CHINAHOY

28-June-2016

Des enfants comme les autres

 

Le visage épanoui des enfants est la plus importante motivation de l'association La Lettre bleue.

 

 

Les enfants de mingong(travailleurs migrants) sont souvent laissés dans les campagnes par leurs parents qui travaillent à la ville et n'ont pas le temps de s'occuper d'eux. Véritable problème de société, ces enfants reçoivent l'aide de plusieurs associations qui les accompa-gnent pour leur offrir une enfance comme celle des autres enfants.

 

GONG HAN, membre de la rédaction

 

« Depuis le collège, je n'aime pas le vendredi parce que je dois rentrer à la maison. J'ai peur de ma famille. Je ne sais pas quoi faire. Je veux partir », écrit Xiaokui, dans une lettre envoyée à une bénévole de l'association La Lettre bleue.

 

Xiaokui, est rieuse et optimiste, pourtant, elle fait partie des 61 millions d'enfants qui vivent dans les régions rurales avec leurs grands-parents ou leurs proches et dont les parents travaillent dans les villes comme ouvriers. Le nombre de plus en plus important de ces enfants est devenu un véritable sujet de préoccupation pour la société chinoise.

 

Des préjugés qui collent à la peau

 

Le 14 février 2016, le gouvernement chinois a publié un document pour mieux protéger ces enfants délaissés dans les campagnes, soulignant qu'il s'agit non seulement d'un devoir important des administrations à tous les niveaux, mais aussi une responsabilité commune de toutes les familles et de toute la société chinoise.

 

Les ONG chinoises jouent également un rôle positif dans ce domaine. L'association La Lettre bleue situé à Guangzhou (province du Guangdong) est un bon exemple. Depuis sa création il y a sept ans, La Lettre bleue s'occupe ainsi de 3 351 enfants dans 13 écoles du district de Hanshou (Hunan) et de la ville de Heyuan (Guangdong). Chaque enfant a un correspondant (en général des étudiants bénévoles) et peut lui écrire pour s'épancher. Ceux-ci ont déjà échangé plus de 30 000 lettres.

 

« Pour la plupart des gens, les enfants restés dans les campagnes sont solitaires et fermés, et manquent d'amour. En fait, ces préjugés que les gens ont sur eux constituent une blessure invisible pour ces enfants. L'accompagnement et la compassion sont très importants pour eux », explique Zhou Wenhua, directeur de La Lettre bleue.

 

Selon le Bureau national des statistiques, le nombre de travailleurs migrants chinois a atteint 270 millions. Ceux-ci travaillent dans les régions urbaines pour améliorer leur niveau de vie, mais les problèmes du coût de la vie, de la politique du hukou (enregistrement des ménages), de l'éducation et de l'assurance maladie les obligent à laisser leurs enfants dans les campagnes.

 

« Dans beaucoup de reportages, les enfants dans ce cas sont associés à des mots négatifs : suicide, insociabilité etc. Cela fait longtemps que je côtoie ces enfants, ces cas sont très minoritaires. Chaque enfant possède son propre caractère et ses problèmes, mais leur gentillesse, curiosité et leurs rêves ne sont pas si différents de ceux des enfants des villes », raconte M. Zhou.

 

« Il ne faut pas avoir de préjugés sur les enfants laissés dans les campagnes et dont les parents travaillent en ville. Ils ne sont pas spéciaux ni "à problèmes". Le vrai problème pour eux, ce sont les préjugés que les gens ont sur eux », ajoute-t-il.

 

Pauvres, solitaires et surchargés par les tâches ménagères, voilà la vision que les gens ont de ces enfants. D'après Zhou Wenhua, celle-ci est biaisée. Les conditions économiques des familles de ces enfants ne sont pas forcément comparables à celles des Misérables : les parents travaillent en ville et ont un revenu passable, et les enfants ne sont pas négligés par leurs parents, même s'il est vrai que ceux-ci leur manquent beaucoup.

 

D'après Zhou Wenhua, le plus grand problème des enfants de mingong est qu'ils souffrent d'un manque de sécurité à cause de l'absence des parents. La sensibilité et la fragilité de ces enfants a du mal à s'exprimer, car ce sont les grands-parents et les proches ainsi que les instituteurs qui s'en occupent, or ceux-ci n'attachent souvent d'importance qu'au bien-être matériel et aux études des enfants.

 

Seize images illustrées dans la collection de lettres des enfants laissés dans les campagnes par leurs parents travaillants en ville.

