CHINAHOY

30-October-2015

Le « miracle chinois » en péril ?

 

Le quai de conteneurs destinés à l'étranger du port de Qingdao dans le Shandong. La baisse des frais d'import-export devrait stimuler les entreprises tournées vers le commerce extérieur.

 

La presse internationale, toujours à l'affût de signes de faiblesse de l'économie chinoise, sonne l'alarme. Remise en perspective.

MEI XINYU*

Au moment où presque toutes les économies émergentes doivent affronter de fortes turbulences économiques, le taux de croissance de l'économie chinoise est tombé, aux premier et deuxième trimestres de cette année, à son plus bas niveau depuis 1990 ; suite à la dévaluation du yuan vis à vis du dollar et aux turbulences qui ont agité la bourse chinoise et commençaient à menacer les marchés d'autres pays, des voix se sont élevées dans le monde pour jouer les Cassandre envers la Chine. Il est pourtant facile à ceux qui conservent un point de vue global et objectif de constater que les fondamentaux de l'économie chinoise restent meilleurs que ceux des grandes puissances économiques ainsi que des économies émergentes. Les difficultés de l'économie chinoise ont donc fait l'objet d'exagérations, alors que celle-ci dispose d'une marge de manœuvre plus grande que la plupart des autres pays pour maintenir une croissance régulière.

Les fondamentaux de l'économie chinoise sont solides

La baisse du taux de la croissance chinoise est une réalité et elle s'explique à la fois par le stade de développement socio-économique du pays et par l'économie mondiale qui se trouve dans une période de croissance lente. Ce taux reste très élevé par comparaison avec celui des autres pays. La croissance américaine qualifiée de « forte » est restée inférieure à 3 % ces dernières années. Alors que certains parlent de « profonde préoccupation », voire même de « débâcle économique », au sujet de l'économie chinoise, il faut constater que son taux reste aux alentours de 7 % par an. Pas encore de quoi alimenter des prévisions catastrophistes.

Il en va de même pour la situation du commerce extérieur. Il est d'ores et déjà clair que les résultats de cette année seront inférieurs à ceux des années passées ; il est tout aussi certain que l'époque faste de ces dix dernières années, où le commerce extérieur connaissait un accroissement annuel de 30 à 40 %, est révolue. Le ralentissement du commerce extérieur chinois s'inscrit dans la période de baisse du commerce mondial. Selon l'étude réalisée par le CPB (Bureau néerlandais d'analyse de la politique économique), le volume du commerce mondial a baissé, au deuxième trimestre, de 0,5 % par rapport au premier trimestre (le plus important recul depuis 2009), et a augmenté de 1,1 % en rythme annuel. Il faut aussi souligner le fait que les principales économies du monde, qui sont aussi les principaux concurrents de la Chine, ont enregistré une baisse plus importante encore : au premier trimestre, une baisse de 2,7 % pour la Chine, 7,1 % pour les États-Unis et 3,5 % pour le Japon, tandis que le volume des échanges d'import-export de l'Inde chutait de 20 %, pour atteindre son plus bas niveau depuis la crise financière.

La grande morosité du marché mondial des produits primaires qui a commencé en 2012 et qui pourrait se prolonger sur les 10 à 15 ans à venir, et le changement de cap de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed), ont entraîné, ces dernières années dans presque toutes les principales économies émergentes, de violentes turbulences économiques, et plusieurs de ces pays ont vu leur monnaie se déprécier de 20, voire de 40 % en un an. La crise du marché financier a provoqué des remous qui ont inévitablement, par contagion, touché la Chine et influencé un certain nombre d'acteurs économiques dans leurs prévisions sur l'évolution de l'économie chinoise. Cependant il faut noter que la Chine, premier pays manufacturier du monde et un pays bénéficiant à la fois d'une balance commerciale et d'une balance positive des opérations courantes depuis 25 années consécutives, se distingue des pays exportateurs de produits primaires, présentant des fondamentaux économiques et sociaux particuliers. C'est ce qui nous permet d'affirmer qu'il n'y aura pas de krach de l'économie chinoise, contrairement à ce qui s'est produit par le passé dans certaines économies émergentes.

