CHINAHOY

29-December-2014

Orchestre à 12 filles : la musique entre héritage et innovation

 

Couverture de l'album de l'Orchestre à 12 filles. Janvier 2015 (PHOTO FOURNIE PAR L'ORCHESTRE)

 

L'Orchestre des 12 filles parie sur la renaissance de la musique traditionnelle par sa remise au goût du jour. Explication.

MA HUIYUAN, membre de la rédaction

Le 17 octobre dernier, l'Orchestre à 12 filles s'est produit avec succès au Théâtre Oriental de Changchun, dans la province du Jilin. Leur spectacle est un vrai régal audio-visuel : exquisément habillées, les douze belles Orientales exécutent des pièces classiques, comme La liberté ou Radetzky March sur des instruments de musique traditionnels tels que le tympanon chinois, le pipa, le erhu, la flûte de bambou, la xiao (flûte verticale chinoise), le hulusi et le duxianqin (luth à une seule corde). On a tout à fait raison de dire que la musique traditionnelle chinoise est un festin. Compte tenu des techniques déployées, on classera certainement ce concert comme un spectacle moderne : la scène, multicolore, est conçue de splendide manière, la projection de lumières varie, accompagnant la sono à l'acoustique ultra-moderne. La musique chinoise est épicée par des éléments de jazz, de latin et de rock'n'roll. La salle est comble et ne ménage pas ses applaudissements à chaque nouveau rebondissement du spectacle. De l'aveu de tous les spectateurs, cette soirée magnifique a constitué un repas copieux de nouvelle musique traditionnelle.

Merveilles de l'Orchestre à 12 filles

L'Orchestre à 12 filles a vu le jour en juin 2001. C'est un ensemble artistique qui utilise les instruments de la musique traditionnelle pour former un spectacle de musique populaire moderne. Les membres de l'orchestre viennent d'écoles d'art chinoises prestigieuses, comme le Conservatoire central de musique et le Conservatoire de Chine. Toutes apprennent auprès de grands maîtres de la musique traditionnelle et toutes touchent à la perfection dans l'interprétation de la musique. Parmi les instruments dont elles jouent figurent les fameux instruments anciens tels que le guzheng, le yangqin (tympanon), le pipa et le erhu, et d'autres instruments moins connus, comme par exemple la flûte de bambou, la xiao, le hulusi et le duxianqin.

Le premier concert de l'Orchestre à 12 filles, Le Charme, s'est tenu à Beijing dans le Théâtre du 21e siècle le 5 octobre 2001. Il a tout de suite créé une énorme sensation dans le milieu de la musique traditionnelle et celui de la musique populaire. En 2003 déjà, elles ont commencé à se produire à l'étranger. Leur album a d'abord été présenté au Japon où dès la première journée il a dépassé les 10 000 disques vendus, un succès qui ne s'est pas démenti puisque c'est plus d'un million d'unités qui se sont arrachées les deux mois suivants. Les Douze sont presque plus célèbres désormais au Japon qu'en Chine ! En juin 2004, l'Orchestre a entamé une tournée en Asie du Sud-Est sous le titre Merveille brillante qui l'a emmené dans des pays comme Singapour, la Malaisie, la Thaïlande et l'Indonésie. Au mois d'août 2004, leur album Énergie orientale a été lancé pour la première fois en Amérique du Nord. Encore une fois un succès relatif, puisque le titre se place au 62e rang dans le classement de Billboard 200 dès la première semaine. C'est en tout cas un record parmi les groupes chinois, qui sont normalement peu goûtés en Amérique du Nord. C'est grâce à cet album que l'Orchestre à 12 filles est nominé pour les 47e Grammy Awards dans les catégories Meilleur album de musique du monde et Meilleure révélation. En deux tournées en Amérique du Nord, elles ont réussi à susciter un vif engouement pour la musique traditionnelle chinoise suite à chacun de leurs concerts.

Dans une interview accordée à La Chine au présent, Yang Yi, imprésario de l'Orchestre à 12 filles, nous livre sa vision sur la perception par les spectateurs de la musique traditionnelle chinoise. « Les spectateurs, tant ici qu'à l'étranger, ne sont pas dans leur majorité des connaisseurs de la musique traditionnelle chinoise. Mais le potentiel du marché est énorme. Les étrangers sont surtout motivés par leur curiosité pour une musique exotique, mais petit à petit ils finissent par apprécier ce type de musique. »

« Beauté et talent, traditionnel, à la mode, extraverti et patriotique » : voilà comment se décrit l'Orchestre à 12 filles. Yang Yi explique ainsi le succès de l'Orchestre : « Nous avons fait le pari de l'originalité dans la performance. Nous avons été critiquées pour notre façon d'interpréter la musique traditionnelle. On nous a accusées de rabaisser la musique chinoise au niveau de la musique pop. Et pourtant, je crois que ces critiques prouvent au contraire notre popularité. Toute culture nécessite la diversité. Le succès de l'Orchestre est dû à son approche innovante dans une forme qui renouvelle la musique traditionnelle, et aussi à l'originalité de ses compositions. L'important est de montrer sur la scène internationale l'esprit des jeunes chinois qui vivent au présent. »

Innovation dans la musique traditionnelle

La popularité de l'Orchestre à 12 filles est finalement le signe d'une vraie renaissance de la musique traditionnelle chinoise. Une musique folklorique renouvelée qui se caractérise par le mélange des instruments, des genres et des rythmes traditionnels avec un style de musique occidental. On appelle cela « jouer de la musique chinoise à l'occidentale ». L'Orchestre à 12 filles ne se contente pas de revisiter la musique traditionnelle d'un point de vue acoustique : l'aspect visuel est également bouleversé par l'emploi de techniques de pointe. Le phénomène est plus large qu'une simple interprétation traditionnelle.

