CHINAHOY

11-January-2016

Produits de luxe : l’exode des consommateurs chinois

 

Liu Qiong*

Zhang Tiantian, col blanc à Guangzhou, est fan de shopping. Elle fut la première à remarquer la boutique Louis Vuitton fermée aux vitrines totalement vides dans le centre commercial de la Perle, dans l'arrondissement Yuexiu. Seul l'enseigne de la boutique restait visible.

Le bail de cette boutique expirait début novembre 2015 et Louis Vuitton ne l'a pas renouvelé. TAG Heuer et Coach ont eux aussi fermé cette année leur magasin amiral à Hong Kong.

Pourtant, le marché des produits de luxe s'est maintenu dans le reste du monde malgré divers facteurs potentiellement inquiétants. En 2015, le marché du luxe mondial a atteint un record de 255,2 milliards de dollars, la consommation des Chinois représentant 116,8 milliards de dollars, soit 46 % des produits de luxe achetés dans le monde. Bien que l'écart de prix entre les produits de luxe vendus en Chine et à l'étranger se réduise, passant de 50 % en 2011 à 25 % cette année, la « fuite vers la consommation » reste massive, les Chinois préférant acheter le luxe à l'étranger.

« Fuite vers la consommation » et vague de fermetures

En 2015, Louis Vuitton a fermé trois de ses boutiques chinoises tandis qu'il en inaugurait deux nouvelles, à Beijing et à Hangzhou. « Nous procédons au réajustement de certaines boutiques pour conserver les plus réussies et optimiser la présence de notre marque », nous a expliqué le responsable de Louis Vuitton en Chine. « Le marché chinois des produits de luxe est riche de perspectives commerciales pour nous. Dans l'avenir, nous allons continuer d'investir en Chine. En 2016, notre plan prévoit l'ouverture de nouvelles boutiques et la rénovation des magasins existants. »

Les loyers élevés et des ventes très peu satisfaisantes, telles sont les raisons qui poussent les marques de luxe à réorganiser leur réseau de boutiques. « La performance d'une boutique (mesurée en chiffre d'affaires par mètre carré) doit couvrir l'investissement consenti pour ouvrir cette boutique, le design et la décoration, mais aussi les frais opérationnels, le loyer, le coût de promotion, etc. Cependant en Chine, et particulièrement dans les principales mégapoles comme Hong Kong, Shanghai ou Beijing, le loyer des boutiques dans les centres commerciaux haut de gamme situés dans les quartiers prestigieux atteint des niveaux astronomiques, hors de portée de nombreuses enseignes » analyse Gachoucha Kretz, expert du marché des produits de luxe et professeur de marketing à HEC Paris. Les marques de luxe commencent donc à remettre en question la rentabilité des boutiques sous franchise.

Zhou Ting est directrice de l'Institut de recherches Fortune Character. C'est une institution de conseil spécialisée dans les études de marché sur les produits de luxe. D'après elle, le mode d'exploitation des boutiques de luxe a évolué suite au ralentissement du marché de luxe et à l'apparition de Big Data et des outils en ligne. « Avec le développement de l'e-commerce, les marques de luxe cherchent à repositionner leur produits et services suivant le schéma O2O. Les points de vente physiques servent surtout à promouvoir l'image de la marque et à compléter le service en ligne. Ce changement de mode d'exploitation oblige les marques de luxe à revoir la structure de leur réseau de vente. »

Selon le Rapport sur les produits de luxe en Chine 2015 publié par Fortune Character, les achats de produits de luxe réalisés par les consommateurs chinois atteindrait 116,8 milliards de dollars en 2015, soit une croissance de 9 % par rapport à 2014. Il faut noter que la part de la Chine sur le marché mondial des produits de luxe est passé de 11 % en 2014 à 10 % en 2015. Dans le même temps, les consommateurs chinois achètent de plus en plus de produits de luxe à l'étranger : 91 milliards de dollars en 2015, soit une croissance de 12 %. C'est-à-dire que 78 % des produits de luxe achetés par les Chinois à l'étranger, un exode massif de la consommation de luxe.

