir à la rencontre des laissés-pour-compte et à les mettre au cœur de son art. En 2008, elle consacre son exposition à ceux qui vivent dans les orphelinats du sud-ouest de la Chine et reverse les profits générés à l'association Les Enfants de Madaifu. Peu de temps après, elle entend parler de Femmes du Ningxia, une ONG française qui tente de faire valoir le talent des brodeuses vivant dans cette région pauvre et aride de la Chine, avec pour finalité de les faire sortir de la pauvreté. Wen Fang, à nouveau, part à l'aventure découvrir le quotidien de ces femmes et se dit bouleversée par leur sort. En 2010, elle organise l'exposition « Textile Dreams », qui marque la rencontre entre les broderies traditionnelles de ces femmes et la créativité de l'artiste contemporaine. Un triomphe !

 

Son de lumière, œuvre en bronze.

 

Une artiste qui évolue

Aujourd'hui, elle souligne que son art a progressé. Avant, elle essayait de justifier systématiquement ses œuvres, en leur donnant un sens fort et en les mettant au service des ONG. Dorénavant, elle ne se sent plus obligée d'agir ainsi et considère que la création se justifie d'elle-même. « J'ai compris que l'art n'est pas un outil, comme le serait un couteau. C'est plutôt une fenêtre qui laisse transparaître un paysage. Il y a un sens de l'autre côté du sens. »

Wen Fang a travaillé trois ans aux côtés de Femmes du Ningxia autour du projet Art contre la pauvreté. Mais elle déplore ce nom, car d'une, le terme « pauvre » renvoie à beaucoup de définitions, il ne fait pas uniquement référence aux moyens financiers ; de deux, elle reconnaît qu'elle a agi essentiellement pour les aider financièrement, non par passion pour l'art.

L'exposition a été une franche réussite, qui a rapporté beaucoup d'argent aux femmes démunies ainsi qu'à elle-même, mais Wen Fang n'était pas tout à fait satisfaite en son cœur. « Quand j'étais au Ningxia, ces femmes jugeaient que ce n'était pas si mal chez elles. Mais quand elles sont venues voir l'exposition, elles se sont dit que vivre dans ces conditions avaient dû être extrêmement difficiles pour moi. Mais elles, ne venaient séjourner à Beijing que quelques jours seulement, puis elles devaient repartir dans le Ningxia... » Wen Fang ajoute également qu'après, les femmes tombaient dans une certaine dépendance finalement. Elles attendaient que d'autres artistes ou associations viennent les aider.

« J'ai compris que tout élément possède deux faces. » L'une de ses récentes œuvres, My ladder, illustre bien cette idée. Il s'agit d'une échelle en cheveux, qui prend la forme d'une roue. « L'homme a envie de monter en haut de l'échelle, mais en vérité, le haut devient le bas. De même, lorsque l'on observe un arbre, on admire généralement les feuilles verdoyantes qui chatoient au soleil, mais on dénigre les racines sales dans la terre. Et pourtant, il s'agit d'un seul et même arbre. »

Avant, elle essayait de contrôler cette face sombre, mais maintenant, elle est sortie de cette « prison psychologique » et se sent plus libre. Elle ne cherche plus à rentrer dans un moule en traitant des problèmes sociaux qui touchent la Chine. Elle préfère ouvrir des portes vers l'extérieur, vers un travail plus pur.

Wen Fang travaille actuellement sur un projet d'échanges artistiques avec la Suède, autour de l'art sur bronze. Mais elle nous confie qu'elle envisage de concevoir toute une série de créations en cheveux, une matière naturelle dont elle souhaite révéler tout le potentiel.

 

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