 

Des enfants en manque d'affection

 

Le Hunan et le Guandong, où La Lettre bleue travaille, font partie des cinq provinces avec le plus grand nombre d'enfants dans ce cas. Selon des statistiques de l'association sur les écoles des régions montagneuses du district de Lianping (Guangdong), sept écoliers sur dix sont des enfants dont les parents ne vivent pas à la maison, et parmi ceux-là, cinq ne voient leurs parents qu'une fois tous les six mois.

 

« En général, les enfants comme ça ont deux particularités : ils sont très sensibles aux mots "papa" "maman". Si on les mentionne, ils gardent le silence ou commencent à pleurer, ou bien ils font comme s'ils s'en fichaient. Ils font aussi preuve d'un instinct de protection qui les empêche de faire confiance aux autres. Souvent, cela mène à deux extrêmes : soit l'insociabilité, soit l'extraversion excessive et l'irritabilité », analyse Zhou Wenhua.

 

« Cependant, s'ils vous acceptent, ils auront une totale confiance en vous, et se confieront plus facilement », ajoute-t-il. Chaque fois que les bénévoles visitent leur village, les enfants viennent les accueillir et les conduire chez eux. Ils ne les quittent pas d'une semelle et veulent toujours que les bénévoles restent avec eux jusqu'après le dîner.

 

La séparation d'avec les parents est évidemment très difficile, mais ce qui rend les enfants le plus malheureux sont les relations tendues voire parfois brisées entre les parents. Les bénévoles de La Lettre bleue se sont rendus compte que le sentiment d'abandon qu'ont les enfants n'est qu'un symptôme superficiel, en réalité, c'est la cassure au niveau de la structure familiale causée par la séparation qui a l'impact le plus négatif sur la santé mentale des enfants.

 

Derrière les enfants caractériels se cache souvent une famille désunie. Les enfants restés dans les campagnes qui jouissent d'une famille harmonieuse sont d'ailleurs souvent en bonne santé, plus indépendants, plus raisonnables et sérieux dans leurs études.

 

Le nombre des mingong (travailleurs migrants) s'est multiplié ces dernières années, et a été accompagné d'une augmentation rapide du taux de divorce dans les régions rurales. La séparation à long terme, ainsi que les changements de mentalité et de revenu après avoir une expérience dans les villes, sont des facteurs importants de l'instabilité du mariage. Beaucoup d'enfants que leurs parents ont laissé dans les campagnes souffrent non seulement de la séparation géographique mais aussi de la séparation de ceux-ci. Certains enfants perdent confiance en la famille.

 

Depuis cinq ans, Xiaokui a très peu de nouvelles de son père. Quant à sa mère, celle-ci semble s'être volatilisée dans la nature. Un traumatisme pour cette fille dont les grands-parents s'occupent. Elle est triste de voir ces vieux grands-parents se démener pour elle. Mais elle est contente de vivre avec eux malgré le fossé de génération existant entre eux.

 

Mais elle avoue aussi aux bénévoles qu'elle a pris l'habitude d'éluder toujours ce qu'elle ne veut pas affronter, et préfère s'éloigner de la réalité pour mieux résister.

 

Les lettres de « grande sœur » et « grand-frère »

 

En 2008, la nouvelle du suicide d'un enfant laissés dans les campagnes par ces parents a profondément choqué Zhou Wenhua qui faisait alors ses études de master à l'université Sun Yat-Sen à Guangzhou. Ce pauvre gamin avait écrit dans son ultime lettre : « Papa et maman, vous me manquez. Pourquoi vous ne venez plus me voir ? ».

 

Zhou Wenhua a alors décidé de faire quelque chose pour que cela ne se reproduise plus. Il a créé La Lettre bleue, une plate-forme par laquelle les enfants peuvent parler à cœur ouvert. Au départ, La Lettre bleue était une association affiliée à l'université. Aujourd'hui, elle est financée à 13 % par le gouvernement, 21 % par l'autofinancement, et 67 % par des fondations philanthropiques chinoises.

 

En 2015, 500 étudiants bénévoles sont devenus membres de La Lettre bleue. La sélection pour les candidats nécessite un entretien et un examen écrit, dont la rédaction d'une lettre aux enfants restés dans les campagnes.

