CHINAHOY

30-July-2014

Un petit verre de Bordeaux ?

 

La Bordeauxthèque-Pékin.

 

LAURENT CASSAR, membre de la rédaction

L'ouverture à Beijing de la deu-xième Bordeauxthèque au monde symbolise l'énorme potentiel du marché du vin en Chine. Présentation de ce lieu atypique.

Si le marché du vin en Chine se cherche toujours une identité et continue d'évoluer, les goûts des consommateurs se forment et leur façon de consommer le vin se rapproche progressivement des habitudes occidentales. C'est dans ce contexte que la Bordeauxthèque-Pékin a ouvert ses portes au mois de février dernier au dernier étage des Galeries Lafayette, situées dans le quartier commerçant de Xidan. Cette Bordeauxthèque est la deuxième au monde, après celle ouverte à Paris en 2010, toujours aux Galeries. Cette alliance entre les vins de Bordeaux et celles-ci a été initiée par le groupe Duclot, grand négociant de vin à la cave garnie de plus de 4 millions de bouteilles de grands vins dans les meilleurs millésimes, avec une ambition : créer les plus grandes caves de Bordeaux au monde.

Faire découvrir le vin aux Chinois

C'est un jeune Français, Julien Laracine, qui est en charge de la « Bordeauxthèque -Pékin ». Il nous accueille de manière sympathique dans ce lieu hybride entre cave et bar à vin. Côté cave, il y a tout ce qu'il faut pour combler les amateurs de Bordeaux avec 600 grands vins et 22 000 bouteilles en stock, tout simplement la plus grande sélection de vins de Bordeaux en Asie. « Sur la gamme de vin qu'on a, avec une entrée de gamme aux alentours de 100 yuans (11,80 €) et la bouteille la plus chère à 1 million de yuans (118 000 €), on en a pour tous les goûts et pour tous les portefeuilles, nous dit Julien. On a beaucoup de clients qui achètent des vins pas chers, ça tombe bien, on en avait importé beaucoup ! Et on est très content car on est aussi là pour leur montrer que les vins de Bordeaux, et le vin en général, ça peut être bon sans être forcément cher. » En effet, les consommateurs de vin chinois ont longtemps cru que plus un vin est cher, meilleur il est. Et certains producteurs chinois ont bien entendu jouer sur ce stéréotype pour vendre cher de mauvais vins. Mais les choses commencent à changer. « En Chine, il y encore quelques années, voir quelques mois, peu importe le goût du vin, il fallait une jolie étiquette. C'est-à-dire avec le nom d'un château connu, ou s'il n'est pas connu, une étiquette jaunâtre blanchie avec un dessin de château dessus et un nom français très difficile à prononcer avec écrit 'Bordeaux', ça suffisait. Aujourd'hui, les gens qui viennent nous voir sont curieux, on leur fait goûter des vins, on leur demande ce qu'ils en pensent. On leur demande s'ils aiment où s'ils n'aiment pas et ensuite pourquoi ils aiment ou n'aiment pas. » Le but étant de développer le palet des Chinois et de former une clientèle de « connaisseurs ».

Au niveau de sa clientèle, la Bordeauxthèque-Pékin attire également des consommateurs new look. « On a une clientèle essentiellement chinoise, la clientèle de Xidan (Ndlr : quartier commerçant à la mode de Beijing) dans un premier temps, ces jeunes un peu tendance, un peu mode, sympas. On a beaucoup de jeunes filles qui viennent aussi et qui ont envie de découvrir le vin. C'est une clientèle curieuse qui n'a pas peur de dire 'on n'y connait rien, mais on a envie d'apprendre'. On a toutes sortes d'animations, de techniques pour leur apprendre, certains parlent d'éducation – moi je trouve ça un peu prétentieux – et partager avec ces clients ce qu'on aime : le Bordeaux et la culture française qui va avec », dit Julien. La plupart des bouteilles achetées ici coûtent entre 250 et 500 yuans (grosso modo entre 30 et 60 €), loin de la fameuse « bouteille-fantasme » à 1 million. Mais comme le dit justement Julien « l'avantage avec le vin, contrairement à la mode qui est vendue aux autres étages du magasin, c'est qu'on ne sort pas plusieurs collections par an, on ne doit pas destocker pour faire rentrer autre chose. Le vin se garde, se bonifie et prend de la valeur en espérant qu'on le vendra plus tard. »

