CHINAHOY

29-December-2014

Succomberez-vous à la douce mélodie des instruments chinois ?

 

Le 25 septembre 2014, lors de l'Asian Super Model Competition à Nanning, une des mannequins interprète un morceau au guqin.

 

Bien sûr, les instruments traditionnels chinois se trouvent généralement en Chine, mais parfois entre les mains d'expatriés ! Petite enquête sur la place actuelle de la musique traditionnelle chinoise et la popularité des instruments connexes.

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

Les Chinois aiment rappeler qu'ils sont les descendants d'une civilisation cinq fois millénaire et les héritiers de traditions ancestrales propres à leur nation. Parmi ces traditions, citons par exemple l'art de la musique traditionnelle chinoise, ainsi que tous les instruments qui s'y rapportent. À cordes frottées, à cordes pincées, à vent ou à percussion : il y en a pour tous les goûts !

D'après des archives historiques, la musique se serait développée très tôt en Chine, il y a plus de 3 000 ans. Néanmoins, elle était très contrôlée. Sous la dynastie des Qin (221-207 av. J.-C.), apparut un Bureau de la musique impériale, chargé de décider des morceaux joués à cour, des chants militaires et des mélodies populaires admises officiellement. Ainsi, le pouvoir de rassembler les foules dont dispose la musique en général a bien vite été compris et mis à profit, dans la sphère politique mais aussi religieuse.

Au fil des siècles de développement et d'échanges culturels avec les autres pays, la musique traditionnelle chinoise, ses fonctions et ses instruments associés ont grandement évolué. Face à la mondialisation qui a propagé les sons venus d'Occident, qu'en reste-t-il aujourd'hui ?

Plus accessible…

Dans le quartier des antiquités de Liulichang, nous trouvons une boutique un peu différente : au centre, quelques guzheng (cithare sur table) ; en bas à gauche, des gongs de toutes formes ; accrochés au mur, un florilège de erhu (viole à deux cordes) et hulusi (instrument à vent à anche libre, composé d'une calebasse et de trois tubes en bambou) ; au fond, un large choix de guqin (instrument à cordes pincées de la famille des cithares)…Li Shuping, gérante de ce magasin nommé Yuehaixuan, nous informe : « Beaucoup de jeunes Chinois apprennent à maîtriser ces instruments anciens, peut-être même plus qu'autrefois. Grâce à l'élévation du niveau de vie, leur prix est devenu accessible. Quelques centaines de yuans suffisent pour l'achat d'un erhu par exemple ; pour un guzheng basique, le coût monte à un peu plus de 1 000 yuans. »

Changyuan a 13 ans et apprend le kuaiban'er (plaquettes de bambou qui s'entrechoquent) depuis maintenant trois ans. Ce petit instrument de percussion permet d'accompagner et de rythmer des histoires chinoises, généralement comiques, racontées par le musicien lui-même. Le Huffington Post a surnommé cette forme d'art un « rap chinois non contestataire » ! Changyuan n'est pas un passionné de musique traditionnelle chinoise : c'est sa mère qui l'a poussé à étudier cet instrument. Elle commente : « Ni moi ni mon mari ne sommes musiciens. Quand nous étions petits, nous n'avions pas les mêmes conditions. Toutefois, j'ai souhaité que mon fils fasse du kuaiban'er pour diverses raisons. D'abord, parce qu'il s'agit d'un bon exercice oral qui favorise la mémoire. Mais surtout, parce que cela lui permettrait de prendre confiance en lui. Il est très timide. La première fois qu'il a donné une représentation devant ses camarades, il était très nerveux. Aujourd'hui, il peut se produire en public avec beaucoup plus d'aisance. »

…mais en concurrence

Mais tandis que certains parents chinois souhaitent que leurs enfants apprennent des instruments traditionnels, soit pour les aider à développer leurs aptitudes soit pour leur faire découvrir la culture ancienne à laquelle ils donnent accès, d'autres privilégient les instruments occidentaux, envisageant plutôt l'avenir de leurs progénitures. « Peu d'enfants apprennent le kuaiban'er, avoue la mère de Changyuan. La plupart étudient plutôt le piano, le violon, le clairon, la trompette… Beaucoup de parents estiment qu'il s'agit d'instruments plus prestigieux, susceptibles d'ouvrir plus tard à leurs enfants les portes d'une bonne école. »

