CHINAHOY

29-December-2014

Le grand retour de la musique traditionnelle chinoise

 

Le 10 octobre 2013, à Shanghai, des amateurs de musique observent des guqin à l'Exposition internationale des instruments de musique de Chine.

 

Le public chinois retrouve goût à la musique traditionnelle chinoise et ses instruments désuets, suscitant un grand nombre de vocations entre tradition et innovation.

LI YUAN, membre de la rédaction

Il fait très froid à Beijing ce samedi matin. Il est 9 h et Tongtong, 9 ans, accompagnée de sa mère, se rend au Centre international de formation artistique Juzishu. Elle y apprend à jouer de la flûte une fois par semaine depuis plus d'un an, et son assiduité ne faiblit pas.

Contrastant avec le climat glacial de l'extérieur, l'ambiance est très chaleureuse dans le centre de formation. Les autres étudiants sont arrivés l'un après l'autre. Tous mettent à profit leurs week-ends pour apprendre le chant ou les intruments de musique. Chacun dans sa salle de classe, ils entament déjà leur carrière artistique.

Le retour de la musique traditionnelle chinoise

Le professeur de Tongtong, Zhang Shuang, est diplomée du département de musique traditionnelle du Conservatoire de musique de Chine. Désormais, elle est responsable de la branche Guomao du Centre Juzishu. À l'en croire, le Centre Juzishu créé en 2011 ne proposait pas de cours de musique traditionnelle à l'origine : son point fort était plutôt l'enseignement du chant et des instruments de musique occidentaux. Cependant, de plus en plus de personnes étant venues se renseigner sur la musique traditionnelle, le centre a fini par se résoudre à proposer des cours de guzheng, de pipa, de erhu, de flûte, de hulusi et de bawu.

« Les cours de musique traditionnelle sont très demandés en ce moment », explique Zhang Shuang qui donne cinq ou six cours par week-end. Son collègue Liu Caihua donne des cours de erhu de 9 h du matin jusqu'à 20 h 30.

Les élèves sont d'âges et de profils très variés : il y a des écoliers, des cadres d'entreprise, des retraités, etc. « Le week-end, on voit surtout des élèves des écoles primaires et secondaires. Les adultes préfèrent des cours en semaine », indique Zhang Shuang.

D'après les statistiques de l'Association de musique traditionnelle des instruments à vent et à cordes, ces dix dernières années, plus d'un million de jeunes se sont mis au guzheng ; plus de 600 000 autres apprennent à jouer du erhu ; environ 500 000 apprennent le yangqin ; ceux qui apprennent la flûte sont au nombre de 400 000.

Parallèlement au boom des établissements de formation à la musique traditionnelle, on a également vu se créer un grand nombre d'associations d'amateurs. Liu Xiaogang, 25 ans, diplomé du Shanxi Drama Vocational College, tient un magasin d'instruments de musique. Un jour qu'il se promenait dans un parc, il rencontra des retraités apprenant le hulusi, un instrument de musique de l'ethnie dai. En tant que spécialiste des instruments rares, il a pu leur donner quelques conseils, et depuis il est devenu un peu le professeur bénévole de ces personnes âgées. Ses élèves ont en moyenne 60 ans, le doyen comptant 75 printemps. Entre-temps, Liu Xiaogang a commencé à donner des cours de hulusi dans le quartier où il habite. En un an, le nombre de ses élèves atteint une centaine de personnes. Les personnes du troisième âge sont ravies, par cet apprentissage, de remettre un peu de sel dans leur vie. Grâce à cette activité elles se sentent revivre.

L'engouement pour la musique traditionnelle contribue à relancer la production et la vente des instruments correspondants. Dans le magasin de Liu Xiaogang, erhu, guzheng, flûte et pipa se vendent bien. Ses ventes augmentent de 20 % par an depuis trois années consécutives.

En outre, de plus en plus de personnes commencent s'intéresser à des instruments de musique moins connus. D'après les vendeurs de la Shanghai Dunhuang Musical Instruments Co., Ltd, des instruments peu connus du public comme le yueqin, le liuqin, le ruan, bénéficient aussi de ce développement. Lors d'une exposition-vente d'instruments de musique, on a pu voir toutes sortes de guqin en bois exotique à des prix dépassant les 2 000 yuan, et pourtant dès le premier jour ce sont une vingtaine qui ont été vendus en raison de leur excellent rapport qualité/prix.

Pareillement, les représentations de musique traditionnelle se taillent un succès croissant et les concerts rapportent souvent des recettes conséquentes. En 2014, plus de 170 séances se sont tenues dans la salle de concert de l'Orchestre national de Chine, générant une recette de 13 millions de yuans, soit le double de l'année précédente.