Le gouvernement chinois dispose d'une plus grande marge de manœuvre que les autres pays pour procéder à la régulation macroéconomique et soutenir ainsi la croissance économique : par rapport à la Fed et aux autres banques centrales occidentales, il lui est plus libre d'agir pour, par exemple, augmenter les investissements financiers ou abaisser le taux d'intérêt et le ratio de réserves obligatoires (ceux-ci sont plus élevés que pour les autres principales économies ou les pays occidentaux). Par ailleurs, la Banque populaire de Chine, en assouplissant sa politique monétaire pour soutenir la croissance, n'a pas à craindre une accélération de l'inflation comme c'est le cas pour beaucoup de banques centrales.

Cette situation s'explique par le fait que la Chine avait connu une assez longue période de faible inflation, et d'inflation principalement importée. Premier pays commercial du monde mais avec un fort degré de dépendance vis-à-vis du commerce extérieur (derrière l'Allemagne), la Chine fait face à une inflation d'importation : l'augmentation du coût des matières premières, de l'énergie, des céréales et des produits finis qu'elle achète. La morosité actuelle du marché des produits primaires fait que, pour une assez longue période à venir, la Chine devra faire face à la déflation plutôt qu'à l'inflation. Même la hausse des prix des produits tels que la viande de porc ne suffira pas à inverser cette tendance.

C'est pourquoi que le 25 août dernier, la Banque populaire de Chine a assoupli une fois de plus sa politique monétaire, annonçant une nouvelle baisse du taux d'intérêt et du taux de réserves obligatoires.

Avantages de l'environnement commercial en Chine

Les indicateurs fondamentaux qui décideront des perspectives de l'économie chinoise à moyen et long terme, ainsi que de son industrie manufacturière et son commerce extérieur restent solides.

Prenons comme exemple la diminution de l'avantage de coûts. Le revenu national (RN) chinois a fortement progressé par le passé et devrait continuer de croître à l'avenir. Conséquence logique de son développement socio-économique, l'avantage de la main-d'œuvre chinoise bon marché n'est plus d'actualité. Dans la mesure où le gouvernement chinois a décidé de partager entre tous les Chinois les bénéfices du développement du pays, il renonce à compter plus longtemps sur les bas salaires des travailleurs comme avantage dans la concurrence internationale. Cependant, la disparition de cet ancien avantage est compensée par de nouveaux avantages qui arrivent à point nommé.

La forte augmentation du RN chinois a créé un marché intérieur plus important que jamais. Ceci ouvre des perspectives sans précédent aux investisseurs qui visent le marché chinois.

Avec l'accroissement de son RN, l'économie chinoise s'est placée au second rang mondial. Un marché plus important implique, toutes choses égales par ailleurs, une plus grande stabilité macroéconomique et une plus grande marge de manœuvre pour le gouvernement dans l'application de sa politique de régulation macroéconomique visant à maintenir la croissance régulière.

Grâce à l'accroissement de son RN et au renforcement de sa puissance globale, la Chine peut exercer une plus grande influence sur les règles du commerce international. Si par le passé, elle n'avait d'autre choix que de subir le protectionnisme de ses partenaires, la Chine est aujourd'hui plus à même de convaincre ses partenaires d'adopter une meilleure attitude à l'égard du « made in China ». Un contexte qui fait entrevoir aux entreprises investissant en Chine un risque moindre de subir le protectionnisme étranger.

Pour les pays en développement qui concurrencent le « made in China », les avantages de coût se trouvent largement amoindris par le fait qu'ils ne bénéficient pas d'un régime aussi favorable, une faiblesse à laquelle il est difficile de remédier. Pour prendre un exemple, la main-d'œuvre indienne est beaucoup moins chère que la chinoise, mais cet avantage est contrebalancé par le prix exorbitant des terres, sans parler des écarts dans la formation générale de la main-d'œuvre, de la productivité et de la qualité des produits. Compte tenu des avantages de la Chine dans les domaines des infrastructures, des industries d'accompagnement, des services publics et de la qualité des ressources humaines, ainsi que de la détermination du gouvernement chinois de les améliorer sans cesse, il est raisonnable de supposer que l'environnement commercial de la Chine, son industrie manufacturière et son commerce extérieur maintiendront un certain temps encore un avantage relatif.

La Chine a bon espoir de maintenir sa monnaie stable

La baisse du yuan contre le dollar et les fortes chutes des cours à la bourse chinoise ont fourni un prétexte à la dévaluation de plusieurs monnaies nationales et à des baisses successives du cours des produits primaires, tandis que des voix s'élevaient un peu partout pour accuser la Chine de provoquer une « guerre des monnaies », et que des spéculations à la baisse future du yuan se sont multipliées.

