CHINAHOY

30-July-2014

Rendre compte de la réalité chinoise au moyen de la fiction

 

Philippe Muyl parcourt La Chine au présent. (WANG YU)

 

Après Le Papillon, Philippe Muyl signe un deuxième succès avec la coproduction sino-française Le Promeneur d'oiseau. Un film tendre et poignant qui, en décrivant le quotidien des Chinois, porte à réfléchir sur la modernisation et ses revers.

Lors du Festival international du film de Beijing organisé en avril dernier, le réalisateur français Philippe Muyl, mondialement connu depuis son œuvre Le Papillon (2002), a présenté son nouveau « bébé » Le Promeneur d'oiseau. Ce film, dont le tournage s'est principalement déroulé en Chine du Sud, dans une région peuplée d'ethnies minoritaires, a reçu lors de ce festival un prix d'exception décerné par l'organisateur.

Philippe Muyl a commencé à apprendre le chinois il y a quelques années déjà. D'ailleurs, alors qu'il explorait les différentes régions chinoises et préparait son prochain film, il aimait prendre des notes en pinyin (phonèmes des caractères chinois) sur un calepin.

Découvrir le sens profond de la vie

En 2010, à l'occasion de la visite officielle en Chine de l'ancien président français Nicolas Sarkozy, un accord concernant les coproductions cinématographiques sino-françaises a été signé à Beijing. La même année, la Chine et la France ont en outre ratifié un projet prévoyant la coproduction de huit films, projet qui stipulait que ces œuvres seraient considérées comme des « films locaux » en Chine comme en France. En d'autres termes, elles ne seront pas soumises aux quotas d'importation fixés par les deux pays.

Parmi les huit coproductions susmentionnées figurait Le Promeneur d'oiseau. Philippe Muyl, qui lui-même était l'un des premiers à s'être lancé dans ce type de collaboration sino-française, était très enthousiaste. Il avait annoncé la nouvelle à tous ses amis : « Je vais aller en Chine tourner mon film ! »

« J'aime passionnément la Chine. Filmer Le Promeneur d'oiseau dans ce pays signifiait beaucoup pour moi. La Chine a connu des changements spectaculaires en très peu de temps, ce qui a creusé le fossé qui existe entre villes et campagnes, un grand écart qui ne s'observe dans aucun autre pays du monde. J'admire la vie urbaine en Chine : moderne, énergique, frénétique. Après que je suis rentré à Paris, où je réside, j'ai eu le sentiment que je vivais dans un musée, tellement tout allait lentement en comparaison », plaisante le réalisateur.

Le Promeneur d'oiseau raconte les aventures d'un grand-père et de sa petite-fille. Pour tenir la promesse qu'il avait faite à sa femme, depuis décédée, un vieux paysan dénommé Zhu Zhigen décide de quitter Beijing et de retourner dans son village natal de Yangshuo (région autonome zhuang du Guangxi) pour y libérer un oiseau âgé de 18 ans, son unique compagnon durant ses vieilles années. Ce long périple, il l'entreprend avec sa petite-fille de 8 ans, Ren Xing, jeune citadine pourrie gâtée. Ainsi se heurtent deux modes de vie aux antipodes, ce qui fait tendrement sourire les spectateurs tout en soulevant chez eux une profonde réflexion. Le film souligne que la Chine, comme beaucoup d'autres pays, mène au fil de son développement prospère une vie à 100 km/h : tout le monde s'affaire continuellement, sans même se poser une minute pour retrouver la paix intérieure.

« Je voudrais qu'à l'issue du film, les spectateurs se demandent : quel est donc le sens de la vie ? En Chine notamment, en pleine révolution sociale, les gens sont au quotidien particulièrement occupés à leurs activités, mais négligent souvent les "choses du cœur", exprime Philippe Muyl. Le vrai sens de la vie réside-t-il dans la course à l'argent et à la gloire, ou plutôt dans la recherche des éléments spirituels et moraux hérités des valeurs traditionnelles ? Un point à méditer. Il me semble que tout est question d'équilibre. D'ailleurs, les Chinois ne placardent-ils pas le terme "harmonie"? »

Liant les gestes à la parole, il imite une balance avec ses mains : « Mais comment trouver le juste équilibre entre la poursuite matérielle et la préservation de la culture ainsi que des valeurs traditionnelles ? C'est ce que nous devons tenter d'accomplir. »

 

Photo prise sur le tournage du Promeneur d'oiseau. (CFP)

 

Une histoire typiquement chinoise

Les spectateurs chinois ont connu Philippe Muyl en 2002 à travers son film Le Papillon, qui les avait amenés à se replonger dans leur enfance. La productrice du Promeneur d'oiseau, Ning Ning, avait particulièrement apprécié ce film qu'elle qualifie d'« esthétique, exquis et bourré d'énergie positive ».