Pourquoi cette passion pour la musique traditionnelle ?

« Nous voulons cultiver le goût et l'intérêt de notre enfant pour la musique », explique la mère de Tongtong Mme Liu. Lorsqu'elle accompagne sa fille, Mme Liu doit attendre une demi-journée chaque week-end dans la salle d'attente du centre de formation. Autour d'elle sont assis d'autres parents qui partagent les mêmes belles idées qu'elle. De plus, pour accroître la capacité pulmonaire de sa fille et répondre aux besoins de l'apprentissage de la flûte, Mme Liu a inscrit Tongtong à des cours de natation. Désormais, dans certaines villes chinoises, les autorités municipales incluent l'enseignement de la musique traditionnelle dans les programmes scolaires des écoles primaires et secondaires. Des dispenses de cours, des orchestres et des performances par des groupes professionnels dans les écoles sont organisés pour encourager l'intérêt des écoliers pour cette discipline. Tout cela accompagne l'engouement des parents et des élèves pour la musique traditionnelles chinoise.

Parlant des motivations des adultes qui se passionnent pour la musique traditionnelle, Zhang Shuang pense qu'il s'agit tantôt de cultiver leur goût pour l'art et tantôt de se faire mousser. « Aujourd'hui, la musique traditionnelle bénéficie d'un effet de mode. J'ai dans ma classe un homme d'une trentaine d'années qui a découvert lors de la première rencontre que tous ses amis possédaient un "savoir-faire". C'est ainsi qu'il a décidé d'apprendre la flûte », raconte Zhang Shuang.

Ce monsieur nous confie que la musique traditionnelle peut aussi s'envisager comme moyen de communication. Pour l'instant, il ne sait jouer que quelques airs simples, mais il commence déjà d'en tirer bénéfice : ses premières démonstrations ont déjà suscité l'attention de ses jolies collègues de bureau lors des soirées d'entreprise. Par ailleurs, il trouve qu'en comparaison avec les instruments occidentaux, les instruments traditionnels chinois sont meilleur marché et plus faciles à apprendre. Telles sont les principales raisons pour lesquelles il s'est mis à la musique traditionnelle. Quelques centaines de yuans suffisent à acheter un instrument traditionnel comme une flûte ou un hulusi : par rapport aux instruments occidentaux, c'est donné.

Quand on lui parle de la passion actuelle pour la musique chinoise, Zhang Shuang, suppose qu'elle peut être liée au succès de l'organisation des Jeux Olympiques de Beijing. « Les JO de Beijing ont permis au monde entier de mieux connaître la Chine, et bien des activités d'échange qui se sont établies à ce moment ont dynamisé le marché culturel chinois. La reconnaissance de notre culture par des étrangers a réveillé notre intérêt pour celle-ci. Et bien sûr, avec l'élévation du niveau de vie, les Chinois deviennent plus exigeants dans leur quête de développement personnel. »

Son collègue, Liu Caihua, diplômé du Conservatoire de musique de Tianjin, pense que ces dernières années, les médias ont aussi joué leur rôle dans le regain d'intérêt pour la musique traditionnelle. « C'est la télévision qui m'a mis sur la voie du erhu. Ses airs mélodieux m'ont tout de suite captivé », explique Liu Caihua.

En 2007, la CCTV a organisé un concours d'instruments de musique traditionnels qui l'a émerveillé. L'événement a été répété en 2009 et en 2012. « On a pu entendre dans tout le pays les airs ancestraux, et c'est ce qui m'a fait découvrir le charme de la musique traditionnelle chinoise. La musique traditionnelle redevient un centre d'intérêt pour le public et le marché est ranimé. En tant que professionnel, je considère ce concours comme très important. » On attend avec impatience de voir se dérouler en 2015 la 4e édition prévue de cet événement.

En 2011, le ministère de la Culture a lancé le « Projet de développement et de soutien à la musique traditionnelle chinoise ». En soutien à ce projet, le ministère des Finances débloque chaque année une dotation de 6 millions de yuans. « Ces dernières années, grâce à des projets tels que celui-ci ou le Projet de formation et de soutien aux talents élaboré par le département de l'art du ministère de la Culture, le pays a déjà lancé un grand nombre d'artistes jeunes et d'âge moyen », constate Xi Qiang, directeur de l'Orchestre national de Chine.

Comment maintenir l'intérêt pour la musique chinoise ?