Ainsi, instruments chinois et instruments occidentaux se côtoient dans les villes chinoises. Dans certains quartiers de la capitale pullulent les magasins de musique vendant guitares, pianos, violons et autres instruments occidentaux, tandis que des haut-parleurs à chaque coin de rue crient des sons indéniablement pop. Mais peut-être un peu plus loin verrez-vous un vieillard jouer un air intrigant au erhu. Et si vous faites une halte pour dîner dans un chic restaurant chinois, il se peut que vous mâchiez votre nourriture au rythme de la douce mélodie d'un guzheng ou d'un pipa (luth à 4 cordes).

Un ailleurs séduisant

Mais avant de sortir admirer un spectacle, revenons à la boutique Yuehaixuan. Alors que Li Shuping nous avoue qu'elle compte peu d'étrangers parmi ses clients, deux Allemands, un père et son fils, pénètrent dans le magasin. « En tant que violoniste, je m'intéresse à la musique en général, explique l'aîné. Et j'aimerais comprendre pourquoi la musique traditionnelle orientale n'est pas parvenue jusque chez nous en Occident, alors que la musique occidentale s'est développée à travers le monde. Nous avons visité, au temple du Ciel, l'Administration de la musique divine. Il s'agit d'un musée présentant les divers instruments chinois, avec, à l'issue de la visite, une représentation. C'était vraiment très beau ! Nous sommes ravis d'avoir vu que les instruments traditionnels existaient toujours. Toutefois, nous espérons qu'ils sont vraiment présents au cœur de la société, non pas juste utilisés pour séduire les touristes comme nous. »

Voyager, c'est partir à la rencontre de l'ailleurs, découvrir ce qui n'existe pas chez soi. Ainsi, la majorité des touristes restent admiratifs devant des compositions musicales et des sonorités que leurs oreilles n'ont pas l'habitude d'entendre. Au point parfois de s'atteler à l'apprentissage d'un instrument.

C'est le cas de Maureen, jeune fille belge qui réside en Chine depuis maintenant 5 ans. Partie écouter un concert mongol dans un bar à Beijing, elle a eu un coup de cœur pour le matouqin (viole à tête de cheval), au son moins « criard » que le erhu, selon ses dires. « La Mongolie intérieure m'attirait déjà pour ses steppes et ses balades à cheval ; maintenant, aussi pour sa musique ! » lance-t-elle. Jouant de la flûte depuis l'âge de 6 ans, elle souhaitait apprendre à jouer sur un tout autre type d'instrument, de préférence sans partition pour développer son oreille musicale. « J'ai commencé à prendre des cours de matouqin en mars, auprès d'un musicien venant de Mongolie intérieure. C'est difficile au début, parce qu'on manque de repères. Mais le plus difficile pour moi, c'est encore de coordonner les deux mains : le mouvement de l'archet avec la droite et le pincement des cordes avec la gauche, explique-t-elle. Pour étudier, j'écoute et je filme mon professeur, puis j'essaie d'imiter ses mouvements. » Maureen souligne qu'elle joue simplement pour son bon plaisir, apprenant pas à pas, quand elle arrive à trouver un peu de temps libre. « À ce rythme, il me faudra peut-être un an encore pour me sentir vraiment à l'aise avec cet instrument », estime-t-elle modestement.