 

Zhou Wenhua nous dit que ce qui compte le plus dans ce travail de bénévole, c'est l'empathie : « Notre but n'est pas de conseiller les enfants, ni de leur donner notre avis, mais de les écouter, d'avoir de l'empathie pour qu'ils puissent s'exprimer et montrer ce qu'ils ressentent. »

 

Une collection de lettres baptisée Si tu m'aimes, comprends-moi a été publiée. Dans ce livre, les enfants montrent leur joie enfantine, mais aussi leur tristesse. Au début, ils commencent par raconter des histoires amusantes à l'école, et petit à petit ils commencent à exprimer leur solitude, leur manque de sécurité, ainsi que leur chagrin et impuissance devant l'incompréhension des autres. Certains sont embarrassés par les relations avec leurs parents. Ils sont avides de contact avec eux, mais en même temps sont hésitants et ambigüs. La Lettre bleue joue un rôle canalisateur pour ces enfants en manque d'affection.

 

En 2009, A'Zhi, une petite fille écrit à sa correspondante Xiaoying : « Ma sœur, je pense à toi tous les jours. Je ne sais pas pourquoi il n'y a que toi dans ma mémoire. Est-ce que tu me trouves agaçante quand je te téléphone? Je voudrais savoir ce que tu penses de moi, est-ce que tu peux me le dire ? Que tu sois ma grande sœur est ma plus grande joie. Je penserai toujours à toi. »

 

Trois ans plus tard, A'Zhi a interrompu ses études pour travailler dans une usine électronique à Huizhou (Guangdong), car ses parents ne s'intéressent qu'à son frère. Sur le mur de son appartement, une photo de sa « grande sœur » Xiaoying.

 

Échanger pour mieux aider

 

« L'urbanisation fait que nous devons attacher une plus grande importance aux problèmes des travailleurs migrants et aux mouvements de la population. Aujourd'hui, les contradictions entre la mobilité de la population et les enfants laissés dans les campagnes par leurs parents travailleurs migrants sont une réalité cruelle. Nous n'imaginons pas la solitude qu'ils endurent pendant la nuit, ni la douleur de la séparation à long terme. Celle-ci est insupportable pour des adultes, elle est encore pire pour des enfants », écrit Yuan Yue, docteur en sociologie et président du Groupe de recherche et de consultation Horizon, dans l'avant-propos du livre Si tu m'aimes, comprends-moi.

 

Confronté à cette réalité, Yuan Yue explique qu'une des solutions est de renforcer la communication avec les enfants : « La correspondance peut apporter une présence, qui permet d'éviter la solitude, le sentiment de rejet et d'impuissance que peuvent ressentir les enfants. Par les lettres, les enfants regardent d'un autre point de vue ce qui existe autour d'eux, et la distance entre eux et leur parents se raccourcit. »

 

Le gouvernement chinois espère réduire le nombre d'enfants dans cette situation par deux mesures : la réforme du système de hukou et de la sécurité sociale, pour accélérer l'adaptation des travailleurs migrants à l'environnement urbain, et permettre à davantage de familles rurales de vivre et d'avoir une place en ville. L'autre mesure sera d'encourager et d'aider les travailleurs migrants à retourner dans leur région natale pour y travailler ou s'y engager dans l'entrepreneuriat.

 

Zhou Wenhua accorde beaucoup de crédit à cette orientation, montrant que les mesures du gouvernement en ces deux matières commencent déjà à agir positivement. Cependant, il souligne qu'un changement fondamental de la situation nécessitera une longue période, et que la tâche la plus urgente est de faire agir plus de forces sociales.

 

Il ajoute également que le nombre des établissements sociaux destinés aux enfants de travailleurs migrants a augmenté ces dernières années : « Par rapport aux départements gouvernementaux, les établissements sociaux ont de gros avantages : ils sont plus adaptés, plus efficaces et plus transparents. Le gouvernement doit guider l'attention de la société et des médias sur les enfants de migrants de manière appropriée, en encourageant le développement des organisations sociales et choisissant de meilleurs services par l'achat », remarque-t-il.

 

Quand on lui demande quel est le plus gros impact qu'a La Lettre bleue sur les enfants que l'association aide, Zhou Wenhua répond que l'association a un rôle de soutien psychologique. L'impact n'est pas aussi tangible que des dons de vêtements ou la construction d'un terrain de sport, mais l'échange de lettres entre les enfants et les bénévoles permet aux premiers d'avoir plus confiance et de canaliser leurs émotions. Ils font plus facilement confiance et demandent plus spontanément de l'aide aux autres.

 

« Le cœur des enfants s'ouvre, conclut Zhou Wenhua. Nous avons réussi à convaincre plusieurs enfants de ne pas quitter leurs études tout simplement en leur disant que s'ils délaissaient leurs études, nous ne pourrions plus les suivre et les aider. » Un petit chantage qui porte ses fruits et permet aux enfants de poursuivre leurs rêves en étant accompagnés.

 

 

La Chine au présent

 

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