Un petit coin de France à Beijing

Mais la Bordeauxthèque-Pékin n'est pas un point de vente comme les autres. Julien Laracine, fort de ses expériences précédentes dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration, a mis l'accent sur la convivialité. On y entre par un « espace café » où sont disposées tables et chaises et où les employés (qui ont tous moins de 30 ans) nous souhaitent la bienvenue de derrière un bar, semblable à ceux que l'on trouverait dans un bar à vin. « On permet à tout le monde de venir choisir une bouteille en boutique et de la boire au bar à vin. Vous pouvez venir avec des amis, prendre une bouteille, et selon les jours – le mardi par exemple – on vous offre un plateau de fromages pour aller avec », dit Julien. En plus du fromage (importé de France, bien sûr), il est aussi possible de commander de la charcuterie, des quiches ou des paninis par exemple. Pas étonnant que les jeunes chinoises branchées aiment venir ici ! Il y a aussi une autre entrée, sur un côté de la Bordeauxthèque où se trouvent également des tables de dégustation et des verres qui ne sont pas uniquement là pour faire beau. « On est souvent à l'extérieur de la boutique, un verre à la main et on invite les gens à venir boire un petit verre avec nous. Souvent le dimanche, on invite les gens à boire des Bordeaux supérieurs dont les bouteilles coûtent 200 ou 300 yuans (entre 25 et 35 €), et on leur parle de la géographie de Bordeaux, des différents cépages, des différents goûts et on passe un bon moment ensemble. »

La boutique elle-même a évidemment fait l'objet d'une attention particulière. Le décor est raffiné tout en étant chaleureux. Le sol à grands carreaux noirs et blancs de la Bordeauxthèque de Paris a laissé place à un sol en bois soigné, rendant le lieu moins impressionnant et plus accessible. Les bouteilles sont classées par régions : Margaux, Saint-Julien, Saint-émilion, Pomerol, Sauternes… Le choix est pléthorique. Et puis il y a une autre salle où se trouvent les vins exceptionnels. Regarder les étiquettes suffit à faire rêver les amateurs de vin : 1945, 1922, 1899… Des vins très difficiles à trouver en France mais qui sont proposés ici aux Pékinois. L'éclairage tamisé, la forme ronde de la pièce et la façon dont sont éclairées et disposées les bouteilles donnent au lieu un air quasi sacré, « le Saint des Saints des vins de Bordeaux ». La température est également constante dans la boutique, 18°C, quelque soit la saison pour que le vin se conserve de façon parfaite.

Un marché en crise ?

Si tout semblait idyllique jusque-là, il est un chiffre qui vient assombrir le tableau : pour la première fois en plus de 10 ans, les ventes de vin ont reculé en Chine en 2013. Si les médias font les choux gras de cette histoire, Julien Laracine n'est pas inquiet : « On est sur un marché qui n'est pas mature, en pleine mutation. L'achat de vin auparavant était un achat cadeau. Un nouveau président, de nouvelles lois anti-corruption font qu'on achète moins de vin pour en faire des cadeaux. En revanche, ces achats cadeaux sont remplacés par des achats personnels, ce qui nous fait d'autant plus plaisir car ces vins que les Chinois achètent sont des vins qui vont être bus. En fait, on a beaucoup moins vendu de vins chers l'année dernière, par contre en terme de volume, on a vendu un petit peu plus de vin, et on en vendra encore un peu plus cette année. » En ce qui concerne sa Bordeauxthèque, voici comment Julien voit l'avenir : « On est un peu pionniers avec ce concept de 600 vins de Bordeaux en Chine et on a très bon espoir que les gens qui viennent nous voir aujourd'hui pour découvrir le vin et qui mettent 200 ou 300 yuans dans une bouteille viendront nous voir dans 6 mois ou 1 an pour mettre 500 yuans, et dans 3 ans pour mettre 2 000 et dans 10 ans pour mettre 10 000 (1 176 €) ». Visionnaire ?

 

La Chine au présent

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