CHINAHOY

29-September-2014

Je suis un descendant de la ville de Nanjing

 

Le 15 août 2014, rassemblement devant le Mémorial du massacre de Nanjing pour commémorer le 69e anniversaire de la victoire de la Guerre de résistance du peuple chinois contre l'agression japonaise et rendre hommage aux victimes du massacre de Nanjing. (CFP)

 

Révéler la guerre pour la paix : un aphorisme, d'apparence seulement, mais qui reflète bien le travail de mémoire à effectuer pour améliorer les relations sino-japonaises. Wu Xianbin a déjà entamé ce travail de mise en relief des mémoires, en ouvrant lui-même un musée non officiel à Nanjing...

AN XINZHU, membre de la rédaction

Chaque année en août, l'Association de l'amitié Japon-Chine met en place une exposition itinérante intitulée « Révéler la guerre pour la paix au Japon ». Il s'agit de photos et d'objets témoignant des atrocités commises par l'armée japonaise durant son agression en Chine.

Cette association a choisi Nagoya comme lieu d'exposition en 2014. Elle a duré trois jours et s'est clôturée le 12 août dernier. Durant cette activité, 39 groupes non gouvernementaux y ont exposé de nombreux documents historiques. Wu Xianbin, conservateur du musée privé de Nanjing sur la Guerre de résistance contre l'agression japonaise, est la première personnalité chinoise non gouvernementale à avoir été invitée à participer à l'exposition.

Un musée fondé par un particulier

Le musée privé de Nanjing sur la Guerre de résistance contre l'agression japonaise se situe dans la banlieue sud de la ville. À son entrée, est gravée une maxime de Tian Han, auteur de l'hymne national chinois : « Une nation sans sens de la crise est sans espoir ni avenir ».

Wu Xianbin, fondateur et conservateur du musée, m'explique que « les principaux objets conservés ici sont des documents historiques datant de la Guerre de résistance contre l'agression japonaise. La majorité, plus de 3 700 textes, sont au sujet du massacre. »

Wu Xianbin fut l'un des premiers entrepreneurs à bénéficier de la réforme et de l'ouverture. Il dirige une usine de matériaux de décoration et a commencé en 2004 la collection des documents historiques relatifs à la Guerre de résistance contre l'agression japonaise.

« J'avais une connaissance relativement floue sur cette période, acquise par le biais de la presse. C'est ma curiosité qui m'a enjoint à commencer à collecter des objets provenant de particuliers. Je voulais m'en servir pour témoigner. J'ai fondé ce musée en 2006 », raconte Wu.

Comme les autres villes chinoises, Nanjing compte plusieurs musées célèbres. Le musée privé sur la Guerre de résistance contre l'agression japonaise est très différent des musées publics. « J'espère retranscrire cet épisode à l'aide de souvenirs non officiels. Tous les gens qui ont connu cette période font l'objet de mes enregistrements. »

L'entrée du musée est gratuite. 160 000 personnes l'ont visité depuis sa création il y a 8 ans.

Wu Xianbin est pour ainsi dire très occupé. Pendant le mois précédant son départ pour l'exposition au Japon, hormis son travail quotidien, il devait recevoir une dizaine de groupes japonais non gouvernementaux. Presque quotidiennement, des experts et chercheurs d'établissements d'enseignement supérieur ou d'instituts de recherche de Chine se rendaient dans son musée pour y consulter des documents.

« Aucun de mes ancêtres n'a été tué dans le massacre de Nanjing ; aucun non plus n'était vétéran de la Guerre de résistance. Mes ancêtres sont venus à Nanjing après la guerre, dit Wu Xianbin. Je suis descendant de la ville de Nanjing parce que j'y suis né. »

Des témoignages personnels

Tous les objets exposés dans le musée privé sur la Guerre de résistance contre l'agression japonaise proviennent de particuliers. Chacune de ces pièces dévoile une histoire particulière.

Sur une carte de visite jaunie, est écrit : « Chen Zhongzhu, commandant de la 4e guérilla de la zone entre le Shandong, le Jiangsu et l'Anhui. » Chen était engagé dans la guerre de partisans contre l'armée japonaise. Il a été abattu de 6 balles en 1941.

