CHINAHOY

29-September-2014

Ce que la Seconde Guerre mondiale nous enseigne

 

Le 5 juin 2014, un vétéran du régiment de parachutistes du Royaume-Uni assiste au saut en parachute organisé à l'occasion du 70e anniversaire du débarquement en Normandie. (CFP)

 

Certes, la guerre est une calamité qu'on aimerait bien oublier. Toutefois, il est important d'en garder la mémoire, pour éviter que ne soient reproduites les erreurs du passé...

LU RUCAI, membre de la rédaction

« Les contradictions entre pays ont toujours existé dans le monde. Mais au lieu de nous en inquiéter, nous devrions adopter la bonne attitude pour y faire face. » Tel est l'avis qu'a émis Nakayama Toshio, professeur à la Société Clausewitz au Japon, lors d'un colloque international intitulé « Les rétrospectives historiques de la Première et de la Seconde Guerre mondiale : les leçons à tirer et les inspirations », organisé le 26 juillet à Beijing. Il a souligné l'importance qu'un tel colloque revêtait pour la paix mondiale. Selon lui, dans la période d'après-guerre, l'hégémonie des grandes puissances cherchant à dominer le monde s'est effondrée ; aujourd'hui, à l'ère nucléaire, la Chine, qui poursuit une politique pacifiste et développe son économie en accord avec son temps, exerce une influence positive en faveur de la paix dans le monde à venir.

Étaient présents à ce colloque des chercheurs venus d'une dizaine de pays, dont la Chine, la Russie, les États-Unis, la France, la Serbie. Ils ont pris part à des discussions sur des sujets tels que « Le contexte et les causes du déclenchement des deux guerres mondiales », « Les souvenirs et les récits historiques des deux guerres mondiales », « Les deux guerres mondiales et l'évolution de la situation mondiale », « Les enseignements des deux guerres mondiales et le développement pacifique du monde ».

Établir cet examen rétrospectif des deux guerres mondiales et dresser un bilan des expériences et leçons historiques qui en ont été tirées est en effet crucial au bon développement des relations entre les divers pays, surtout entre grandes puissances, à la paix dans le monde et au progrès commun de l'humanité.

À l'origine de la guerre : l'hégémonie

La Seconde Guerre mondiale causa des malheurs indicibles aux peuples du monde. Plus de 60 pays et deux milliards de personnes y furent impliqués. Cinq pays enregistrèrent chacun plus de cinq millions de victimes, et cette guerre provoqua la mort de quelque 60 millions de personnes. La Chine fut l'un des pays les plus touchés durant la guerre. Selon les statistiques incomplètes, en Chine, le nombre de victimes s'établirait à 35 millions d'âmes, tandis que les pertes matérielles sont évaluées à 500 milliards de dollars.

Les experts qui participaient au colloque ont estimé que l'ordre international injuste et irrationnel, résultant de l'expansion coloniale des puissances impérialistes et de leurs rivalités hégémoniques, constituait la cause profonde de l'éclatement des deux guerres mondiales. « Les ambitions expansionnistes de Hitler s'appuyant sur la notion d'un infini "espace vital", la poursuite du pouvoir suprême par le "Duce" Mussolini, ainsi que les visées du Japon sur l'Asie, avec pour finalité la mainmise sur le monde... tous ces épisodes étaient caractérisés par cette volonté d'expansion illimitée, commente Xu Lan, professeure à l'institut d'histoire de l'École normale supérieure de la capitale. Ceux qui déclenchèrent la Seconde Guerre couvaient de façon évidente des objectifs impérialistes et cherchaient à acquérir l'hégémonie mondiale. »

