CHINAHOY

9-June-2014

Les entreprises chinoises en Afrique : réalités et opportunités

 

Le 3 juillet 2007, à l'hôtel Shangri-La de Wuhan, s'est tenu le Forum de promotion de la coopération Chine-Afrique en matière de commerce et d'investissement. (CFP)

 

LIU QINGHAI*

Les investissements des entreprises privées chinoises en Afrique sont une vraie tendance. Avec quels résultats, pour elles et pour les Africains ? Éclairage.

Ces dernières années, les entreprises chinoises ont accru leurs investissements en Afrique. De 2009 à 2012, les investissements directs chinois en Afrique sont passés de 1,44 milliard (de dollars US) à 2,52 milliards, soit une augmentation de 20,5 % par an. Sur la même période, les investissements directs cumulés de la Chine en Afrique sont passés de 9,33 milliards (de dollars US) à 21,23 milliards. Actuellement, plus de 2 000 entreprises chinoises sont installées dans plus de 50 pays africains, la grande majorité d'entre elles étant des entreprises privées.

Le secteur privé de l'économie de la province méridionale du Zhejiang est en plein développement, et les marchands locaux ont d'ailleurs commencé à explorer les marchés mondiaux il y a des siècles. De novembre 2011 à juillet 2012, mon équipe a mené trois études sur les entreprises privées locales. La première a étudié leurs objectifs et leurs conditions d'investissement en Afrique. La seconde avait pour thème les grossistes et les détaillants du Zhejiang à Johannesburg, en Afrique du Sud. Enfin la troisième portait sur la responsabilité sociale des entreprises privées chinoises qui ont investi au Sénégal et au Nigeria.

92 % des chefs d'entreprises interrogés se sont montrées enthousiastes à l'idée d'investir en Afrique. La plupart n'y ont pas encore investi mais envisagent de le faire. En ce qui concerne les secteurs économiques dans lesquels ils préfèreraient investir, le secteur manufacturier (45 %), l'immobilier (17 %) et l'agriculture (12 %) ont leur préférence.

Intention contre réalité

Il y a un écart énorme entre les secteurs économiques africains dans lesquels les entreprises chinoises déclarent avoir l'intention d'investir et ceux dans lesquels elles ont en fait investi. Cet écart est particulièrement important dans le secteur de la restauration. Bien que peu d'entreprises chinoises envisageaient d'investir dans ce secteur à la base, c'est en fait celui qui a recueilli la plupart des investissements chinois. D'un autre côté, certaines entreprises déclaraient vouloir investir dans l'agriculture mais aucune ne l'a fait. En ce qui concerne le marché de l'immobilier, 17 % des entreprises déclaraient vouloir y investir mais seulement 3 % l'ont fait. Et ces statistiques sont quasi similaires pour le secteur manufacturier, ainsi que pour l'éducation, la finance et le secteur des loisirs.

Cet écart conséquent montre que, d'une certaine manière, des entreprises voulant investir en Afrique rencontrent des difficultés d'adaptation aux réalités locales pour différentes raisons. Cela montre aussi que les entreprises chinoises manquent encore d'informations fiables et d'analyses de faisabilité en ce qui concerne les investissements en Afrique.

En termes de rentabilité, 62 % des entreprises concernées par notre étude ont eu de bons ou de très bons résultats, et aucune n'a essuyé de pertes. Cela indique qu'investir en Afrique vaut le coup et est prometteur.

À propos de la manière par laquelle les entreprises ont obtenu leurs informations sur le marché africain, 39 % d'entre elles déclarent avoir utilisé les moteurs de recherche sur internet. Parallèlement, 16 % d'entre elles récoltent toujours leurs informations grâce aux foires, aux séminaires et à leurs clients. Avoir des informations est un point critique concernant le processus de prise de décision d'investir en Afrique. Néanmoins, si les entreprises devaient collecter des informations par elles-mêmes, les coûts seraient énormes et la plupart d'entre elles ne pourraient pas les assumer. C'est pourquoi il est nécessaire que les autorités compétentes fournissent des informations aux entreprises en organisant (ou en incitant les entreprises à le faire) des foires et des séminaires sur le sujet.

Toutes les entreprises chinoises concernées par notre enquête ont qualifié d'important le support du gouvernement, en particulier en ce qui concerne les politiques, les informations et l'assistance financière. Le besoin de professionnels ayant une expertise du marché africain se classe à la quatrième place.

