CHINAHOY

30-October-2015

Connaissez-vous le thé Duyun Maojian ?

 

Les champs de théiers près d'un réservoir.

 

Le thé chinois, dont la préparation requiert des heures de travail minutieux, se heurte à l'économie de marché où « le temps, c'est de l'argent ». Comment perpétuer la tradition tout en dégageant des bénéfices ? Rencontre de producteurs dans le Sud du Guizhou.

LU RUCAI, membre de la rédaction

« Cette année marque le 100e anniversaire de l'Exposition universelle de Panama-Pacific, lors de laquelle le thé Duyun Maojian avait obtenu une médaille d'or. C'est donc l'occasion de promouvoir cette variété de thé à l'international », affirme Liu Shijie, chef de l'Association du thé de la préfecture autonome de Qiannan, dans le Sud du Guizhou.

Duyun est le chef-lieu de cette préfecture. Avec son sol hautement fertile et son cadre naturel exceptionnel, Duyun est le pays du thé par excellence depuis la dynastie des Tang (618-907). « C'est grâce aux conditions géographiques et climatiques spécifiques du coin qu'a pu naître l'appellation Duyun Maojian », affirme Liu Shijie.

C'est dans cette ville où s'est tenue, du 22 au 25 septembre, la Conférence sur le développement de l'industrie du thé dans le Guizhou et la promotion du label centenaire Duyun Maojian. L'organisateur espère que la variété Duyun Maojian, couronnée un siècle plus tôt, s'exportera tout autour du globe pour être véritablement sur toutes les lèvres..

De terres arables à plantations de thé

À 30 km environ de Duyun se trouve le bourg de Maojian au cœur de la montagne Luosike. À une altitude moyenne de 1 500 m, il présente un relief karstique typique avec ses pics et vallons. Non loin au sud se dressent les montagnes Doupeng, un site naturel classé au niveau national, et à l'est s'écoule la source du réservoir Shimenkan. Vu du ciel, le bourg ressemble à un gigantesque bigorneau, d'où le nom luosi en chinois. Là, nous avons visité la plantation de thé de la coopérative Luosike-Hetou.

Zhang Guanghui, 48 ans, en est le chef du conseil d'administration. Créée en 2008, la coopérative Luosike-Hetou regroupe désormais 146 foyers. « Au moment de la fondation de la coopérative, c'était moi et huit autres personnes qui nous occupions de la culture », se rappelle Zhang Guanghui. Les plantations s'étendaient alors sur 300 mu environ (un mu = 1/15 ha). Mais dès la deuxième année, elle a gagné du terrain. « En 2004, le gouvernement central a lancé une politique ciblant la reconversion des terres agricoles. Nombreux sont les champs à Duyun qui ont été transformés en plantations de thé », ajoute Zhang Guanghui. Pour chaque mu consacré à la culture du thé, le gouvernement accordait une subvention de 700 yuans. Sous l'élan de cette mesure incitative et la participation active des cultivateurs, la superficie des plantations de thé de la coopérative est passée de 300 à 5 400 mu.

Zhang Guanghui avoue qu'au début, les paysans traitaient les feuilles de thé fraîchement cueillies au-dessus de leur marmite fumante. La qualité finale n'était alors pas garantie. Puis ces feuilles étaient placées dans un piètre emballage, de sorte qu'elles ne pouvaient pas se retrouver dans les rayons des grandes surfaces. Elles étaient plutôt vendues dans la rue, à moindre prix, bien entendu. À la création de la coopérative, les membres ont collecté des fonds en vue de faire construire une usine de traitement. De son côté, Zhang Guanghui s'est rendu plusieurs fois à Guiyang (capitale du Guizhou) pour y suivre une formation dans ce domaine. Puis, de plus en plus de cultivateurs ont désiré intégrer la coopérative. À l'heure actuelle, elle regroupe 146 foyers membres. Par ailleurs, quelque 300 familles sont en contact avec la coopérative, lui demandant de transformer ou de commercialiser leurs feuilles de thé. C'est ainsi que Zhang Guanghui et compagnie ont donné naissance à la première coopérative de thé de la province du Guizhou.

