CHINAHOY

31-May-2016

« L’Afrique, c’est magique ! »

 

He Liehui et le premier ministre djiboutien signent un mémorandum sur la création d'une zone économique spéciale.

 

CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction

Il arrive parfois qu'une vocation contrariée vous mette sur la bonne piste : une carrière nouvelle, plus grande et plus belle, renaît alors, comme le phénix, des cendres de votre vieille passion. C'est en tout cas ce qui est arrivé à mes deux interlocuteurs à Shanghai. D'abord Charmarké Hadji, un jeune Djiboutien pétillant d'enthousiasme qui me racontait sa vie trépidante en marge de l'interview prévue.

Grandi en Arabie Saoudite et après des études dans les relations internationales à Poitiers, il avait pour ambition d'entrer dans une carrière diplomatique au service de la petite république africaine. Mais l'histoire en a décidé autrement : à la faveur de quelques contrats d'interprète lors de différents sommets et rencontres avec des représentants diplomatiques et militaires en visite dans son pays, il a pris des contacts utiles et entrevu d'autres possibilités. Il faut dire qu'au delà des forces navales françaises et américaines, Allemands, Japonais, forces de l'ONU se pressent sur ce petit territoire, développant depuis 2001 bases militaires et projets d'infrastructures.

La République de Djibouti, avec ses 23 000 km² et son presque million d'habitants, est la pointe de la Corne de l'Afrique, le poste avancé de la Francophonie dans l'Afrique de l'Est, la clé stratégique du Golfe persique, le cap qui sépare la mer Rouge de l'Océan indien. « Une zone très sensible », me confie Charmarké qui me prend à témoin : depuis la Somalie qui est un État failli, jusqu'à l'Érythrée qui a fait sécession, le Yémen déchiré par la guerre, en passant par la rivalité stratégique entre Arabie Saoudite et Iran qui menace à tout moment de dégénérer, sans compter la piraterie maritime qui sévit au large, la région est LE point chaud de la planète... Pas étonnant que Djibouti cherche, en s'alliant aux grandes puissances, à garantir sa sécurité. Pas étonnant que la Chine s'y intéresse aussi depuis quelques années.

Petit Djibouti deviendra grand. Grâce à ses infrastructures portuaires, il joue le rôle de plate-forme maritime de l'Éthiopie enclavée. Une zone franche en projet et un aéroport flambant neuf doivent venir compléter le dispositif pour en faire, comme on a pu le lire ici ou là, « le Singapour de l'Afrique ». Car lorsque les Chinois s'en mêlent, les projets changent d'échelle.

Depuis 2010, la Chine coopère avec les puissances occidentales pour sécuriser la navigation commerciale. L'établissement d'une base navale permanente est en cours, qui devrait être opérationnelle en 2017, avec 4 500 marins chinois basés en permanence. Mais ce n'est là qu'un volet de la coopération chinoise avec Djibouti. Un autre volet est celui des infrastructures qui comprend la construction d'un aéroport flambant neuf qui a été lancée l'année dernière, un projet de 600 millions de dollars porté par la CCECC (Chinese civil engineering construction corporation), mais il est aussi question de développer les capacités du port commercial grâce à des accords de jumelage et de partenariat avec les ports chinois de Shenzhen, de Qingdao et de Dalian, et de projets ferroviaires, avec la remise en service prochaine de la ligne ferroviaire Djibouti-Addis-Abeba, reconstruite par la même CCECC.

 

Des ouvriers djiboutiens sur un chantier du Groupe Touchroad.

 

Dès cette année, la ligne ferroviaire Djibouti–Addis-Abeba devrait permettre de transporter 3 500 tonnes de marchandises en provenance du port de Djibouti et ainsi d'assurer le transit de 90 % des importations éthiopiennes.

Mais l'ambition commune des Djiboutiens et des Chinois ne s'arrête pas là. Un projet phare prévoit la mise en place à terme d'un réseau de près de 5 000 km de rails, divisés en huit corridors reliant le Kenya, le Sud-Soudan et le Soudan à Djibouti.

