CHINAHOY

1-June-2015

La récolte de proximité : des champs à la table

 

ZHANG HONG, membre de la rédaction

 

Il y a quelques années, Shi Yan a créé la première AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) chinoise pour y cultiver des légumes. Celle-ci relie directement les paysans aux consommateurs sans passer par les intermédiaires classiques (grossistes, distribution). Aujourd’hui, le pays comprend plus de 300 associations de ce genre.

 

Shi Yan est la responsable du projet AMAP intitulé « Partager la récolte ». Elle espère intéresser de plus en plus de personnes à ce projet, afin de généraliser son concept « vert » à travers le pays.

 

 

La ferme AMAP

 

La ferme de l’association se situe dans le village de Liuhuzhuang, à 70 km du centre-ville de Beijing. C’est la troisième ferme de ce modèle tenue par Shi Yan.

 

Après avoir jeté aux poulets les reliefs du repas de la veille, Shi Yan se lance dans une journée bien chargée. Sa carte de visite comporte deux titres : docteur et chef d’entreprise. Son bureau simple et dépouillé exprime bien son caractère direct. Par la fenêtre, on aperçoit les 26 serres de son potager.

 

En 2008, Shi Yan a eu l’occasion de se rendre aux États-Unis aux frais de l’État pour un stage de six mois dans une ferme AMAP. De retour en Chine, elle a participé à la création de la ferme pilote « Petit Âne ». En 2012, elle a quitté le projet pour lancer sa propre entreprise indépendante. C’est le début de l’aventure « Partager la récolte ».

 

La particularité de cette ferme est qu’elle est ouverte aux visites et que tous les processus de production y sont strictement contrôlés.

 

Un employé de la ferme Qin Re nous a montré les résultats de son travail : 18 000 pieds de champignons. Dans cette vaste serre, ces champignons sont encore enveloppés dans des filaments de mycélium. De ces « filaments » grandiront, en quelques jours seulement, d’autres champignons. Seuls des engrais naturels comme le méthane liquide, mais aussi des restes alimentaires, sont utilisés ici.

 

Pas de pesticides dans les serres : des méthodes naturelles ont été mises au point et adoptées pour éloigner les insectes nuisibles.

 

La ferme « Partager la récolte » n’est pas une simple copie de la ferme « Petit Âne ». Celle-la est une propriété privée, contrairement à celle-ci qui fonctionnait sur les deniers de l’État. Elle est seule comptable de la réussite ou de l’échec de son entreprise.

 

Les affaires ne vont pas mal. La ferme compte déjà 500 clients adhérents. Depuis deux ans, elle parvient à maintenir l’équilibre entre recettes et dépenses, et même à dégager un léger profit.

 

 

Retour à l’agriculture primitive

 

Grâce au modèle de Shi Yan, une série de fermes AMAP d’agriculture biologique ont fait leur apparition. À l’heure actuelle, sur les 300 fermes environ que compte la Chine, 50 se trouvent dans les environs de Beijing.

 

Shi Yan a choisi de gérer une ferme, c’est parce qu’elle s’inquiète de la qualité de la nourriture et de la pollution du sol. « Si l’on vit dans un environnement sain, on ne se préoccupe pas de tout ça. Mais de nos jours, on utilise beaucoup trop d’engrais pour augmenter les rendements. Le sol se détériore et après quelques années il n’est plus propre à rien. »

 

Le projet AMAP consiste à distribuer des légumes bio aux consommateurs sans passer par les intermédiaires de la grande distribution. Consommateurs et producteurs acceptent ainsi tacitement de partager les risques mais aussi les économies réalisées. Le projet AMAP a pour objectif de développer l’agriculture durable en mettant l’accent sur le recyclage, l’autonomie de la production et le développement durable dans le respect de l’écosystème.

 

« Partager la récolte » combine trois aspects : la vente directe, le respect de l’environnement et la consommation locale. Les consommateurs versent une avance, ce qui permet aux producteurs de cultiver sans emprunter aux banques. « Ce modèle s’adapte bien aux fermes petites et moyennes qui manquent de fonds de roulement », explique Shi Yan.