« En 2011, 80 % des gens intéressés par la musique traditionnelle s'inscrivaient à des cours de chant. De nos jours, le chant et les instruments de musique traditionnels font à peu près jeu égal. Le nombre de ces derniers tend même à s'accroître plus rapidement », raconte Zhang Shuang. Elle observe en outre que l'apprentissage des instruments anciens ne peut pas faire l'impasse sur la maîtrise des techniques fondamentales. Par exemple, pour certains instruments traditionnels, comme le pipa, le erhu et le yangqin, il faut consacrer un certain temps d'abord à l'apprentissage technique de base. Malheureusement, beaucoup de parents sont impatients et retirent leurs enfants après une semaine de cours si ceux-ci ne parviennent pas à jouer quelques airs.

« Avant même de se plonger dans l'apprentissage des techniques, il faut savoir admirer et comprendre le langage musical. C'est de cette façon que l'on peut aider les élèves à comprendre la musique avec leur cœur, avant de parler de maîtriser la méthode », explique Zhang Shuang. Les enseignants du Centre international de formation artistique Juzishu ont mis au point des méthodes personnalisées adaptées aux différents types d'élèves qu'ils rencontrent. Dans un premier temps, ils s'attachent à former le goût des élèves pour les instruments traditionnels, et ce n'est qu'ensuite qu'ils attaquent les connaissances spéciales.

Pour accroître l'intérêt des élèves pour la musique traditionnelle, le Centre Juzishu a proposé une autre innovation. Son principe est l'organisation de cours articulés autour de salons artistiques réguliers au cours desquels professeurs et élèves donnent des concerts. Ils envisagent ces cours d'orchestre comme une façon d'obliger les élèves à coopérer et à expérimenter les rôles possibles pour chaque instrument dans l'orchestre.

Certains parents envoient des enfants très jeunes apprendre la musique traditionnelle. Ce phénomène, selon Zhang Shuang, ne pose pas de problème en soi, puisque tous les élèves qui s'intéressent à ce genre de musique peuvent apprendre à jouer des instruments traditionnels. Cela dit, l'apprentissage de différents instruments doit être proportionné aux âges des enfants. Pour des instruments de grande taille, comme le guzheng et le pipa, il vaut mieux attendre que les élèves aient 6 ans ou plus, pour que leur force soit suffisante pour porter ces instruments. L'apprentissage d'instruments tels que la flûte demande une forte capacité pulmonaire, c'est pourquoi la flûte n'est conseillée aux élèves qu'à partir de l'âge de 8 ans.

Zhang Shuang pense qu'en plus de ces méthodes, la renaissance des instruments d'autrefois doit s'accompagner de nouvelles compositions. D'après elle, « Chaque œuvre est le fruit de son temps et on ne peut pas la modifier à son gré. Dans le contexte moderne, de nouveaux éléments de notre temps doivent apparaître dans les mélodies qui reflètent les sentiments des gens d'aujourd'hui ». Et d'ajouter : « les instruments traditionnels chinois ne possèdent que cinq tons fondamentaux, soit deux de moins que les instruments occidentaux. L'avantage est évident : il est plus facile d'apprendre à les pratiquer et leurs sons sont mélodieux. L'inconvénient est bien sûr un diapason plus restreint et donc un champ de thèmes moins varié que celui offert par les instruments de musique occidentaux. Mais de fortes complémentarités existent entre les deux et si on les combine, on peut parvenir à des résultats formidables. »

Le professeur de erhu Liu Caihua partage ce point de vue. Il trouve lui aussi que la musique traditionnelle chinoise devrait insister sur la perpétuation et l'innovation. Comme les œuvres nouvelles sont rares, les orchestres en présentent souvent une seule. Non seulement cette approche est peu attrayante pour les spectateurs chinois, mais même le marché étranger commence à se détourner de ces pièces qui apparaissent trop souvent au programme des concerts.

Il semblerait que la situation s'améliore un peu. Au début de cette année, l'Orchestre de musique traditionnelle de Shanghai composé de 26 personnes a présenté des compositions nouvelles, comme Frénésie, Brouillard au petit matin, Vestiges, dans des concerts donnés en Espagne et en France, suscitant un accueil enthousiaste. Lorsqu'une station de radio française a diffusé l'enregistrement d'un autre concert donné par cet orchestre, des auditeurs ont exprimé leur souhait de découvrir plus d'œuvres de musique traditionnelle chinoise.

Wang Pujian, directeur de l'Orchestre et chef d'orchestre, affirme : « Lorsqu'on nous invite à donner un spectacle, on s'étonne souvent de ce que nous ayons développé des compositions récentes, un répertoire qui comprend des dizaines ou même près d'une centaine d'œuvres, des musiciens de plusieurs générations différentes, des personnes aux idées réformatrices qui se lancent dans la promotion de la musique traditionnelle. Et pourtant c'est là qu'est la clé du succès pour la musique traditionnelle chinoise. »

 

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