CHINAHOY

28-June-2016

L’innovation, clé du futur de la Chine

 

Le 17 juin 2016, des chercheurs à Zhangjiakou essaient de développer un nouveau réactif pour vérifier la pureté des semences de maïs.

 

JOHN ROSS*

 

Nombreux sont ceux qui voient – à raison – dans l'innovation la clé de l'avenir économique de la Chine. C'est justement parce qu'elle est si cruciale qu'il est indispensable d'étudier les mécanismes qui conditionnent réellement l'innovation et de dissiper les mythes approximatifs qu'on entend ici ou là. C'est l'étude de ces mécanismes qui permet d'évaluer l'impact à venir de l'innovation chinoise sur l'économie mondiale.

 

Un aspect singulier de la croissance chinoise

 

Les indicateurs économiques fondamentaux illustrent clairement la raison pour laquelle l'innovation est si indispensable à la Chine. Si l'on les analyse du point de vue de la classique « comptabilité de croissance » le côté de l'offre, on voit que les entrants sont le capital, le travail et la productivité totale des facteurs (TFP), ce dernier élément représentant la part de la croissance qui ne provient pas de l'accroissement des facteurs capital et travail. Des versions plus précises de ce calcul prennent en compte les « produits intermédiaires », c'est-à-dire les entrants d'un secteur de l'économie provenant d'un autre secteur, qui apparaissent en vertu de la division du travail et de la spécialisation. L'effet de l'innovation se mesure comme une partie de la TFP.

 

Dans la plupart des pays, les principales forces du développement économique sont, par ordre d'importance décroissante, d'abord les produits intermédiaires, puis les investissements fixes, le travail et enfin la TFP. Cette règle s'applique aux périodes d'innovation forte, comme par exemple celle de la « révolution des technologies de l'information » qui s'est produite aux États-Unis entre 1977 et 2000. 52 % en moyenne de la croissance économique américaine étaient dus à l'apport des produits intermédiaires, 24 % à l'investissement fixe, 15 % au travail et enfin, les 9 % restants provenaient de la TFP.

 

Mais la Chine présente une structure de croissance différente de celle de la plupart des autres pays. Les entrants du travail y jouent un rôle moins important en raison de la politique de l'enfant unique. Les études montrent que le facteur principal du développement économique chinois est la croissance des produits intermédiaires, ainsi qu'on l'observe dans tous les pays à économie développée. Mais si l'on considère les autres contributions à la croissance, on voit que sur la période 1990 à 2014, 6 % seulement de la croissance chinoise provenaient de l'accroissement du facteur travail, tandis que 65 % découlaient de l'investissement fixe et 29 % de la TFP. La contribution des entrants en travail à la croissance chinoise, relativement plus faible que dans la plupart des autres pays va s'accentuer alors que la population chinoise en âge de travailler va progressivement se réduire.

 

 Certaines mesures peuvent venir atténuer le défi démographique auquel la Chine doit aujourd'hui faire face, comme repousser l'âge de la retraite ou améliorer le niveau de formation et de compétences des employés, mais elles ne suffiront pas à contrebalancer la tendance à la réduction de la population active en Chine. Par conséquent, le développement économique de la Chine va dépendre, par ordre d'importance décroissant, des produits intermédiaires, de l'investissement en capital et de la TFP. La croissance des entrants en travail jouera un rôle négligeable, voire même négatif. L'innovation, qui est un facteur déterminant de la TFP, devra par conséquent jouer un rôle encore plus critique pour l'économie chinoise que pour celle des autres pays.

 

Innovation et investissement en capital

 

Mais il est crucial pour la stratégie de la Chine de se tourner vers les interactions qui existent entre ces différents facteurs de production et de comprendre que l'innovation et l'investissement en capital ne représentent pas une alternative ou des sources opposées de développement économique. Les deux sont étroitement corrélés, étant donné que l'innovation doit généralement se matérialiser par un renouvellement des équipements, donc de nouveaux investissements en capital.