En outre, compte également, parmi les facteurs déclencheurs de la guerre, le développement pernicieux du nationalisme dans les pays occidentaux. Selon Xu Lan, au XXe siècle, le nationalisme dans les pays occidentaux « perdit progressivement son caractère progressiste défendant les droits et intérêts légitimes de la nation » et dégénéra en « chauvinisme, colonialisme et impérialisme » protégeant les intérêts de la classe dirigeante bourgeoise. Elle affirme aussi que le système de Versailles formé après la Première Guerre fit germer la Seconde. « Une des clauses du Traité de Versailles stipulait que l'Allemagne devait assumer sa responsabilité et celle de ses alliés dans la guerre, ce qui aggrava les tensions entre pays vainqueurs et pays vaincus. Et la politique d'apaisement alors adoptée par les démocraties occidentales dans les années 1930, au premier rang desquelles la Grande-Bretagne, ne fit que précipiter l'éclatement de la Seconde Guerre. »

Wang Jinhua, chercheur adjoint à l'Académie des sciences militaires de Chine, indique que la guerre d'agression que le Japon lança à l'encontre de la Chine trouva également racine dans le contexte historique. Selon lui, après la réforme de Meiji, un courant d'idées militaristes se développa sans cesse au Japon et jeta les bases de son expansion et agression à l'extérieur ; l'établissement d'un système moderne politico-militaire par l'Empereur du Japon prépara le pays à une guerre offensive de grande échelle ; son expansion militaire comme axe économique pour booster les capitaux permit au pays d'afficher une force motrice inépuisable. Quant au professeur Ikou Toshiya de l'université Tsuru, il affirme qu'après la Première Guerre mondiale, le Japon tenta de cacher son acte d'invasion de la Chine en vertu du droit international. Et sous prétexte de devoir protéger ses intérêts en Chine, il renforça encore son action militaire lorsque la guerre civile eut lieu dans ce pays. C'est au nom de cette initiative qualifiée de « légitime défense », que le Japon s'engagea sur la voie de l'agression, analyse Ikou Toshiya.

« Le monde d'aujourd'hui est tout à fait différent de celui d'avant les Première et Seconde Guerres, où les pays impérialistes se disputaient l'hégémonie, les colonies, la population, les terres et les ressources, à des fins matérielles. Dans le contexte actuel de mondialisation, bien que des superpuissances rivalisent encore pour dominer le monde, elles luttent principalement en brandissant les armes que sont l'exportation de capitaux, de marchandises, de gestion et de services, ainsi que la création de sociétés transnationales. L'ouverture bilatérale entre les pays est devenue un important frein à la guerre, commente Shen Yongxing, chercheur à l'Institut d'histoire mondiale. En outre, les gens ont compris que nous vivons dans un "village planétaire" : les pays sont liés plus étroitement que jamais. En conséquence, toute guerre provoquerait une réaction en chaîne. Mais le Conseil de sécurité de l'ONU, les opérations de maintien de la paix, les organisations pour la paix et les actions contre la guerre constituent néanmoins des outils cruciaux pour conjurer la guerre. »

Défendre l'ordre international d'après-guerre

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les alliés antifascistes, dont les États-Unis, l'ex-URSS, la Grande-Bretagne, la Chine et la France, ont partagé une kyrielle de vues sur des questions importantes : la manière de traiter les puissances de l'Axe, la coordination entre les Alliés et la création de l'Organisation des Nations unies. « Cet ordre international d'après-guerre avait pour objectif de prévenir une nouvelle guerre mondiale et de maintenir durablement la paix et la sécurité internationales universelles ; il avait pour conditions préalables de faire payer aux militaristes leurs crimes et d'éliminer les racines profondes de l'agression militariste ; il avait pour pierres angulaires des règlements et documents internationaux universellement reconnus comme la Charte de l'Atlantique, la Déclaration du Caire, la Déclaration de Potsdam et la Déclaration de l'ONU ; et enfin, il avait pour garantie fondamentale l'unité des grandes puissances et leur collaboration au mécanisme de sécurité collective de l'ONU », a expliqué Zhou Xiaoning, chercheur adjoint à l'Académie des sciences militaires. Le monde actuel a encore besoin d'une coopération internationale soutenue par l'entraide entre grandes puissances, pour pallier ensemble aux divers risques.

