CHINAHOY

4-May-2016

Violences familiales, enfin une loi

 

Des habitants de Hefei (Anhui) apposent leur signature sur le mur « tolérance zéro » pour les violences familiales, le 28 février 2016.

 

Après 20 ans de concertation et de préparation, la Loi contre les violences familiales a été promulguée. Entre tabous et changements sociaux, plongée au cœur du problème.

GONG HAN, membre de la rédaction

La première ordonnance conformément à la Loi contre les violences familiales a été prise le 1er mars 2016 par le tribunal de l'arrondissement Fangshan à Beijing. Dans ce cas précis, l'ordonnance interdit au mari de Mme Gu de commettre des violences conjugales contre elle que ce soit injures ou coups, de la suivre, de la harceler et même de l'approcher. Mme Gu, qui a 61 ans, avait fait une demande au tribunal en février dernier pour obtenir des mesures de protection de la personne après avoir subi pendant des années des violences de la part de son mari.

Elle est ainsi la première bénéficiaire de la Loi contre les violences familiales, entrée en vigueur le 1er mars. C'est la première loi en la matière en Chine.

Dans le passé, les droits des victimes de violences familiales n'étaient pas protégés, cela en partie à cause du vide juridique dérivant d'une mentalité bien ancrée : « on lave son linge sale en famille ». Cela est désormais révolu.

De la sanction à la prévention

Les victimes de violences familiales comme Mme Gu sont nombreuses. Selon les statistiques de la Fédération nationale des femmes de Chine, 24,7 % des femmes ont déjà souffert de violences conjugales, sous différentes formes. Les victimes font le pas d'appeler la police après avoir subi en moyenne une trentaine d'agressions.

Selon les dispositions de la Loi contre les violences familiales, celles-ci comprennent les « actes nuisibles au corps ou à l'esprit commis entre membres d'une famille sous les formes d'agression physique, de séquestration ou d'injure régulière ». Les victimes de violences vivant en concubinage sont également protégées par cette loi.

La possibilité de demander une protection pour l'intégrité de la personne est un des points phares de la Loi contre les violences familiales. Une personne victime de violences domestiques peut donc demander des mesures de protection à un tribunal. Ces mesures comprennent l'interdiction formelle de violenter la personne demandeuse, l'interdiction de s'en approcher et de suivre la personne, enfin elle exige de la personne commettant les violences qu'il quitte le domicile familial.

Cette ordonnance peut être délivrée dans un délai de 24 heures. Pour les personnes qui subissent de graves violences ou sont sujettes à des menaces, cette ordonnance permet d'isoler rapidement la victime de son agresseur, de stopper les violences et d'éviter l'escalade. Une fois émise, la décision du juge, même si l'agresseur fait appel, reste en vigueur.

En août 2009, Dong Shanshan, 26 ans, battue violemment par son mari, est morte deux mois plus tard suite à des séquelles. Victime de violence conjugale après son mariage, elle et ses parents ont contacté la police à huit reprises de mars à août 2009. Ils avaient également intenté un procès de divorce au mari violent, aggravant la colère de celui-ci.

Dans cette affaire, la police a fait de la médiation, mais la tragédie a quand même eu lieu. En juillet 2010, le tribunal de l'arrondissement Chaoyang à Beijing a condamné finalement le mari à une peine de six ans et six mois de prison pour violences ayant entraîné la mort.

Les mesures de protection de la personne proposées par cette nouvelle loi permettent aujourd'hui d'éviter ce genre de tragédie.

Le système d'alerte est un autre point phare du texte. D'après les termes, les services de la sécurité publique qui sont avertis d'une affaire doivent intervenir immédiatement et mettre fin tout de suite aux violences. Si les circonstances sont considérées comme légères, un avertissement écrit est alors délivré à l'agresseur et à la victime, et le comité de quartier ou de village est informé. Des visites doivent être effectuées régulièrement par la suite pour contrôler et s'assurer que les violences ne continuent pas.

Une loi très attendue

Les mots « violences familiales » sont apparus pour la première fois en 1995 dans le Plan pour le développement des femmes chinoises. La préparation de la Loi contre les violences familiales a duré en tout 20 ans.

Sun Xiaomei, professeur à l'Université des femmes de Chine, s'est attelée à la législation contre les violences familiales au début des années 90.