Responsabilité sociale

Le niveau de responsabilité sociale des entreprises (RSE) privées chinoises en Afrique a attiré l'attention du monde. Notre étude sur la RSE s'est portée sur 22 entreprises privées chinoises ayant investi au Sénégal et au Nigeria (11 entreprises publiques chinoises sont également incluses dans cette étude à titre comparatif), ainsi que 100 Africains issus de tous milieux sociaux. Les résultats sont les suivants.

La proportion moyenne d'employés locaux dans les entreprises privées est de 85 %, ce qui est supérieur au chiffre de 75 % en moyenne pour les entreprises chinoises en Afrique, et aux 55 % en ce qui concerne les entreprises publiques. Plus longtemps une entreprise reste en Afrique, plus elle grandit, et plus son taux d'emploi local augmente.

Le salaire moyen des employés locaux n'est pas très élevé mais il est supérieur, et parfois bien supérieur, au salaire minimum en vigueur dans le pays. Seulement une poignée d'entreprises ont commencé par payer leurs employés en dessous du salaire minimum, mais ont ensuite augmenté les salaires suite à l'intervention des autorités locales du travail. Plus de la moitié des Africains interrogés (51 %) travaillant pour des employeurs chinois ont répondu « bonnes conditions de travail », tandis que seulement 17 % ont répondu « mauvaises conditions de travail » à notre enquête.

En ce qui concerne la protection de l'environnement, 37 % des Africains interrogés pensent que les entreprises chinoises font de bonnes choses, alors que 27 % d'entre eux pensent le contraire. 85 % des entreprises chinoises offrent des formations aux travailleurs locaux. Enfin, 89 % des Africains interrogés pensent que les entreprises chinoises ont fait des progrès quant à leurs responsabilités sociales, par rapport au fait qu'elles ont commencé à embaucher plus d'employés locaux, à augmenter les salaires et à offrir plus d'avantages aux employés.

Les Africains interrogés ont noté les entreprises chinoises 60,1 sur 100 en ce qui concerne la RSE, contre 56,38 pour les entreprises occidentales. 96 % des personnes interrogées accueillent favorablement les investissements chinois dans leurs pays, et 95 % d'entre eux pensent que la Chine est un meilleur partenaire de développement que les pays occidentaux.

Caractéristiques communes et problèmes réels

Bien que les entreprises chinoises privées diffèrent les unes des autres, elles ont globalement beaucoup en commun.

Elles sont en général petites ou moyennes. Leur rentabilité a été bonne mais diminue rapidement. La majeure partie de leurs fonds provient d'autofinancement, souvent basé sur le réseau familial. Seulement une poignée d'entreprises plus grandes reçoivent des fonds des gouvernements provinciaux.

Les entreprises privées chinoises sont en général aventureuses et innovatrices, et certaines sont prêtes à prendre des risques que leurs rivales occidentales refusent de prendre. Comme l'a dit un jour un investisseur chinois : « Ne soyez pas effrayés par les vents forts et les grosses vagues. On n'attrape de gros poissons qu'en eaux profondes ».

À la lecture de ces trois enquêtes, les entreprises privées chinoises qui investissent en Afrique font toujours face à de nombreux problèmes, parmi lesquels le manque de capitaux, d'informations (dont les connaissances des langues, des cultures et des marchés locaux) et de canaux d'études de marchés. La hausse des frais de dédouanement, les difficultés pour obtenir des visas et l'insécurité publique sont aussi des problèmes majeurs.

La compétition entre entreprises chinoises est féroce. Prenons par exemple le secteur des couvertures en laine en Afrique du Sud : les premières années les profits de vente en gros atteignaient les 200 %, mais ont ensuite plongé à seulement 3 ou 4 RMB par couverture à cause de la guerre des prix qui a détruit la rentabilité du secteur tout entier.

Implication politique

L'Afrique a vu une très forte hausse des investissements directs chinois, malgré la baisse globale des investissements directs étrangers depuis 2009. L'accroissement rapide des capitaux chinois en Afrique est représentatif du potentiel de développement du continent et de son attrait pour les investissements, mais cela montre aussi que le bénéfice mutuel est ce qui caractérise la nature de la coopération sino-africaine. Cette tendance devrait continuer à se renforcer dans le futur proche et mériterait clairement qu'on lui prête plus d'attention.