 

On a pu constater cela de façon limpide lors de la plus fameuse vague d'innovation récente, c'est-à-dire la révolution des technologies de l'information et de la communication puis de l'internet, qui s'est produite aux États-Unis. En 1980, l'année qui a précédé la fabrication de l'ordinateur personnel moderne, la croissance annuelle de la productivité américaine était d'environ 1,2 % en moyenne sur cinq ans pour faire abstraction des fluctuations dues aux cycles économiques. En 2014, la productivité américaine restait à ce même niveau de 1,2 % par an. Par conséquent, 34 années de développements technologiques révolutionnaires dans l'Internet et les télécoms n'ont produit aucun accroissement de la productivité. Cela prouve clairement que ces avancées technologiques sont incapables à elles seules de conduire à des gains importants de productivité.

 

Il y a eu cependant une phase de la révolution de l'Internet et des télécoms où l'efficacité économique des États-Unis a connu une soudaine croissance. Il s'agit de la période précédant l'année 2003 que cette croissance annuelle de la productivité américaine a connu son pic du demi-siècle, avec 3,6 %. Cet accroissement de la productivité américaine a été expliqué par une forte progression des investissements fixes, qui ont crû de 19,8 % du PIB en 1991 à 23,1 % en 2000, avant de se réduire momentanément suite à l'éclatement de la « bulle dot-com », avant de remonter à 22,9 % en 2005. La majorité de ces investissements se concentraient dans le secteur des télécoms et de l'informatique.

 

On voit qu'il a fallu aux États-Unis, pour récolter les bénéfices de l'innovation, un niveau extrêmement élevé d'investissement en capital afin de concrétiser ces innovations. La leçon à tirer est que, pour connaître un succès dans l'avenir, l'innovation chinoise devra elle aussi s'accompagner d'un important effort d'investissement en capital. Parallèlement au développement de capacités dans de nouveaux secteurs, la Chine va maintenir son niveau dans le secteur des infrastructures et d'autres secteurs à fort besoin d'investissement.

 

La forme particulière de l'innovation chinoise

 

Les fondamentaux de l'économie détermineront de manière décisive la forme que prendra l'innovation en Chine, conditionnant son avantage compétitif majeur dans l'économie mondiale pendant la période immédiatement suivante. Il existe deux scénarios selon lesquels les gains de productivité dans une économie peuvent se traduire par un avantage compétitif accru :

 

Le même produit est produit meilleur marché.

 

Le prix d'un produit peut rester inchangé pour un produit supérieur.

 

Laquelle de ces deux stratégies est la plus efficace, cela dépend du niveau de développement économique du pays. Dans les pays les plus avancés, qui par définition se trouvent à la frontière technologique, c'est le lancement de produits innovants et améliorés qui fonctionne le mieux. Introduire de nouveaux produits signifie suivre la stratégie : « maintenir le prix stable, améliorer le produit », voire même « lancer un produit entièrement nouveau. » Ce processus, que l'on appelle « innovation produit » est classiquement illustré par la société Apple.

 

Mais la Chine, comme c'est le cas dans tous les pays en développement, va par définition se trouver à l'arrière de la frontière technologique dans la plupart des secteurs de l'économie. Il serait dès lors illusoire de croire que la Chine pourra faire d'une telle « innovation produit » sa stratégie à court ou à moyen terme : cela nécessiterait que la Chine se propulse sur la frontière technologique et possède la capacité de la faire avancer. Or les fondamentaux de l'économie chinoise qui déterminent sa stratégie pour la période à venir impliquent que cette stratégie devra être dans un futur proche une « innovation prix », c'est-à-dire employer non plus les bas salaires mais la technologie, les compétences managériales, la logistique et d'autres formes d'innovation pour réduire les coûts. Telle est pour l'essentiel la stratégie que poursuivent les entreprises chinoises les plus avancées à l'international, qu'il s'agisse de Wanxiang ou de Huawei. Le rapport qualité/bas coûts de production révolutionnent l'industrie d'autres pays, et c'est là qu'il faut chercher, par exemple, l'excellence des services télécoms indiens ou du Moyen-Orient, qui repose directement sur les produits de Huawei.