C'est en 2009, alors que Philippe Muyl était en Chine pour une activité sino-française, que celui-ci avait fait la connaissance de Ning Ning. Ils avaient alors formulé l'idée de collaborer ensemble.

En 2011, ils ont commencé à rechercher un lieu de tournage. Après avoir parcouru tout le Sud-Ouest de la Chine, Philippe Muyl a finalement arrêté son choix sur un village situé dans le district de Sanjiang, au carrefour du Guangxi, du Hunan et du Guizhou. Là, les constructions en bois, les vêtements et le mode de vie traditionnels de l'ethnie dong ont été parfaitement conservés. « Dans ce film, je désirais montrer la beauté de la Chine. Les paysages et l'humanité de cet endroit correspondaient parfaitement à mes exigences », indique le cinéaste.

« À l'heure actuelle, la Chine est encore peu connue de beaucoup, parfois mal comprise, ajoute-il. Bien que les Français parlent tous les jours de la Chine, ceux qui l'ont visitée ne sont pas si nombreux. La majorité ne connaissent pas le vrai visage de la Chine, leur savoir se limitant aux aspects négatifs qu'ils entendent à la télévision, comme la pollution par exemple. Il est de mon devoir, muni de ma caméra, de présenter au monde la Chine telle qu'elle est réellement. »

Selon lui, ce qui distingue Le Promeneur d'oiseau des autres coproductions, c'est surtout la structure de l'histoire. Le sujet est typiquement chinois et les personnages sont tous interprétés par des acteurs chinois. Toutefois, le réalisateur a adopté un schéma narratif adapté aux Occidentaux, espérant que ce film jouit d'un rayonnement international.

Et le succès qu'il a remporté atteste que Philippe Muyl a réussi son coup ! Projeté au mois de mai en France, Le Promeneur d'oiseau a reçu un accueil favorable du public, battant au box-office des adversaires de taille comme Sabotage, long-métrage avec Arnold Schwarzenegger. Tandis que beaucoup de films sortis à la même période ont successivement quitté le grand écran, Le Promeneur d'oiseau continue d'être diffusé à travers tout l'Hexagone. Selon les estimations, il s'agit du film d'auteur chinois à moyen budget qui a fait le plus grand nombre d'entrées en France.

Philippe Muyl se réjouit de cet excellent retour : « Le Promeneur d'oiseau est un bon exemple de coproduction sino-française. À travers une histoire typiquement chinoise, ce film aborde un thème et des valeurs universelles qui touchent tout autant les Occidentaux. »

Des attentes diverses sur le marché

Philippe Muyl ne peut être considéré comme un réalisateur prolifique. Son éthique : « raconter une jolie histoire et produire une œuvre tout aussi exquise ». Il a fallu deux ans de travail pour que Le Promeneur d'oiseau voie le jour, en comptabilisant préparatifs, tournage et postproduction. « J'ai peu de regrets vis-à-vis de cette production, puisqu'elle s'avère très proche de mon idée de départ, affirme le réalisateur. C'est un film bouleversant, grâce auquel de nombreux spectateurs français découvrent une Chine qu'ils ne soupçonnaient pas. »

Parmi les films chinois, ce sont d'ailleurs ceux qui saisissent le cœur des spectateurs que Philippe Muyl préfère : « J'ai regardé à plusieurs reprises Paon. Je trouve que les images sont empreintes de finesse, et que le récit est bien détaillé. J'apprécie beaucoup son réalisateur, Gu Changwei. » Paon décrit le quotidien d'une famille de cinq personnes vivant dans une petite ville, durant les années 1970 et 1980. « J'aime bien aussi The Missing Gun, réalisé par Lu Chuan, ainsi que Fantasia de Wang Chao », ajoute-il.

« Le cinéma chinois est inondé de blockbusters 3D chargés d'effets spéciaux, aux coûts de production astronomiques. Il sont bien présents sur le marché et nombreux sont ceux qui les visionnent avec plaisir, mais ils laissent de moins en moins place aux films traitant des sentiments », s'indigne Philippe Muyl.

La plupart des grosses productions projetées dans les cinémas en Chine proviennent des États-Unis. « Tous les pays dans le monde, actuellement, font face à cette invasion de films hollywoodiens », a indiqué Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l'image animée, lors du Festival international du film de Beijing.

« Heureusement, pour contrer ce raid des productions hollywoodiennes, la France a établi un système sain qui permet de réserver un vaste espace aux films français sur le marché », précise Philippe Muyl. Si on laissait le marché cinématographique se développer librement, les blockbusters américains y domineraient exclusivement. C'est pourquoi il convient de perfectionner ce "système de défense", qui vise à aider et soutenir les nouveaux cinéastes à produire des films, où plutôt dirais-je, des bons films. »

 

La Chine au présent

Liens