CHINAHOY

1-June-2015

La vie durable expérimentale

 

LU RUCAI, membre de la rédaction

 

La deuxième phase des travaux du laboratoire de la vie éco-durable de Niu Jian s’est terminée à la fin de mois de mai. Ce projet se définit comme un « camp d’extraînement citoyen » visant à les aider à changer de modes de vie et à aboutir à une « vie libre et durable ».

 

Niu Jian, 53 ans, est surnommé l’ « Oncle chinois ». À l’été dernier, lui et sa famille se sont construit une bio-construction modulaire en conteneurs. De nombreux citadins aspirant à une vie écolo-compatible en métropole ont été attirés par son jardin sur le toit, par ses murs intérieurs végétalisés qui produisent oxygène et légumes, par le recyclage des ordures, etc. Pour lui, une vie idyllique en ville n’est pas si difficile. « Vouloir, c’est pouvoir. »

 

 

Expérimentation en famille

 

La maison de Niu Jian se trouve dans une usine désaffectée située à Shunyi, à 40 km du centre-ville de Beijing. Cette maison, dont il a personnellement supervisé la conception et la construction, se compose de six conteneurs standard 20 pieds, métalliques, peints en blanc, alignés sur un niveau. Elle comprend plusieurs zones fonctionnelles : lieu de vie, bureau, cuisine, toilettes, atelier bricolage écologique, des capteurs d’énergie solaire et éolienne sur le toit, des plantations superposées, etc. Niu Jian surnomme son laboratoire de vie durable la « Maison de la salade », un surnom qui fait mouche puisque partout des légumes et des plantes recouvrent les murs intérieurs, extérieurs et le toit.

 

Ce matin, je fais partie du deuxième groupe de visiteurs de la journée. En réalité, les visiteurs arrivent les uns après les autres dans un flot continu. Pour Niu Jian, tous les visiteurs sont les bienvenus. « Je ne demande jamais leur profession. Je réponds sans réserve à leurs questions. D’ailleurs c’est toujours les mêmes questions qui reviennent », explique-t-il. C’est vrai : quel que soit leur origine ou leur environnement actuel, tous les visiteurs ont le même objectif, qui est de se créer une vie idyllique dans la métropole.

 

La chambre à coucher principale sert aussi de bureau à Niu Jian. La chambre secondaire est celle de son fils étudiant qui l’occupe périodiquement. Les deux autres petites chambres, sont l’une consacrée au culte bouddhiste et servant de bureau à sa femme, l’autre réservée aux bénévoles. Le couloir qui relie les chambres, la cuisine et les toilettes sert aussi d’atelier pour les bénévoles. Le caractère écologique de l’habitation est surtout visible dans la cuisine et les toilettes : dans les toilettes, quatre grands seaux sont alignés à côté de la cuvette. Le premier sert à recueillir les eaux usées qui s’écoulent de l’évier où l’on procède à sa toilette mais aussi au lavage des légumes et du linge. L’autre récolte l’eau de pluie qui peut être utilisée à nettoyer la cuvette des toilettes ou à arroser les plantes. Deux autres seaux sont destinés à la production du bio-méthane. Déjections et déchets organiques y sont mis à fermenter, soit servent directement d’engrais pour les plantes. Des panneaux solaires alimentent un éclairage à LED qui éclaire les plantes d’intérieur.

 

Selon Niu Jian, cette construction n’est qu’un ballon d’essai, dans la mesure où elle n’atteint pas encore l’objectif qui est l’autosuffisance énergétique. L’électricité photovoltaïque produite sert uniquement à assurer le développement des plantes. Le coût de revient de cette maison écologique est de 300 000 yuans, mais pour une autosuffisance complète, elle coûterait le double. « L’autosuffisance est un problème de coût, pas un problème technique. » L’objectif de Niu Jian est de prouver la possibilité d’un mode de vie qui harmonise l’homme à son environnement.

 

Un rêve écologique

 

Niu Jian est né en 1962 à Qingdao, une ville côtière dans le Shandong. Dans son enfance, il aimait chercher des plantes dans la nature pour les replanter chez lui. En 1979, au début de la réforme et de l’ouverture, Niu Jian qui travaillait dans une usine textile a lu un article dans un magazine qui présentait différentes habitations étrangères, et surtout un balcon paysagé qui l’impressionna profondément. Son rêve de jardin sur le balcon date de ce moment-là. « Il n’a pas changé depuis plus de 30 ans. » Il veut désormais partager son idéal d’un habitat vert avec ses concitoyens.