 

R&D en Chine

 

En parlant des facteurs qui déterminent l'innovation, on rencontre parfois un mythe romantique que l'on appelle aussi les « start-ups de garage. » En réalité, les grandes multinationales et l'État font bien plus de recherche-développement que les PME. Des innovations fondamentales telles que le transistor ou le laser sont l'œuvre de grandes entreprises. Martin Wolf, commentateur économique en chef du Financial Times relevait, faisant référence à l'étude de Mazzucato devenue un classique The Entrepreneurial State :

 

« L'innovation dépend d'un esprit d'entreprise audacieux. Mais l'entité qui prend le risque le plus important et qui parvient aux plus importants résultats, c'est l'État. La Fondation américaine de la science (National Science Foundation) a financé l'algorithme qui sous-tend le moteur de recherche de Google. Les premiers financements d'Apple sont venus du programme gouvernemental Small Business Investment Company. D'autre part, toutes les technologies qui rendent intelligent l'iPhone ont été financées par l'État... de même qu'Internet, les réseaux sans fil, le GPS, la micro-électronique, les écrans tactiles et les derniers développements des assistants personnels à activation vocale. » Apple a brillamment assemblé tout cela. Mais l'entreprise récoltait le fruit de sept décennies d'innovation soutenues par l'État.

 

Même si l'on se tourne vers les start-ups, il est stupide de croire que celles-ci naissent isolées dans des garages. Les start-ups de la Silicon Valley se nourrissent de leur relation avec l'une des plus importantes institutions de la recherche mondiale : l'université de Stanford. Ou, comme le dit Acs dans son étude classique intitulée Innovation and the Growth of Cities :

 

« Lorsque quelqu'un posa la question de savoir "Qu'est-ce qui rend unique la Silicon Valley ?" la discussion revient généralement à une immense institution : l'université de Stanford. C'est un lieu commun de dire que la Silicon Valley et la Route 128 doivent leur statut de centres de l'innovation commerciale et de l'entreprenariat à leur proximité avec Stanford et le MIT [Massachusetts Institute of Technology]. »

 

De la même façon, d'autres nids de start-ups moins développés existent dans d'autres pays et dépendent d'universités importantes. La Chine est en train d'essayer de créer de tels clusters de hautes technologies, alors que l'immense accroissement des dépenses de R&D dans le pays devrait venir nourrir ces tentatives. Une expansion massive et un renforcement important du secteur universitaire chinois devront se produire pour soutenir cet effort.

 

Par conséquent, ces start-ups qui se disent venues de garages n'enfreignent pas la loi qui dit que « rien n'existe à partir de rien. » Ainsi que le dit Audretsch dans Entrepreneurship and Economic Growth :

 

« Comment ces petites et souvent récentes entreprises parviennent-elles à générer des résultats innovants alors qu'elles allouent généralement une proportion négligeable de leurs investissements dans des activités de production de savoirs comme la R&D ?... c'est en exploitant des savoirs créés par des dépenses de recherche dans des universités et les centres de R&D de grandes entreprises. »

 

Le secteur le plus innovant au monde, l'industrie américaine de l'Internet, est né d'immenses investissements de l'État, d'institutions de recherche telles que l'université de Stanford et a transformé ces innovations techniques en gains de productivité pour l'économie américaine grâce à des investissements en capitaux fixes massifs. Tout cela correspond aux lois économiques, et l'innovation chinoise ne pourra pas se développer en suivant un autre chemin. Les développements nécessaires à cette révolution pourraient bien redéfinir l'économie mondiale.

 

 

La Chine au présent

 

Liens