« Ici, le temps est souvent brumeux, ce qui ne convient pas à la culture des céréales. Il y a encore dix ans, les locaux dépendaient de l'aide du gouvernement pour manger à leur faim », narre Zhang Guanghui. À défaut, ces dernières années, c'est la culture du thé, encouragée par le gouvernement, qui est devenue la principale source de revenus des habitants. En plus de cette industrie primaire traditionnelle, la coopérative organise des activités de tourisme vert et tient des auberges. Dans le bourg de Maojian, le revenu par habitant atteint presque 10 000 yuans aujourd'hui. « Deux tiers des familles possèdent désormais une voiture », nous indique-t-on.

En 2016, les plantations de thé de toute la ville de Duyun devraient couvrir une surface de 2 millions de mu. Celles de la coopérative s'étendront sur 10 000 mu, selon les prévisions de Zhang Guanghui.

 

Pré-séchage des feuilles de thé vert. (MA GENGPING)

Manuel ou industriel ?

Les amateurs de thé savent bien que les meilleures feuilles sont préparées à la main, de la cueillette à la transformation. « Pour une livre de thé sec, il faut ramasser quatre livres de feuilles de thé. Et pour obtenir une livre de feuilles de thé, il faut compter environ 60 000 pousses. Cela signifie que les agriculteurs doivent faire 480 000 coupes pour produire une livre de thé sec », explique Huang Yi, employée du Bureau pour le développement de l'industrie du thé à Duyun, experte dans le domaine puisqu'elle a étudié l'art du thé à l'Institut des Trois Gorges du Hubei.

Elle indique que des villageois des districts voisins viennent travailler dans les plantations de thé lors de la saison de cueillette. Leur salaire est proportionnel au poids des feuilles de thé qu'ils récoltent au jour le jour. Ces dernières années, le coût de la main d'œuvre ne cesse de grimper. Une livre de feuilles de thé fraîches équivaut à 120 yuans en coût salarial. À ce compte-là, une livre de thé sec revient à près de 500 yuans.

Zhang Guanghui précise qu'il faut ajouter à cela les frais d'entretien de chaque mu, estimés à 40-50 yuans, désherbage manuel compris. Si l'on compte en plus le coût de la main-d'œuvre pour griller le thé à la main, les dépenses nettes pour un kilo de thé sec s'élèvent à 1 200 yuans environ. « Lorsque les touristes viennent découvrir tout le processus de fabrication, ils comprennent que 2 000 yuans le kilo est en fait un prix raisonnable pour le thé Duyun Maojian », explique Zhang Guanghui. Il faut savoir que dans leur coopérative, les feuilles sont cueillies uniquement au printemps, aux alentours de mars-avril. L'année dernière, la coopérative a vendu pour 1,36 million de yuans de thé, sur lesquels elle a dégagé seulement 3 000 ou 4 000 yuans de bénéfices par mu. « Comme le thé est fabriqué à la main, il est cher et ne se vend pas bien », explique Zhang Guanghui.

L'année dernière, les représentants d'une entreprise de Hangzhou sont venus dans le bourg de Maojian. Après une dégustation, très satisfaits de la qualité du thé produit ici, ils se sont dits prêts à en acheter 300 tonnes. « Mais nous ne pouvons pas produire 300 tonnes de thé à la main ! » Un problème pour la coopérative, qui est donc passée à côté d'une grosse commande. Elle a alors décidé de recourir aux techniques industrielles pour la production du thé en été et en automne, afin que les feuilles sorties à ces saisons ne soient pas gaspillées. Actuellement, une usine est en construction. Zhang Guanghui reconnaît : « Les traditions doivent être conservées, mais l'industrialisation est aussi importante. »

Capacité de production et promotion du label

Ces dernières années, Zhang Guanghui et ses collaborateurs ont bénéficié des efforts déployés par le Guizhou pour développer l'industrie du thé. Le gouvernement de cette province a lancé le Plan d'action pour la montée en gamme de l'industrie du thé du Guizhou sur la période 2014-2016. Les autres autorités compétentes et les exploitations ont aussi introduit des politiques de soutien portant sur les divers maillons de la chaîne industrielle tels que la culture, la transformation et la vente. Les cultivateurs de thé se sont ainsi vus accorder des subventions.