 

Et Niu Jian s’est lancé à corps perdu dans son rêve. Tout en travaillant à l’usine, il s’est peu à peu procuré les plantes vertes du Sud et les outils nécessaires pour les cultiver chez lui. Le week-end, il vendait des plantes au marché. Très rapidement, les revenus de la vente des plantes dépassèrent son salaire. À 37 ans, il démissionna pour créer une entreprise de jardinage. Mais il découvrit bientôt que les aspirations écologiques des consommateurs étaient en retard sur les siennes. En 2001, il décida de s’installer à Beijing.

 

Pendant toutes ces années passées à Beijing, Niu Jian est resté tenduvers le même objectif : faire profiter le plus grand nombre d’une vie plus écologique et plus verte. « J’ai fait le tour du 3e périphérique dans le bus 300. Il n’y avait pas plus d’un balcon paysagé tous les 10 kilomètres en moyenne ! » Cette constatation l’a renforcé dans sa conviction d’œuvrer pour le progrès.

 

En 2005, dans des locaux fournis par l’Académie des sciences agricoles, il a pu faire des recherches sur le jardinage sur le toit. C’est là qu’il a mis au point toute une série de technologies écologiques. Il a ensuite réussi à les mettre en pratique en coopération avec des écoles, des administrations et des ONG. Avec la prise de conscience publique de plus en plus large sur les problèmes d’environnement, les efforts de Niu Jian ont attiré l’attention de nombreux organismes. « Dans le passé, les ONG qui coopéraient avec moi pour le reboisement urbain trouvaient des financements auprès du fonds consacré au bien-être public. Désormais, le gouvernement lui-même fait partie de nos clients. » La végétalisation des balcons et des toitures est désormais encouragée, particulièrement dans les vieux quartiers qui manquent de surface à planter au sol.

 

En 2009, Niu Jian a ouvert son centre de recherches éco-technologiques urbaines (CREU), car son objectif, au-delà de construire une maison et de réaliser une vie éco-durable pour sa famille, est désormais de changer la façon de vivre du plus grand nombre.

 

La « Maison de la salade », c’est à la fois le domicile de la famille Niu et le bureau du CREU, mais aussi une plate-forme d’innovation ouverte. Quiconque a de bonnes idées applicables à la construction écologique des quartiers résidentiels peut venir ici et profiter des outils et de l’espace mis à disposition pour apprendre ou mettre en valeur leur talent. Duan Zhilong, 19 ans, ancien coureur cycliste, est attiré par les valeurs et le mode de vie durable prônés par Niu Jian. Il est d’abord arrivé ici en tant que bénévole. Il est devenu « locataire » de la chambre des bénévoles. Il se définit comme l’homme d’un rêve, et il croit au potentiel de ce nouveau mode de vie. « Je veux être un des éléments de promotion de ce mode de vie. »

 

« Nous sommes à la fois cobayes et chercheurs », dit Niu Jian. Sa démarche consiste à expérimenter sur lui-même ce mode de vie pour formuler un programme réplicable et généralisable.

 

 

Pour un quartier convivial

 

Sur une des faces de la carte de visite de Niu Jian on peut lire les mots « construction commune d’un quartier convivial ». L’autre présente le plan de son laboratoire.

 

Entre des toits et des balcons végétalisés et la construction d’un quartier convivial entier, le changement d’échelle est immense. Mais Niu Jian ne se laisse pas impressionner par ce défi. Le changement est dans la forme, pas dans le fond. « Orientaux ou Occidentaux, l’idéal de vie est le même : se rapprocher de la nature et retrouver une coexistence plus harmonieuse entre l’homme et la nature. » D’après lui, la révolution industrielle a changé radicalement le mode de vie de l’humanité, et on est passé de « choisir sa maison selon ses voisins » à « choisir sa maison par le budget ». La révolution industrielle a bien sûr apporté de grands changements à la vie humaine, mais elle a aussi entraîné une série de conséquences négatives : destruction de l’écosystème homme-nature, disparition des relations de communauté dans les métropoles, de nombreux problèmes de pollution.