Sylvanus Nicholas Spencer, professeur à l'université de Sierra Leone, apprécie quant à lui la victoire de l'esprit humain qui se manifesta dans la prise en charge du développement social d'après-guerre. « C'est cet esprit inébranlable qui a assuré la création de l'ONU et inspiré la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Il a même accéléré le processus de décolonisation en Afrique de l'Ouest après la Seconde Guerre mondiale. »

« Mais, il est à regretter que les États-Unis, pour mener leur guerre froide, se soient mis à défendre le Japon. Excluant la Chine et l'ex-URSS, les États-Unis ont conclu une paix séparée avec le Japon et transféré illégitimement l'administration de l'archipel Ryukyu et des îles Diaoyu de la Chine au Japon. Ces dernières années, les litiges territoriaux avec ses pays voisins s'aggravant, le Japon est devenu un briseur de l'ordre international », a condamné Zhou Xiaoning.

Depuis le début de 2014, le premier ministre japonais Shinzo Abe rabâche sans cesse sa théorie de « similarité historique », prétendant que « la Chine est désormais le challenger de l'ordre international actuel ». Pour Lü Jie, professeur à l'Institut des officiers de l'armée de terre de Chine, cette assertion est totalement fausse : selon lui, le Japon a toujours été source de guerres en Asie, du point de vue de l'histoire moderne ; après la Seconde Guerre mondiale, bien que le Japon ait formulé sa Constitution pacifiste, il a toujours tenté de défier le système de Yalta ; et depuis son retour au pouvoir, Abe ne cache pas ses ambitions expansionnistes démesurées, accentuant les tensions en Asie de l'Est.

Selon Wu Enyuan, chercheur à l'institut sur la Russie, l'Europe de l'Est et l'Asie centrale de l'Académie des sciences sociales de Chine, la Déclaration du Caire a initié une longue série de traités concernant le Japon après la Seconde Guerre mondiale et fondé le cadre de l'échiquier international d'après-guerre, surtout en Asie du Nord-Est. Mais les cris de la droite japonaise, appelant à la modification de la Constitution et niant les crimes de guerre commis, ont résonné de plus en plus fort ces dernières années. « En vérité, le Japon dément l'issue de la Seconde Guerre mondiale, cherche à redevenir une superpuissance militaire et politique pour dominer l'Asie de l'Est politiquement parlant. Et les États-Unis profitent de cette situation, offrant stratégiquement leur aide au Japon pour contenir la Chine. Cela fera naître de nouveaux facteurs d'instabilité dans la région Asie-Pacifique et dans le monde. »

« En Asie, si des éléments de la guerre froide persistent encore, c'est parce que la politique américaine à l'égard du Japon a changé. En effet, l'encerclement de la Chine mis en œuvre par le régime Abe ne saurait se résumer à "la résurgence du militarisme japonais" : elle dérive de la "sainte alliance des États-Unis et du Japon au XXIe siècle", assure Nakayama Toshio. Il convient de répandre à travers le monde les idées d'harmonie préconisées par la Chine pour ainsi contribuer à la paix sur Terre. »

L'histoire est un miroir

Bien que 75 ans se soient écoulés depuis l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale, les peuples du monde gardent profondément à l'esprit cet épisode historique, rappelé à leur mémoire dans des livres et œuvres cinématographiques. Ces cinquante dernières années, les États-Unis ont publié plus de 43 000 ouvrages relatifs à cette Seconde Guerre.

Le professeur Robert Jeffrey Moore de l'université de Sheffield a précisé : « Au Royaume-Uni, le public conserve un vif souvenir des deux guerres mondiales du fait de la sortie constante de publications, d'émissions télévisées et de films à leur propos. » D'après lui, ce phénomène n'est pas orchestré par l'État ou les médias, mais reflète tout bonnement l'hommage durable que les gens rendent aux militaires de leur pays qui se sont sacrifiés dans ces deux guerres ainsi que dans d'autres conflits.

