CHINAHOY

1-June-2015

Économie verte : de l’air pur et des emplois

 

Dans le monde entier, le débat sur les énergies « propres » fait rage. Encore un domaine où la Chine prend la tête du cortège. Explication.

 

 CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction

 

 

« L’économie verte », créatrice à la fois d’emplois et d’air pur, que les politiciens européens évoquent si souvent comme une espèce d’utopie pour un avenir éloigné, est une réalité en Chine. Il faut dire que le pays est sur la sellette depuis le sommet de Copenhague en 2009. En 2010, avec 23 % des émissions de CO2 mondiales, elle se voyait décerner le titre peu envié de premier pollueur de la planète.

 

Premier pollueur ? L’argument est à relativiser. D’abord, les émissions de CO2 doivent être prises dans une perspective historique : que pèsent les émissions chinoises d’aujourd’hui dans le réchauffement climatique, par rapport à celles de l’Europe qui brûle du charbon, puis du pétrole, depuis la Révolution industrielle ? Ensuite, accuser la Chine c’est bien gentil, mais n’oublions pas que les biens ici fabriqués sont en grande partie destinés aux marchés étrangers ; la responsabilité des émissions est donc largement partagée ! Enfin, comparer les émissions chinoises (donc d’1,3 milliard d’habitants) avec les émissions de pays plus petits n’a pas beaucoup de sens. Il est évident que les pays les plus peuplés émettent le plus de CO2 ! Par habitant en revanche, le Chinois émet moitié moins que l’Européen le plus vertueux et quatre fois moins que l’Américain moyen !

 

Cela dit, quelles que soient les circonstances historiques et les responsabilités respectives, il faut agir. D’une part, parce qu’au fur et à mesure du développement économique, la population du pays tend vers un mode de vie de plus en plus énergivore. D’autre part, parce que les ressources énergétiques sont déjà exploitées au maximum et que les approvisionnements étrangers coûteront probablement de plus en plus cher.

 

Depuis plusieurs années déjà, des projets-pilotes, des initiatives régionales, des plans de grande ampleur ont été mis sur les rails. En octobre 2012, le Bureau de l’information du Conseil des affaires d’État de Chine a publié le Livre blanc sur la politique énergétique chinoise qui définit un catalogue d’objectifs mesurables et de projets concrets d’ici à 2030. Dans ses grandes lignes, ce plan veut mettre l’accent sur les économies d’énergie et sur les énergies vertes. Le plan distingue entre énergies « renouvelables » qui sont l’hydroélectricité, le photovoltaïque, le biogaz et l’éolien, et les énergies « vertes », qui sont les mêmes plus le nucléaire (non émetteur de CO2). L’objectif est d’atteindre 20 % d’énergies vertes d’ici 2020 et le « pic d’émissions » en 2030, date à partir de laquelle la consommation énergétique du pays devrait décroître (avec un PIB qui devra continuer de croître).

 

Selon l’AIE, 2014 est l’année où l’on a vu les premiers résultats de ces investissements, puisque les émissions de CO2 ont reculé de 2 % par rapport à 2013, pour la première fois depuis 2001.

 

La force de ce plan est qu’il répond à diverses préoccupations et rassemble plusieurs objectifs. Par exemple, les énergies renouvelables sont vues non seulement comme un moyen d’améliorer la qualité de l’air et de faire baisser les émissions de CO2, mais aussi comme une façon de réduire la dépendance du pays envers les importations d’hydrocarbures. Au-delà des objectifs écologiques et sanitaires, la Chine voit aussi dans les énergies renouvelables un moyen de renforcer sa sécurité énergétique. La transition énergétique est en même temps un formidable réservoir d’emplois. Selon une étude récente publiée par l’Institut d’études urbaines et environnementales de l’Académie des sciences sociales de Chine, 4,5 millions d’emplois directs seront créés, et plusieurs dizaines de millions d’emplois induis, d’ici à 2020, par les investissements dans les énergies renouvelables. Enfin, la course aux énergies propres répond à la priorité gouvernementale dans la « nouvelle normalité » qui est de favoriser l’innovation et la création de PME. Contrairement à l’Europe où les initiatives écologiques sont souvent l’objet d’un débat idéologique entre « idéalistes » et « réalistes », elles s’inscrivent ici dans la logique globale du développement économique et social du pays. Créer des emplois, améliorer la qualité de l’air, renforcer la sécurité énergétique, faire des économies, tel est le programme dévolu au développement des énergies vertes.

 

Le « mix énergétique » doit évoluer

 

Au-delà du consensus général sur une politique qui fait plus de place à l’énergie renouvelable, il faut bien constater que chaque type d’énergie verte présente ses aspects positifs et négatifs, aucune ne présentant que des avantages. Surtout, chacune correspond à des conditions locales et mondiales bien particulières. Aussi bien en Chine qu’ailleurs, l’idée du « mix » énergétique est désormais entrée dans les esprits. Seul un « mix » énergétique, c’est-à-dire une combinaison des différentes sources d’énergie, pourra faire face au double défi qui consiste à répondre à la demande croissante sans mettre à mal les ressources naturelles limitées de notre planète.

 

Le plan annoncé par la Chine (20 % de la consommation énergétique fournis par des énergies propres) ne pourra être tenu qu’à certaines conditions, soulignait Michel Aglietta, de l’Agence française de développement, lors de son intervention à la conférence sur la transition énergétique chinoise organisée à Beijing en novembre 2014. L’étalement urbain, qui favorise les déplacements en voiture, par exemple, et le choix de la Chine de remplacer massivement le charbon par du gaz, vont à l’encontre des objectifs affichés. En revanche, l’investissement dans le solaire, l’éolien, le biogaz et les technologies innovantes est encourageant.