La plupart des Chinois considèrent la musique traditionnelle comme monotone. C'est normal : habituellement elle est jouée en solo en position assise. Les spectacles de musique pure étaient rares puisque les instruments traditionnels sont étroitement liés aux anciennes coutumes de mariage, des funérailles et des rites religieux. C'est ce carcan que l'Orchestre à 12 filles a décidé de briser : plusieurs types d'instruments traditionnels sont combinés, faisant ressortir des sons à multiples niveaux. La structure de leurs mélodies est plus variée. De l'orchestration à l'arrangement musical, tout est fait pour s'adapter à la scène et se rendre accessible au plus grand nombre.

Grâce aux techniques modernes, la nouvelle musique traditionnelle parvient à profiter au mieux de ses atouts et à surmonter ses points faibles. De grands progrès ont été faits dans le traitement du son, l'amélioration du timbre et l'harmonisation du rythme. En même temps, l'introduction d'un accompagnement avec de la musique électro-acoustique enrichit la musique traditionnelle. Dans de nombreuses compositions du groupe, comme par exemple La Merveille, l'Orchestre renouvelle la musique traditionnelle par l'emploi de technologies modernes.

Si l'Orchestre à 12 filles est remarquable d'un point de vue musical, c'est évidemment sur le plan visuel qu'il se distingue le plus. Douze Orientales élégantes sur une même scène, c'est déjà un spectacle splendide en soi. Mais l'Orchestre a soigné leur placement et leur a désigné des postes soit debout, soit assis, afin de mettre en valeur la beauté des musiciennes. Dans un style tantôt classique tantôt moderne, les douze beautés nous offrent une « musique visuelle », et c'est là une innovation majeure pour la musique traditionnelle.

Yang Yi ne s'en cache pas, les morceaux et les spectacles de l'Orchestre sont spécialement adaptés au goût esthétique de notre époque, et faits pour être accessibles à un public profane. Il serait naïf de croire que la conservation de la musique traditionnelle pourrait réussir sans une base populaire. Cultiver l'intérêt de la masse pour la musique traditionnelle, c'est là que se trouve la clé de sa survie. En se mariant avec la musique populaire occidentale, la musique des 12 filles a gagné le cœur des jeunes Chinois.

Controverse et difficulté

L'Orchestre à 12 filles n'est pas le premier à s'autoriser des innovations dans la musique classique. Mais son cas fournit des pistes de réflexion sur la meilleure façon de renouveler la musique traditionnelle tout en lui gardant son essence et en préservant son indépendance. Yang Yi considère que « le développement et l'innovation sont des facteurs cruciaux pour que se transmette la musique traditionnelle. Tous les membres de l'Orchestre ont participé à une re-création de la musique. Nous nous efforçons sans arrêt de progresser vers une meilleure interprétation de la musique, vers une amélioration de notre technique. Nous sommes attachés à notre culture traditionnelle, et y ajouter des éléments populaires modernes, c'est notre façon de nous distinguer. »

Bien sûr, l'Orchestre à 12 filles a beaucoup contribué au rayonnement de la musique traditionnelle et même à la promotion d'une culture de masse qui utilise la musique traditionnelle. Et pourtant elles essuient des critiques : on affirme que leurs œuvres ne sont pas suffisamment développées, trop primitives ; on assure qu'elles négligent trop l'aspect traditionnel de ces mélodies ; d'autres s'émeuvent de leur orientation trop commerciale. à ces accusations, Yang Yi répond simplement : « Nous devons considérer ce phénomène d'un point de vue plus large. La première étape du renouveau de la musique traditionnelle, c'est la faire connaître à tout le monde. Cela est impossible sans innovation. On ne peut pas imaginer que la musique populaire moderne adopte telles quelles les vieilles mélodies et les rengaines d'autrefois. De plus, pour nous qui sommes une entreprise culturelle privée, notre chiffre d'affaires est la seule source de notre développement. L'Orchestre à 12 filles n'a reçu aucun soutien du gouvernement. Et puis au final, seule compte l'appréciation du public. L'enthousiasme de nos spectateurs nous prouve que nous sommes sur la bonne voie. »

En tant qu'ancien membre de l'Orchestre, la jeune joueuse de erhu Xu Hui parle de rénovation de la musique traditionnelle et conclut : « La musique d'une nation fait partie de la musique du monde. Il nous faut populariser la musique traditionnelle chinoise en Chine avant de la promouvoir dans le reste du monde. Alors on verra un retour à la musique classique et elle retrouvera son propre charme. »

« Le principal problème de l'Orchestre est le piratage de ses droits à la propriété intellectuelle. Au moins 80 groupes musicaux se sont formés et se produisent dans tout le pays. Ces groupes jouent en play-back la musique traditionnelle de l'album de l'Orchestre à 12 filles sans l'accord de l'Orchestre. C'est une vraie menace pour nous », explique Yang Yi. Il y voit la raison pour laquelle le groupe a ralenti ses activités ces dernières années. Cela ne l'empêche pas de rester optimiste : « Je pense que nous allons continuer à progresser sur le marché intérieur. Aucun groupe actuel n'arrive à la cheville de l'Orchestre à 12 filles, surtout au niveau de l'organisation des concerts. »

 

La Chine au présent

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