Pour l'heure, les plantations de thé se dénombrent à 6,61 millions de mu dans le Guizhou et permettent la production au printemps de 105 800 tonnes de thé sec. 2 879 entreprises opérant dans le secteur sont répertoriées dans la province, parmi lesquelles 1 820 sociétés (exploitations, usines, commerces) et 1 059 coopératives. Sur les huit premiers mois de cette année, les exportations de thés en provenance du Guizhou ont atteint 15,67 millions de dollars, soit une augmentation de 50,2 % en glissement annuel. Ce chiffre a déjà dépassé le montant enregistré sur l'ensemble de 2014.

Malgré ce beau score, Liu Shijie indique que le thé chinois souffre d'un manque de reconnaissance : les différentes marques restent peu connues. « La Chine a beau compter un total de 70 000 entreprises de thé, aucune d'entre elles n'est aussi célèbre que Lipton. » Et bien que la Chine soit un grand pays producteur de thé, les consommateurs ne sont pas aussi nombreux qu'on se l'imagine. « En Chine, ceux qui boivent du thé sont beaucoup moins nombreux qu'en Grande-Bretagne et en Russie. »

À l'occasion de la Conférence sur l'industrie du thé du Guizhou, un marché consacré au thé Duyun Maojian a ouvert ses portes. Une première vague de 200 entreprises se sont mises à accueillir les clients sur leur stand. Le jour de l'ouverture, M. Zhang, patron de la société Fucha, montrait aux visiteurs comment griller le thé. « En quarante minutes, je peux griller 100 grammes de thé. Il faut le faire à la main, surtout pas à la machine, si l'on veut conserver toute l'essence de celui-ci », affirme-t-il. Ces commerçants sont exemptés de loyer la première année, une initiative prise par le gouvernement local dans l'optique d'encourager les entreprises à venir s'installer sur le marché. En plus de son stand, M. Zhang gère une boutique au centre-ville. Comme la grande majorité des commerçants de thé du coin, il exploite en parallèle une plantation de quelques milliers de mu. Mais il n'ose pas étendre ses activités, car « le thé Duyun Maojian est hors de portée des bourses modestes ». Cependant, la qualité est là ! « Prenez n'importe quelle gamme de Duyun Maojian confectionné par mes soins, vous verrez qu'ils valent mieux que le Longjing ou le Biluochun (deux thés verts hautement reconnus). » Liu Shijie ajoute qu'en raison des excellentes conditions environnementales et climatiques locales, des entreprises du Fujian et du Zhejiang viennent au Guizhou pour y cultiver des théiers ou y acheter des feuilles de thé fraîchement coupées.

Parallèlement à la vente traditionnelle, presque tous les producteurs de thé ont ouvert des boutiques en ligne sur des plates-formes d'e-commerce. Chen Xiaoyun en est un exemple. Responsable de la société Kaiyuan spécialisée dans les thés du Sud du Guizhou, il a lancé en 2010 sa boutique sur Taobao à dessein de promouvoir sa marque. « On peut entrer en contact avec les clients sur Internet. Ensuite, ils viennent sur place pour inspecter nos produits. Enfin, s'ils sont convaincus, ils achètent la marchandise en gros. » Face au contexte actuel du marché, M. Chen a volontairement réduit sa production de thés haut de gamme tout en développant des produits plus adaptés au goût et à la demande du public, afin d'accroître ses ventes.

En juillet, Alibaba a inauguré son marché en ligne du thé Duyun Maojian, qui regroupe déjà une quarantaine d'entreprises. D'après Chen Xiaoyun, les règles sont strictes pour s'y inscrire. Toute une série de certifications et autres documents administratifs sont exigés pour garantir la qualité du thé vendu.

Afin de hausser la notoriété du label Duyun Maojian, la préfecture autonome de Qiannan a également créé la Commission de gestion du thé Duyun Maojian, qui a élaboré 25 règlements en supplément des normes locales existantes. Par ailleurs, elle a fait breveter la technique de transformation du thé Duyun Maojian à la main. Quant à la technique de fabrication traditionnelle du thé Duyun Maojian, elle a été classée sur la quatrième liste du patrimoine culturel immatériel du pays. Le Jardin sur la culture du thé, une première du genre dans le Sud du Guizhou, a été ouvert à Duyun.

« Le Duyun Maojian est le deuxième thé le plus populaire en Chine, mais demeure pourtant méconnu à l'étranger », regrette Liu Shijie. Alors comment mieux diffuser le thé chinois et infuser un zeste de culture chinoise hors des frontières ? Un vaste sujet de réflexion pour les entreprises du secteur...

 

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