 

Des investissements en hausse constante

 

En 2014, le pays a investi un total de 336 milliards de yuans (1 euro ~ 6,25 yuans) dans de nouvelles capacités de production éolienne, solaire et autres énergies renouvelables. Avec  378 GW de capacité installée, la Chine s’est hissée au premier rang des pays producteurs d’énergie renouvelable, principalement hydroélectrique et éolienne. Depuis l’année dernière, la Chine est le premier producteur et consommateur mondial d’énergie éolienne, solaire et hydroélectrique, dont la production cumulée est équivalente des productions d’énergie totales de la France et de l’Allemagne additionnées.

 

Des pistes nouvelles sont en cours de développement. Lorsqu’on parle d’énergie renouvelable, on pense d’abord à l’éolien et au photovoltaïque. Mais selon les régions, d’autres sources d’énergie verte sont possibles. La Chine est déjà le troisième producteur mondial d’éthanol (après les États-Unis et le Brésil), un carburant qui fait rouler dès à présent 20 % du parc automobile chinois. À en croire les experts chinois, ces cultures ne menacent pas la sécurité alimentaire du pays, malgré le nombre croissant de fermiers qui se reconvertissent à l’éthanol, contredisant les inquiétudes affichées par le Fonds monétaire international qui s’inquiète de plus en plus de la compétition qui s’installe au niveau mondial entre bio-fuels et agriculture nourricière et qui tend à pousser vers le haut les prix des produits agricoles.

 

Économies d’énergie

 

La source d’énergie la moins controversée, ce sont les économies d’énergie. Selon les pays, le manque d’isolation des bâtiments, la mauvaise qualité des routes et des véhicules, les déperditions de réseau électrique et les équipements électriques obsolètes peuvent représenter jusqu’à 50 % de la facture énergétique totale. Dans bien des pays, on pourrait donc, par des mesures relativement simples, rapides et durables, réduire la consommation d’énergie et donc éviter ou reporter la construction de nouvelles centrales électriques, faire baisser la facture pétrolière, et au final améliorer aussi bien la qualité de l’air que faire des économies. Cette piste est également privilégiée en Chine, puisqu’elle est mentionnée en tête des mesures prioritaires annoncées par le Livre blanc sur l’énergie publié en 2012. L’une des mesures concrètes consiste à limiter l’usage de l’air conditionné et du chauffage. Une circulaire du Conseil des affaires d’État recommande que la température à l’intérieur des bâtiments publics ne soit pas fixée en-dessous de 26°C l’été, et qu’ils ne soient pas chauffés à plus de 20°C l’hiver.

 

Enfin, des projets innovants de grande envergure ont été lancés, souvent en faisant appel à la coopération internationale. Citons les trois principaux : Smart grid, CCS, CTL.

 

Smart grid : la Chine et les États-Unis sont en pointe dans ce domaine qui consiste à optimiser, par l’emploi de technologies de mesure des besoins et de communication en temps réel, mais aussi de vastes batteries de stockage, l’équilibre entre production et consommation électrique. La Chine a lancé, en partenariat avec l’entreprise américaine Honeywell, un ambitieux plan de « réseau intelligent » d’une valeur de plusieurs dizaines de milliards de yuans, qui permettra sur la période 2016-2020 de réduire la déperdition électrique dans le réseau chinois.

 

CCS (carbon capture and storage) : une technologie encore en phase de test qui consiste à récupérer et à stocker le CO2 là où il est produit (surtout dans les centrales à charbon), dans laquelle la Chine est en passe de devenir l’un des leaders, avec des solutions commerciales qui seront proposées dès 2015, comme l’explique Philippe Paelinck, directeur de la division carbone d’Alstom, qui participe à 3 projets CCS en partenariat avec des centrales électriques chinoises.

 

Enfin, le CTL (coal to liquid), est une technologie qui permettra d’améliorer le bilan écologique du charbon. Le charbon liquéfié, séparé de ses impuretés, devient une source d’énergie similaire au gaz naturel. Une technologie qui n’est pas encore au point commercialement mais très prometteuse, surtout pour la Chine qui restera pendant encore plusieurs décennies le premier producteur et le premier consommateur mondial de charbon.

 

Tous ces efforts doivent concourir non seulement à améliorer la qualité de l’air en Chine, mais aussi à faire baisser l’« intensité énergétique » de l’économie chinoise, c’est-à-dire d’abaisser la consommation d’énergie par unité de PIB. L’objectif affiché pour parvenir au « pic de consommation énergétique » en 2030 est une baisse de 17 % par unité de PIB, qui suit une baisse de 20 % déjà réalisée sur la période des XIe et XIIe plans quinquennaux qui s’achève. Un objectif qui va de pair avec la modernisation de l’économie et sa tertiarisation. Plus l’économie se recentrera sur des services à haute valeur ajoutée, moins elle comptera, en proportion, sur la production massive de biens manufacturés, et moins elle consommera d’énergie par unité de PIB. On l’oublie parfois, mais la création d’emplois qualifiés est écologique.

 

Combiner emploi et écologie : une leçon à méditer pour les décideurs occidentaux qui donnent souvent l’impression de brasser du vent sur ces questions.

 

 

 

 

 

 

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