Cela fait 17 années consécutives que le taux de change annuel moyen du yuan chinois s'apprécie. Depuis 1997, il est passé de 8,2898 contre un dollar à 6,1428 en 2014. La récente dévaluation du yuan répond à la nécessité d'assouplir le mécanisme de formation du taux de change sur la base des règles du marché et de le laisser fluctuer dans les deux sens. N'oublions pas les faits suivants : le taux de change à long terme du yuan a baissé sur le marché offshore il y a quelque temps déjà ; la présente dévaluation du yuan a eu lieu dans le contexte d'une forte dévaluation, ces douze derniers mois, de plusieurs monnaies émergentes, ainsi que de l'euro et du yen japonais face au dollar (18 % pour l'euro et le yen, 23 % pour le dollar australien, 34 % pour le réal brésilien et 6 % pour la roupie indienne). La dévaluation du yuan contre le dollar américain n'a donc rien de spectaculaire. Dans un autre registre, on peut constater que la forte dépréciation des monnaies notamment de pays émergents face au dollar n'est que la conséquence logique de la politique d'assouplissement quantitatif appliquée par la plupart des banques centrales occidentales entre 2009 et 2010.

À considérer la situation dans son ensemble, les fondamentaux de l'économie chinoise ne semblent pas exiger de forte dévaluation du yuan, et les décideurs chinois n'ont aucune raison de provoquer une dévaluation compétitive de la monnaie. Le taux de change du yuan devrait se stabiliser pour plusieurs raisons : le rythme de croissance de l'économie chinoise, bien que ralenti, reste supérieur à celui des autres pays ; la Chine continue d'enregistrer des excédents dans son commerce des marchandises et sa balance des opérations courantes ; les investissements étrangers directs se maintiennent à un niveau élevé ; enfin, la Chine se compare favorablement aux principales économies du monde en termes de finances et d'endettement.

Que ce soit à court, moyen ou long terme, les décideurs de l'économie chinoise n'ont aucun intérêt à laisser filer le yuan, et encore moins à l'encourager. À court terme, une forte dévaluation ne ferait qu'alourdir la dette en dollar des entreprises chinoises. Et il s'agit en général d'entreprises de haute technologie ou même de grandes entreprises pilotes dans différents secteurs qui avaient pu, voici quelques années, emprunter des dollars à un taux très favorable sur les marchés financiers internationaux. On comprend la gravité du choc qu'une dégradation de leur situation pourrait provoquer sur la stabilité de l'économie chinoise. D'autre part, la Chine ne souhaite pas déclencher une dévaluation compétitive de son taux de change, ce qui reviendrait à se servir du champ de son voisin comme déversoir. À plus long terme, dans le cas où se reproduit de temps en temps la situation de turbulences sur le marché financier entraînant une dévaluation, cela conduirait à la stagnation de l'économie chinoise en plein décollage, une situation défavorable envers laquelle elle demeure vigilante depuis des années.

Dans le même temps, la Chine possède plus que tout autre pays la capacité de maintenir la stabilité du yuan devant les attaques spéculatives, grâce à 4 000 milliards de dollars de réserves de change, l'échelle de son économie et l'importance de ses avoirs financiers. C'est pourquoi, la fuite des capitaux spéculatifs hors de Chine suite à un vent de panique serait loin de pouvoir ébranler la situation d'ensemble, et on peut s'attendre à ce que les gouvernements et les banques centrales des principales économies du monde prendraient l'initiative de se concerter avec leurs homologues chinois.

Le fait que des turbulences sur le marché chinois aient entraîné des remous sur le marché mondial souligne l'importance systémique de la Chine dans le système économique mondial et le rôle important qu'elle joue dans le maintien de la stabilité macroéconomique. Une situation nouvelle qui contribue à affaiblir les raisons de la fuite des capitaux vers le dollar, tout en renforçant celles de rapatrier les capitaux vers la Chine. Si, dans le passé, peu de gens avaient pris conscience de l'importance systémique de l'économie chinoise, peu d'acteurs du marché peuvent l'ignorer aujourd'hui.

 

*MEI XINYU est maître de recherches à l'Académie du commerce international et de la coopération économique relevant du ministère du Commerce.

 

 

La Chine au présent

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