À l'inverse, le dizi (flûte traversière en bambou) n'a plus de secret pour Marie-Claude, chanteuse québécoise au sein du groupe Mademoiselle et son orchestre entre autres, qui s'est déjà construit une solide réputation à travers la capitale chinoise. « Quand je visite un pays, j'aime bien découvrir les instruments de musique locaux. Ils font clairement partie de la culture. Donc, quand je suis arrivée à Beijing il y a 12 ans, j'ai très vite acheté sur un petit marché un dizi, puis un guqin. » Déjà flûtiste au Québec, elle n'a pas eu de mal à apprendre à jouer. Toutefois, elle décrit : « Traditionnellement, les Chinois appliquent un film très fin sur le trou le plus proche de l'embouchure, ce qui permet de sortir des sons aigus et vibrant un peu comme ceux d'un kazoo. Pour ma part, je bouche carrément ce trou avec du scotch, pour obtenir un son plus doux. Mais en fait, chaque flûte possède une tonalité différente suivant sa grosseur. »

Mélanger pour créer

De fil en aiguille, Marie Claude en vient à nous parler du spectacle qu'elle a vu dernièrement. « L'autre soir, je suis allée écouter au Poly Theatre un opéra du Henan, qui mêlait orchestre symphonique occidental (flûtes, violons, contrebasses, trompettes…) et ensemble chinois (dizi, pipa…). C'était magnifique ! » exprime-t-elle, dévoilant qu'elle apprécie le mélange des genres musicaux. Ainsi, musique traditionnelle chinoise et musique moderne de style occidentale ne sont pas nécessairement en concurrence : les deux traditions peuvent être harmonisées pour donner naissance à une musique inclassable. « Je n'écoute pas vraiment de musique traditionnelle chinoise, mais tout de même, je ressens que mes compositions ont été influencées par les deux cultures. Au début, munie de mon dizi, je jouais sur scène des titres plutôt funky. Maintenant, je joue des morceaux un peu plus dans le style chinois. Je compose avant tout selon mes envies », conclut tout simplement Marie-Claude.

Jean-Sébastien, un jeune homme français mieux connu à Beijing sous son nom de scène Djang San (voir l'article que nous lui avons consacré dans notre numéro d'avril), avance dans le même état d'esprit. Arrivé en Chine il y a 13 ans, il a accumulé un florilège d'instruments chinois : zhongruan, hulusi, suona (sorte de hautbois), guzheng, guqin… Mais toujours dans un même objectif : innover. « À mon arrivée, j'ai écouté de la musique chinoise traditionnelle, mais surtout dans le but de découvrir ces instruments nouveaux, de les essayer et d'en repousser les limites pour voir ce que je pouvais en tirer. L'intérêt primordial a toujours été la création. Quand je joue les morceaux des autres, c'est avant tout pour assimiler des techniques. Autrement, je joue mes propres compositions. »

Son instrument chinois de prédilection : le zhong-ruan (dérivé du pipa). Guitariste depuis ses 15 ans, il n'a pas eu de difficultés à maîtriser ce nouvel outil musical et n'a pas mis longtemps avant d'y apporter sa propre griffe. « J'ai été le premier à créer un zhongruan électrique, en ajoutant sur l'instrument classique un micro de guitare électrique. » Il avait également relevé le défi de reprendre des standards du jazz avec cet instrument chinois. Pour ce qui est de l'accueil du public chinois, il nous avoue qu'il est mitigé : certains sont agréablement surpris des capacités de l'instrument ; d'autres se sentent troublés, au point de se demander si cet instrument est réellement chinois…

Au-delà des frontières…

Au regard de ces interviews, le dicton selon lequel « la musique n'a pas de frontières » prend tout son sens. Ou du moins, la musique n'a PLUS de frontières, en raison de la mondialisation et des facilités de diffusion apportées par les progrès technologiques. D'ailleurs, plus besoin de se déplacer jusqu'en Chine pour découvrir la musique traditionnelle chinoise. Elle est à la portée d'un clic ! Il est facile d'écouter les concerts de certains musiciens traditionnels chinois qui se sont acquis une renommée internationale. Parmi eux, citons notamment Liu Fang avec son pipa, Li Meng avec son guzheng, ou encore Guo Gan avec son erhu qui, pas plus tard qu'en septembre dernier, a donné une représentation à l'auditorium du musée Guimet, à Paris.

 

La Chine au présent

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