En analysant l'impact de cette tendance, il faut garder à l'esprit que la Chine est toujours un pays en développement et que son secteur privé est un acteur relativement nouveau dans le domaine des investissements directs à l'étranger (IDE). Néanmoins, les résultats de l'enquête fournissent de solides preuves que les entreprises chinoises en Afrique ont eu un impact positif dans de nombreux domaines sur le continent, particulièrement en ce qui concerne la création d'emplois et la formation de travailleurs locaux, la diversification des industries locales et le développement de l'esprit entrepreneurial. Il n'y a pas d'indication d'importation massive de travailleurs chinois dans les pays africains.

Comme tous les projets d'IDE, les entreprises privées chinoises en Afrique n'ont pas seulement rencontré de nouvelles opportunités, mais aussi des difficultés particulières. La manière dont les gouvernements hôtes répondront à ces difficultés déterminera l'impact net des investissements étrangers dans leurs économies. Il y a d'importantes implications politiques pour les gouvernements africains et pour le gouvernement chinois, ainsi que pour les entreprises chinoises concernées.

La plupart des entreprises privées chinoises en Afrique sont des « entreprises de main d'œuvre », utilisant des technologies de niveau relativement faible. Ces types d'entreprises peuvent créer plus d'emplois et ont un effet « d'apprentissage sur le tas ». Les technologies de faible niveau sont plus faciles à assimiler et à adopter pour les pays hôtes moins développés. L'impact positif de ce genre d'investissements peut être représenté par la « théorie du vol d'oies sauvages ». Dans les années 1980 et 1990, l'arrivée d'investisseurs sûrs d'eux et prêts à prendre des risques sous la forme de petites et moyennes entreprises de Hong Kong, Taiwan ou d'autres « tigres asiatiques » a énormément bénéficié au développement économique de la partie continentale de la Chine.

Ce scénario se répète aujourd'hui en Afrique. Les gouvernements africains doivent faire des efforts ciblés pour réformer leurs systèmes économiques, améliorer progressivement leurs politiques concernant les investissements, leurs cadres législatifs, leurs infrastructures, la stabilité sociale et la sécurité. Il faut aussi créer des zones économiques spéciales ou des parcs industriels à l'image de ce que la Chine a fait dans les années 1980 et 1990 pour ouvrir la voie à l'intégration des investisseurs étrangers dans le processus d'industrialisation domestique.

Parmi les facteurs attirant les investisseurs chinois, il faut souligner le rôle du bouche-à-oreille pour les entreprises privées chinoises dont les patrons sont souvent originaires de la même ville, voir du même clan familial. C'est pourquoi il est très important pour les gouvernements africains de prêter attention à ceux qui se sont déjà installés sur place, en leur procurant le maximum de satisfaction par le biais de procédures simplifiées, d'un traitement uniforme et constant, de procédures transparentes et de services (comme fournir aux entreprises chinoises des formations aux langues et cultures locales).

En Chine, le gouvernement devrait plus soutenir les petites et moyennes entreprises qui s'installent en Afrique. En comparaison des grandes entreprises publiques, les investisseurs privés sont plus dynamiques et ont des activités plus diversifiées. Le gouvernement chinois a encore beaucoup à faire dans plusieurs domaines. Il pourrait fournir plus d'aides financières et d'informations, améliorer les mécanismes de dialogues entre la Chine et l'Afrique, améliorer les lois et règles concernant la RSE, rendre les procédures administratives plus simples et efficaces, et renforcer la coopération avec les pays étrangers et les organisations internationales.

Les investisseurs chinois ont eux aussi beaucoup de travail à accomplir pour que leurs entreprises survivent et se développent en Afrique. Ils doivent faire preuve de vigilence avant d'investir, faire une analyse sociale, culturelle et légale de l'environnement local, et se conformer aux règles et aux lois en vigueur localement. Il est aussi important de bâtir une chaîne industrielle complète, de promouvoir les transferts de technologie, et de prendre plus d'initiatives pour toucher les communautés locales, les médias, les ONG, les organisations internationales, etc…

Les investissements chinois en Afrique créent une situation de bénéfice mutuel dont la réalisation exige de nouvelles contributions constructives de la part du gouvernement chinois et des gouvernements africains, ainsi que des entreprises chinoises opérant en Afrique.

 

*LIU QINGHAI a un doctorat en économie et est chercheure assistante à l'Institut des études africaines à l'université normale du Zhejiang. Son étude fait partie du Programme de recherche des investissements et de la coopération du Zhejiang avec l'Afrique parrainé par le gouvernement de la province du Zhejiang.

 

La Chine au présent

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