 

Shi Yan ne se fait pas d’illusions et elle est consciente de ses responsabilités. « Les vendeurs sont en même temps les producteurs. Ils font face aux consommateurs, donc ils portent la responsabilité de leurs produits », explique-t-elle.

 

« Manger des produits locaux selon la saison », tel est le concept préconisé par le projet. Selon Shi Yan, ce concept encourage à renoncer autant que possible aux produits d’importation, car on se rend compte qu’au cours de la cueillette, du traitement et du transport, les aliments perdent une grande partie de leur valeur nutritive, et que le risque d’une mauvaise qualité des produits est plus élevé.

 

« Lorsque tu donnes de l’argent aux paysans, tu peux constater en direct le changement que cela provoque dans ta région. Si les paysans de Beijing se mettent à produire des récoltes plus saines à l’avenir, les citadins et surtout l’environnement ne pourront qu’en bénéficier. »

 

Shi Yan et son mari Cheng Cunwang ont tous deux fait leurs études auprès de maître Wen Tiejun, un expert de l’agriculture, des régions rurales et des paysans. Ils se sont mariés dans une ferme. Tous les aliments de leur banquet de mariage provenaient de cette ferme.

 

Ils ont aussi à leur actif la publication de la traduction de l’ouvrage de Franklin Hiram King Farmers of forty centuries. À en croire Shi Yan, ce livre qui traite des recherches sur le modèle agricole oriental est l’un des facteurs à l’origine de la renaissance de l’agriculture bio. Il y une centaine d’années, F. H. King qui était alors chef de la Division de la gestion des sols des États-Unis, s’était rendu à Shanghai. Il fut fortement impressionné de voir les bateaux transporter les excréments des Shanghaiens vers les banlieues agricoles où ils allaient servir d’engrais.

 

« À l’époque, les villes chinoises n’étaient pas dotées de réseaux d’égouts qui étaient monnaie courante dans les pays occidentaux. Pourtant il semble qu’il n’y avait pas plus d’épidémies. Des méthodes adaptées avaient cours, comme par exemple de manger des aliments bien cuits et de recycler les ordures », commente Shi Yan.

 

Au XIXe siècle, on a commencé à réfléchir sur un modèle agricole éco-durable. Ce qui avait piqué la curiosité de l’auteur, c’est que la Chine nourrit sa population nombreuse depuis des millénaires, mais qu’ici, au contraire des États-Unis, les terres n’ont pas perdu la moitié de leur teneur naturelle en carbone organique en seulement 200 ans d’exploitation agricole.

 

« À cette époque, on utilisait plus d’engrais chimique aux États-Unis qu’en Chine, et c’est alors que sont apparus les mouvements de protection de l’environnement pour dénoncer les problèmes écologiques qui commençaient à apparaître. »

 

Ce que regrette Shi Yan, c’est qu’aujourd’hui, malgré des techniques de laboratoire bien plus avancées qu’il y a 100 ans, l’intelligence des paysans n’a pas fait de progrès.

 

« Lorsque l’on constate une maladie des plantes, les paysans d’aujourd’hui ne pensent qu’aux pesticides. Ils ne réfléchissent pas à leur origine, que la raison en sera peut-être un problème du sol, qu’il faudrait changer de culture, ou améliorer le sol, ou encore aérer les serres... »

 

Diffuser le concept de l’éco-consommation

 

En Chine, les autorités chargées du contrôle-qualité des aliments sont l’une des administrations les plus critiquées. Avec le nombre croissant des scandales alimentaires, l’agriculture bio pourrait offrir un remède aux problèmes de l’agroalimentaire. Des capitaines d’industrie se mettent l’un après l’autre à investir dans l’agriculture. Mais les produits agricoles bio, encore très chers, restent réservés à une clientèle très limitée en nombre.

 

Selon Shi Yan, ceux qui pourraient se permettre d’acheter régulièrement des produits bio représentent environ 40 % de la population totale de Beijing. Mais d’autres dépenses familiales pèsent lourd dans le budget, si bien que les priorités ne sont pas toujours définies en faveur d’une alimentation bio. Nombre de ménages doivent rembourser des crédits de logement ou autres, ce qui grève leur budget théorique.