Sans compter les câbles internet océaniques qui relient l'Afrique par Djibouti et en font le pays le mieux connecté du continent africain. Depuis 1990, l'opérateur national profite de la position stratégique de Djibouti pour assurer sa connexion à plusieurs câbles sous-marins qui font du pays le nœud du haut-débit entre l'Asie, l'Europe, et l'Afrique. Le revers de la médaille est que l'opérateur Djibouti Telecom profite de sa situation de monopole pour gonfler le prix commercial des connexions, qui sont parmi les plus élevés en Afrique.

C'est au milieu de cette effervescence de projets que Charmarké a fini par rencontrer He Liehui, PDG de Touchroad Group, un des poids lourds de l'investissement chinois en Afrique. Sa compagnie, fondée en 2002 à Shanghai, possède sous une forme ou une autre des activités dans 50 des 54 pays que compte l'Afrique. M. He cherchait le contact idoine dans ce pays et a trouvé en Charmarké un interlocuteur enthousiaste qui lui ouvre les portes, l'introduit, l'accompagne, avec sa pétulance toute africaine qui contraste avec le sérieux réservé de son partenaire. Il est question d'ouvrir une chaîne d'hôtels « à caractère chinois » pour accueillir les hommes d'affaires et les touristes qui ne manqueront pas de se presser dans la république ces prochaines années.

Je les imagine tous les deux faisant la navette entre Djibouti et la Chine, serrant la pince aux présidents et aux ambassadeurs, échafaudant des plans grandioses de ZLE, de ports et d'aéroports, se greffant sur des projets existants ou lançant des coopérations gagnant-gagnant avec de nouveaux pays.

De nombreuses photos qui ornent le bureau de M. He le montrent en compagnie des grands de ce monde, depuis le président Xi jusqu'au président djiboutien, en passant par Hillary Clinton ou des dirigeants africains lors du forum sino-africain qui se tient alternativement, année après année, en Chine et en Afrique. En plus des photos, toutes sortes de plaques et coupes gravées témoignent des nombreux titres honorifiques et fonctions d'ambassadeur qu'a récolté M. He au cours de sa fulgurante carrière.

En 2009, il a été recruté par le Bureau de la coordination de l'Exposition universelle qui devait se tenir à Shanghai l'année suivante pour servir de consultant senior aux affaires africaines. C'est ainsi qu'il a pu participer aux travaux préparatoires qui ont conduit au succès inespéré du pavillon africain de l'Exposition universelle de 2010.

Dans la foulée, toujours en 2009, il a également été nommé parmi les « Dix Chinois qui ont profondément ému le peuple africain », prix récompensant les contributions importantes à l'amitié sino-africaine décerné par l'Association du peuple chinois pour l'amitié avec l'étranger et l'Association sino-africaine de l'amitié entre les peuples.

L'une des raisons de cette popularité est que Touchroad ne se contente pas de faire des affaires en Afrique. Conscient qu'il faut aussi accorder de l'importance au facteur humain, M. He a depuis longtemps consacré une partie de ses budgets à la bienfaisance. Il a par exemple financé la construction d'écoles et lancé une fondation caritative dotée d'un budget de fonctionnement de 1,3 million de dollars. Grâce à ces activités, l'entreprise a gagné la gratitude et le respect des populations locales. Touchroad fournit en outre des bourses d'études pour des étudiants africains en Chine.