Les enquêtes montrent que les consommateurs chinois attribuent principalement cet écart entre les prix intérieurs et extérieurs aux taxes très élevées (38 %), à des canaux de distribution compliqués (24 %) voire à une augmentention intentionnelle des prix par les marques en Chine (19 %). Des facteurs qui heurtent les sentiments des consommateurs chinois.

Évolution du marché

Face à ce problème, le gouvernement chinois a lancé en 2015 une série de mesures pour tenter de doper la consommation nationale, en encourageant l'importation, en simplifiant les transactions transfrontalières et en réduisant les droits de douane. L'écart de prix sur les principaux produits de luxe s'est réduit, passant de 50 % ou 60 % en 2011 à une fourchette comprise entre 20 % et 30 % aujourd'hui.

Grâce à ces mesures de stimulation, la consommation domestique de produits de luxe est remontée à 25,8 milliards de dollars en 2015, une croissance de 3 %. Une reprise qui s'est répartie à la fois dans les outlets et les achats en ligne, mais qui n'a pas bénéficié aux boutiques physiques traditionnelles. La vente de détail en boutiques continue de subir des pertes.

Zhou Ting considère que le marché chinois des produits de luxe est en pleine mutation. En 2016, les autorités chinoises poursuivront le réajustement des droits de douane à l'importation et d'autres mesures seront prises pour limiter la consommation à l'étranger et stimuler la consommation domestique. Bien que le nombre de touristes partis à l'étranger ait connu un essor en 2015, accroissant la consommation des produits de luxe à l'extérieur des frontières, cette tendance devrait s'estomper. En 2017, il est probable que l'on verra le retour de la consommation en Chine. Les outlets et les achats en ligne sont deux forces majeures qui devraient relancer la demande domestique.

Détenue par le groupe Louis Vuitton, la marque suisse de montres haut de gamme TAG Heuer a elle aussi fermé en août sa boutique de Hong Kong sur l'avenue Russell. Au mois de septembre, elle a ouvert un magasin en ligne basé sur le site chinois d'e-commerce JD.com, son nouveau porte-drapeau. Des marques de luxe comme Burberry, Chanel, La Mer, Coach et Cartier cherchent de nouveaux canaux de distribution en ligne, soit en créant leur propre boutique en ligne, soit en s'installant sur des plates-formes tierces.

Nouvelles opportunités et défi sans précédent

Selon une enquête, parmi les chinois les plus fortunés, seuls 4 % choisissent d'acheter des produits de luxe par les sites e-commerce chinois ; 44 % préfèrent surfer sur le site officiel de la marque pour réaliser leurs achats ; 27 % le font sur un site d'achat étranger ; 19 % d'entre eux se procurent des produits de luxe à l'étranger par l'intermédiaire d'un tiers. La part de marché des sites d'achat chinois est donc très marginale.

Cependant, Zhou Ting considère qu'il reste des opportunités de croissance pour le marché du luxe en Chine. Particulièrement pour les marques qui fabriquent des produits sur mesure ou haut de gamme, ciblant un marché de niche, disposant d'un avantage bien défini, notamment celles qui peuvent se targuer d'une longue histoire, d'une technique très spécialisée ou de matières premières rares. Ces marques peuvent fidéliser efficacement leur clientèle.

Les services sur mesure se sont fortement développés en Chine en 2015, et ils représentent d'ores et déjà 20 % du marché du luxe. 86 % des marques de luxe offrent un service sur mesure sous une forme ou une autre. De plus en plus de start-up se concentrent sur des projets d'Internet spécialisé visant à l'élaboration d'un produit de luxe sur mesure : plus de 400 projets de ce genre sont apparus sur le marché en 2015. Malheureusement, aucun de ces projets n'a encore acquis une renommée nationale.

Aux yeux de Zhou Ting, ce sont les services sur mesure qui constituent la meilleure réponse pour les entrepreneurs. Les projets de services sur mesure liés au Big Data vont continuer à se développer. Au fil du temps, la compétition et les regroupements sont prévisibles, et on verra émerger quelques grands noms de sociétés spécialisées dans ces services. Il est probable que les géants de l'Internet comme Baidu, Alibaba et Tencent se lanceront eux aussi à l'assaut de ce domaine pour en devenir la force majeure.

 

*Liu Qiong est journaliste de China Business News.

 

 

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