Après la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne et le Japon, tous deux pays vaincus, ont pris des chemins différents dans leur réflexion sur la guerre. Selon Li Lezeng, professeur à l'université Tongji de Shanghai, la modernisation politique dans laquelle s'est engagée l'Allemagne après la Seconde Guerre mondiale découla de la politique répressive adoptée par les vainqueurs occidentaux pour annihiler les origines de la guerre, ainsi que de la politique d'intégration invitant la République fédérale d'Allemagne à devenir un allié. « Le développement de sa culture politique était en retard par rapport à la construction de son système politique. Toutefois, l'Allemagne s'est démarquée en menant une introspection sincère et en comprenant profondément les abus du régime nazi et l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, analyse Li Lezeng. Ce point positif dans la culture politique allemande a fourni, et fournit encore, une importante garantie non institutionnelle au maintien de la paix et de la sécurité, pour empêcher que ne se répète une telle tragédie. »

Selon Nakayama Toshio, dans la période d'après-guerre au Japon, bien que la Constitution pacifiste garantît la paix et que le sentiment anti-guerre du public restreignît aussi son développement militaire, le Japon, encouragé par les États-Unis, a toujours tenté de briser ou réviser sa Constitution pacifiste pour étendre son armement.

À vrai dire, tous les pays qui avaient été impliqués dans cette guerre conduisent encore une profonde réflexion à son sujet, tant au sein du gouvernement que parmi le peuple. Selon Bu Ping, ancien directeur de l'institut d'histoire moderne de l'Académie des sciences sociales de Chine, depuis 2002, a lieu chaque année le Forum sur les connaissances historiques et la paix de l'Asie de l'Est, organisé par des chercheurs, enseignants et représentants des citoyens chinois, japonais et sud-coréens. Un comité de rédaction de l'histoire commune des trois pays (Chine, Japon, Corée du Sud) y a été établi. Après trois ans de recherches et discussions, ce comité a publié en 2005 Histoire moderne des trois pays de l'Asie de l'Est, Histoire tournée vers l'avenir. Ce livre est utilisé en tant que manuel d'histoire complémentaire dans les écoles secondaires des trois pays. Par ailleurs, des échanges à propos de l'histoire sont organisés chaque année entre des étudiants chinois, japonais et sud-coréens. De 2006 à 2012, des chercheurs des trois pays ont rédigé, après des études plus approfondies, Histoire moderne de l'Asie de l'Est au-delà de la frontière. Dans cet ouvrage en plusieurs volumes, les historiens des trois pays s'efforcent d'observer l'histoire de l'Asie de l'Est du point de vue global de cette région, non du point de vue d'un seul pays.

« Pour de nombreux jeunes, la guerre fait partie d'un lointain passé et n'existe plus que dans l'espace virtuel d'un ordinateur. Avec leurs connaissances abstraites voire inexistantes de la guerre, ils se laissent facilement influencer par des informations à forte teneur émotionnelle et se dirigent tout aussi aisément vers une étroitesse d'esprit extrême, commente Bu Ping. Pour enrayer cette tendance, les érudits doivent guider les jeunes vers une compréhension plus profonde et plus complète de l'histoire, et surtout les aider, à travers l'enseignement, à ouvrir leurs horizons pour envisager l'histoire et l'avenir de l'Asie de l'Est selon une perspective plus large.

« L'histoire est un miroir. Reconstituer son vrai visage et distinguer le bien du mal s'avèrent un sujet politique de premier ordre, parce que défendre l'histoire, c'est défendre la paix », conclut Gao Hong, secrétaire du comité du Parti à l'institut du Japon relevant de l'Académie des sciences sociales de Chine.

 

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