De fait, He Liehui n'est pas le décideur cassant et hautain que l'on imaginerait à la tête d'un pareil empire, c'est un homme affable et doux, presque timide. Sa force est de savoir s'adapter aux circonstances et un flair à toute épreuve pour détecter les opportunités. C'est ce qui explique la diversité de ses affaires. Au delà du tourisme, des infrastructures et du BTP, Touchroad va également participer à l'initiative chinoise des nouvelles Routes de la Soie. Avec 62 pays officiellement partenaires, c'est une chance pour l'entreprise, même si avec Djibouti et le Sénégal, l'Afrique ne compte que deux partenaires pour l'instant. Dans le cadre de ce programme de coopération dans l'Eurasie et au-delà, de nouveaux projets d'infrastructures vont être discutés, et Touchroad entend bien tirer son épingle du jeu. D'autre part, des politiciens et décideurs de différents pays vont bénéficier d'une formation à Shanghai financée par la Chine. « Même si le contenu des études est un peu secondaire, c'est une façon de faire avancer les choses, d'une part par le réseautage entre étudiants de la même promotion, et puis d'autre part comme moyen de faire progresser le soft power chinois sur le continent noir », explique Charmarké.

Chez Touchroad, chacun en est convaincu : « le XXIe siècle sera le siècle de l'Afrique », comme a coutume de le répéter le patron. Devant mon étonnement, il explique son point de vue : « Le XXe siècle a été celui de l'Amérique, me dit-il, et pourtant, il y a 100 ans, la conquête de l'Ouest n'était pas terminée, les infrastructures étaient encore parcellaires et on y massacrait les Peaux-rouges ; le sud du pays était une zone de non-droit où persistait la discrimination et où les crimes racistes étaient monnaie courante ; en un sens, l'Amérique ressemblait à l'Afrique d'aujourd'hui. En moins d'un demi-siècle, l'esprit d'entreprise y a fait des merveilles. » C'est ce même esprit d'entreprise africain que Touchroad veut voir sur ce nouveau continent dont M. Sarkozy trouvait qu'il était « resté trop longtemps hors de l'histoire ». Le credo de l'entreprise est « l'Afrique va se développer quoiqu'il arrive. La Chine peut lui apporter aide et expertise pour accélérer le mouvement ».

De fait, les projets de Touchroad ne manquent pas. Actuellement l'accent est mis sur Djibouti, où le tourisme, l'hôtellerie, le BTP, et bien sûr les opportunités de la ZLE qui vient d'être décidée par le président sont à l'étude. L'objectif est de créer « un nouveau Dubai », qui comprendra des infrastructures hôtelières de luxe pour attirer les touristes asiatiques vers les richesses historiques et naturelles du pays, ses montagnes, ses plages, et surtout son climat ensoleillé.

Au moment de prendre congé, M. He Liehui me raconte une autre histoire de vocation contrariée. Il étudiait le droit à l'école normale de Shanghai en vue de devenir magistrat. C'était sa vocation jusqu'à ce qu'un jour son père, qui faisait des affaires en Afrique du Sud et au Botswana, lui demande de venir l'aider car son anglais n'était pas à la hauteur. « Que faire ? se remémore-t-il. Laisser tomber mes études, ma carrière, mon emploi qui m'attendait ? Après tout c'était mon père : pouvais-je lui désobéir ? »

Il se rendit donc au consulat d'Afrique du Sud pour demander un visa... qui lui fut refusé. Pas plus de succès avec le Botswana. C'est finalement au Ghana qu'il se retrouva, avec en poche une poignée de centaines de dollars. Et c'est là qu'il découvrit à la fois son talent d'entrepreneur et la terre d'opportunités qu'est l'Afrique. « L'Afrique, c'est magique », explique-t-il, les yeux dans le vague. « Des gens m'ont aidé, nous avons monté notre premier petit business, puis un autre, les opportunités se multipliaient. D'abord au Ghana, puis au Bénin, puis au Nigéria. Des gens sont venus me voir qui cherchaient un contact vers la Chine pour des projets miniers, immobiliers, touristiques. Lorsque je suis rentré à Shanghai en 2002, je n'avais qu'une idée en tête : fonder cette entreprise, Touchroad, pour ouvrir la route de l'Afrique et rester en contact avec ce continent où je me sentais chez moi. »

 

 

La Chine au présent

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