En 1993, elle a effectué une enquête sur 30 victimes de violences conjugales en zone rurale. « Je n'aurais pas imaginé que l'enquête serait plus difficile que celle sur les femmes dans les villes. Les femmes de la campagne ne trouvent pas forcément qu'être battue par leur mari est anormal, et n'étaient pas prêtes à raconter leur histoire », nous dévoile Mme Sun. « À la fin de mon enquête, j'étais bouleversée. C'est de là que m'est venue l'envie de faire des recherches sur ce sujet. »

Pourtant la Chine avait bien une législation contre les violences familiales graves. Xia Yinlan, président de l'Institut du mariage et de la famille de la Société chinoise du droit explique que la Loi sur le mariage de 1950 comprend des dispositions concernant la maltraitance et l'abandon, la Loi sur le maintien de l'ordre public possède une liste de sanctions contre la violence envers autrui et la maltraitance au sein de la famille. Le Code pénal chinois prend en compte les délits de maltraitance, d'abandon, d'agression et le crime d'homicide. « Malheureusement, la plupart des actes de violences familiales ne sont pas ni à la hauteur des crimes et délits énoncés dans le Code pénal ni condamnables par la Loi sur le maintien de l'ordre public. La Loi contre les violences familiales est là pour répondre à la détresse des victimes de violences légères, pour que celles-ci puissent recevoir une assistance », explique Mme Xia.

Selon cette dernière, les violences familiales sont récurrentes, et fonctionnent selon un schéma exponentiel. « Avec la nouvelle loi, on peut demander tout de suite de l'aide avant d'arriver à des extrémités, et demander une protection de la personne ou aller dans un refuge pour être écarté et éviter de subir d'autres violences. Cela permet aussi de prévenir l'escalade », explique Mme Xia.

Une protection pour les personnes vulnérables

Les violences familiales ne concernent pas uniquement les couples. Selon une étude réalisée dans trois provinces et neuf villes par l'Académie des sciences sociales de Chine, les violences dans le couple représentent 30 %, la violence envers les enfants, 70 %. La plupart des victimes sont des personnes vulnérables ; femmes, enfants, personnes âgées.

Pour mieux protéger celles-ci, la Loi contre les violences familiales stipule que les organismes et le personnel au contact des victimes ont l'obligation de dénoncer ces abus.

Le personnel des établissements scolaires, des hôpitaux, des comités de quartier résidentiel ou de village, des services sociaux, doit alerter la police s'il remarque que des personnes handicapées, des mineurs ou des personnes séniles subissent ou montrent des signes de maltraitances. S'il ne le fait pas, il sera poursuivi en justice.

« La Loi contre les violences familiales souligne la responsabilité de l'État et du gouvernement, et accorde des soins spéciaux aux victimes, notamment aux personnes vulnérables. Cela reflète l'esprit de la Constitution concernant le respect et la protection des droits de l'homme et de solidarité aux victimes de violences familiales », commente Mme Xia.

Selon Li Mingshun, vice-président de l'Institut du mariage et de la famille dépendant de la Société chinoise du droit, la nouvelle loi fournit un mécanisme complet composé du système d'alerte, du système de retrait de tutelle, du système de dénonciation obligatoire, du système d'assistance et de refuge temporaire, ainsi que les mesures de protection de l'intégrité de la personne. Ces systèmes permettent une meilleure prévention des violences familiales.

Les organisations non gouvernementales jouent aussi un grand rôle. En 1988, Wang Xingjuan a fondé le Centre Hongfeng d'aide psychologique pour les femmes à Beijing. C'est la première organisation non gouvernementale à but non lucratif destiné à la protection des droits des femmes. Le centre a d'ailleurs établi une hotline pour les femmes en 1992.

« 20 ans pour une loi, c'est long. La raison pour laquelle cela a pris du temps est que le problème des violences conjugales a longtemps été négligé. La nouvelle loi répond aux demandes des femmes et des organisations de protection des droits des femmes. La promulgation de la Loi contre les violences familiales marque un jalon dans l'histoire. C'est une grande victoire », s'exclame Wang Xingjuan.

Celle-ci propose également d'inclure les violences sexuelles dans la législation, et d'améliorer les 200 refuges pour femmes battues dans le pays, pour que plus de femmes puissent s'y rendre.

« Dans n'importe quel pays, les lois connaissent toutes un processus d'amélioration continu. L'application des lois a aussi besoin d'un processus. Il est également important que les autorités judiciaires, les femmes elles-mêmes et la société acceptent l'idée de l'égalité homme-femme. Mais cela aussi nécessite du temps », conclut Wang Xingjuan.

 

 

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