 

D’où l’idée de Niu Jian d’un quartier « communautaire », qui plonge ses racines dans les expériences et les leçons des mouvements environnementaux du passé. Son ambition est de changer le mode de vie des citadins dans tous ses aspects, et proposer un modèle de vie communautaire qui séduise à la fois les ONG, l’administration et la société : les familles urbaines peuvent retraiter à faible coût sur place leurs déchets et leurs eaux usées, former des liens de cohésion basés sur l’agriculture urbaine, contribuant à la sécurité alimentaire du pays, et enfin mener une vie écologiquement responsable, peu émettrice de carbone, grâce au partage.

 

L’objectif de la deuxième phase de son projet est de créer un laboratoire de démonstration de ce nouveau mode de vie. Niu Jian et ses partenaires ont construit un mini-quartier résidentiel pour trois familles. « C’est un camp d’entraînement. Ces trois familles restent ici pour une durée limitée. Notre laboratoire comprend la surface et les fonctions d’un espace communautaire. S’il fonctionne, il attirera non pas seulement trois ménages, mais peut-être des milliers de ménages. Des personnes vivent dans un nouvel espace, collaborent et partagent, apprennent un mode de vie nouveau qui met l’accent sur l’harmonie entre les personnes, entre les personnes et les choses, entre les personnes et l’espace, entre les personnes et la nature. » Selon lui, son modèle maintient l’harmonie de cinq dimensions vitales dans un seul espace : société, écologie, espace, vie et économie. Le programme d’« apprentissage à la vie en communauté » qu’il a mis au point passe par trois périodes, primaire, intermédiaire et supérieure. À chaque étape ses objectifs. En cours élémentaire, on apprend à collaborer dans divers domaines : repas, traitement des déchets, culture des plantes et des légumes, travaux manuels, troc, transport, achats collectifs, réduction du gaspillage, etc. Le cours intermédiaire se concentre sur la question de l’autonomie, avec des normes juridiques et des conventions communautaires. Sur la base des enseignements de ces deux premières périodes, les membres du cours supérieur peuvent alors réfléchir et concevoir leur quartier idéal, choisir leur emplacement et leurs voisins.

 

« Depuis l’industrialisation, l’humanité a passé son temps à combattre les conséquences néfastes qu’elle produisait sur la société, l’écologie et l’économie. Depuis près de 60 ans, l’humanité recherche avec une urgence croissante le mode de vie qui permettra l’harmonie entre les personnes, et entre les personnes et la nature. Mais ces efforts n’ont porté leurs fruits que dans un groupe restreint de personnes, ils n’ont pas pu conquérir le monde entier », explique Niu Jian. C’est pourquoi son laboratoire d’une vie éco-durable cherche à influencer le plus grand nombre possible de gens ordinaires, la seule façon de le reproduire finalement sur une grande échelle.

 

Le quartier convivial pourra-t-il faire bouger le marché immobilier actuel ? À cette question, Niu Jian répond : « Ceux qui ont suivi l’entraînement à la vie durable n’habiteront pas dans des conteneurs, mais dans les immeubles. C’est surtout le mode de vie qui changera. On peut donc y voir un soutien à l’économie et à la consommation. Les logements construits dans le passé ne tiennent compte que de l’enveloppe extérieure. Les futurs logements prendront soin de la société, de l’écologie et de nouveaux contenus économiques. Cela rendra non seulement l’économie plus efficace, mais cela améliorera aussi la qualité de la vie. »

 

Dans ses rêves les plus fous, Niu Jian se prend à espérer que ce mode de vie finisse, de proche en proche, par séduire 100 millions de personnes dans les trente années à venir, qu’il se diffusera dans d’autres pays du monde, une fois que seront bien établies ses normes opérationnelles. « Ce procédé est adapté aux pays développés, mais également aux pays en développement comme la Chine, et même aux pays sous-développés, qui pourront ainsi échapper aux catastrophes qu’entraîne avec elle l’industrialisation. »

 

Parmi les visiteurs de Niu Jian, on trouve des chercheurs en écologie et en urbanisme, des membres d’ONG, des institutions gouvernementales et des promoteurs immobiliers. Son vœu est que chacun de ses visiteurs finisse par prendre part, personnellement, quelque part, à son échelle, à la construction d’un quartier idéal.

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