 

Une famille de trois personnes dépense chaque mois environ 1 200 yuans pour acheter de la viande, des œufs et des légumes dans la ferme « Partager la récolte ». Une somme qui est finalement loin d’être énorme. Les uns cultivent les légumes, d’autres achètent leurs produits, cet échange fait vivre tout un secteur économique.

 

Shi Yan pense que sa vie au village est bien réglée. La réutilisation écologique des aliments et des matières est bien plus facile ici. « Je peux donner des nouilles d’il y a quelques jours aux poulets. » Une chose qui n’est pas possible en ville.

 

La nouvelle génération grandit dans l’aisance de la vie citadine et elle perd le respect que l’on portait traditionnellement aux aliments. Lorsque les jeunes reviennent à la campagne pour cultiver la terre, ils ont besoin d’un temps d’adaptation. Même Shi Yan reconnaît avoir rencontré des difficultés et elle comprend bien les défis auxquels l’agriculture chinoise doit faire face. Le personnel de son groupe accuse une forte rotation. « En travaillant dans une ferme, nous voyons se profiler un problème qui sera l’éducation de nos futurs enfants. »

 

Par rapport aux 3,8 millions de villages existant dans toute la Chine, le nombre des fermes AMAP semble dérisoire. Mais Shi Yan ne s’inquiète pas de la petite taille de sa ferme. Elle est seulement triste de voir que de nos jours plus personne ne comprend le proverbe « ce n’est pas un défaut d’être petit ». Le public s’est généralement rallié au point de vue selon lequel les exploitations agricoles géantes et les hypermarchés peuvent seuls résoudre le problème de l’approvisionnement des citadins. Shi Yan considère que « cette logique du gigantisme présente des risques encore plus grands ».

 

Lorsqu’elle faisait ses études aux États-Unis, l’exploitation où elle travaillait ne comptait que 30 clients-membres. Aujourd’hui, la taille de la ferme de Shi Yan surprendrait le couple qui gère la ferme américaine. « Cela est dû à la différence de valeurs et de mentalité entre les deux pays. Là-bas, toutes les exploitations ne courent pas vers le gigantisme. » En Chine, les économies d’échelle sont la préoccupation générale. « Notre industrie agricole imite le modèle des grandes fermes américaines. Un modèle qui pourtant n’est pas adapté aux pays d’Asie de l’Est », analyse-t-elle.

 

Après avoir mené son enquête dans plusieurs pays et étudié plusieurs modèles de distribution des aliments, Shi Yan est parvenue à une conclusion : « Le problème n’est pas que nous sommes incapables de fabriquer de bon produits. Notre point faible est que les paysans chinois sont mal organisés. » « Les paysans ne sont qu’un maillon dans la chaîne de fabrication des aliments définie par le capital. Le point terminal de cette chaîne s’éloigne de plus en plus des producteurs. »

 

Pour Shi Yan, l’avenir de l’agriculture chinoise passe par une meilleure organisation des paysans.

 

Dans la brochure publicitaire de sa ferme on peut lire : « L’adhésion de 5 nouveaux consommateurs permet d’agrandir la surface cultivée d’un mu (un mu=1/15 ha). 100 adhérents permettent de créer des emplois pour 5 jeunes dans les campagnes. Avec 1 000 clients on peut construire un village durable entier. »

 

En réponse à la question sur le développement du projet AMAP, elle explique que tout modèle engendre des problèmes si on se limite à un mode de production unique. « Vu sous l’angle de l’écologie, l’idéal serait un modèle diversifié de production et de distribution », conclut-elle.

 

En novembre 2015, la 6e édition de la Conférence internationale des AMAP se tiendra dans l’arrondissement Shunyi de Beijing. En tant que vice-présidente de l’Alliance agricole de la communauté internationale, Shi Yan y aura un rôle à jouer. Elle espère que l’événement attirera encore plus de personnes vers son projet. Au-delà de « Partager la récolte », elle veut promouvoir la généralisation des concepts d’économie verte et de développement durable.

 

 

 

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