« Au dos de la carte, figure la seule écriture laissée par le commandant avant sa mort. Après avoir trouvé cette carte, j'ai essayé de chercher ses descendants », commente Wu Xianbin. En août 2012, la fille de Chen Zhongzhu, après avoir entendu parler de la carte de visite de son père, est venue spécialement d'Australie au musée et a écrit : « Père, en regardant votre écriture et votre tampon, il me semble que vous êtes encore là. »

Au lieu d'exposer des photos sur les scènes misérables de la guerre, le musée a pris le parti de mettre l'accent sur la vie et le destin des Chinois durant ce conflit. Par exemple, des lettres et des tickets de rationnement des habitants, des brassards des fossoyeurs durant le massacre de Nanjing, plus de 300 cartes des opérations de l'armée japonaise, des articles d'usage de soldats chinois, etc.

Iris Chang, écrivain américaine d'origine chinoise, a recueilli de nombreux documents audiovisuels lors de ses interviews des survivants du massacre de Nanjing en 1995, pour écrire Le Viol de Nankin. Après la mort d'Iris Chang, ses parents ont fait don de ces vidéos au musée.

Wu Xianbin a établi une plate-forme destinée aux échanges non gouvernementaux à travers son musée. Chaque année, des étrangers visitent celui-ci. Curieusement, les Japonais sont les plus nombreux. Puis ce sont les Américains et les Allemands. « Beaucoup de groupes japonais non gouvernementaux viennent visiter mon musée quand ils passent en Chine, expose Wu Xianbin. Depuis des années à travers les échanges non gouvernementaux, je remarque que les organisations étrangères non gouvernementales sont très développées. Cependant, celles en Chine sont relativement peu influentes. En ce qui concerne les questions historiques entre la Chine et le Japon, les organisations chinoises non gouvernementales doivent faire entendre leur voix. »

La première visite d'un groupe chinois non gouvernemental au Japon

En mars 2014, la filiale de la préfecture d'Aichi de l'Association de l'amitié Japon-Chine a formellement invité Wu Xianbin à l'exposition. Après une réflexion sérieuse et une sélection minutieuse, il a décidé d'emmener au Japon 28 photos relatives au massacre de Nanjing, dont 24 sur les atrocités commises par l'armée japonaise en Chine. C'était la première fois que ces documents étaient exposés au Japon.

« La plupart de ces photos ont été publiées au Japon. Mais l'exposition là-bas permet aux Japonais de connaître les photos que l'on peut voir en Chine », dit Wu.

Cependant, l'exposition n'a pas donné de résultats satisfaisants. Malgré leur grand nombre, les visiteurs étaient principalement des personnes âgées et entre deux âges ; on comptait très peu de jeunes. Malgré cela, Wu Xianbin a fait preuve de compréhension, sachant que la plupart des habitants japonais ne connaissent pas très bien cette histoire, notamment à cause des nombreuses activités négationnistes orchestrées par les droitistes japonais.

« J'ai demandé à de jeunes Japonais : pourquoi vous ne vous intéressez pas au massacre de Nanjing ? Ils m'ont répondu : le gouvernement japonais n'est pas d'accord avec le gouvernement chinois sur cette question. C'est un signal dangereux. Cette conception chez les jeunes mènera à un écart de plus en plus grand entre les deux pays. Le fondement de l'amitié sino-japonaise pourrait même être détérioré à cause de ce genre d'opinions. »

Wu a remarqué un autre phénomène : pendant l'exposition, malgré les médias japonais présents, seulement Asahi Shinbun a fait un reportage. Mais en modifiant les expressions : le responsable du musée privé sur la Guerre de résistance contre l'agression japonaise parle de la guerre sino-japonaise en espérant la paix lors d'une exposition au Japon.

Parlant de ce reportage, Wu avoue : « Malgré mes regrets, je peux comprendre. Dans le passé, la sensibilisation à cette période de l'histoire au Japon était très faible. Quand on parle directement aux Japonais du massacre de Nanjing maintenant, ils ne peuvent toujours pas l'accepter. »

« En tant qu'organisation non gouvernementale, j'ai pour point de départ les faits réels en toute impar- tialité. » D'après Wu, le terme du « massacre de Nanjing » a été premièrement posé et vérifié par le Tribunal international. Du point de vue neutre, le massacre de Nanjing est un fait objectif qui peut être prouvé par des milliers de documents répartis partout dans le monde.

« Dans le domaine des échanges entre les historiens chinois et japonais, la partie japonaise reconnaît tout à fait l'existence de cette période. Cependant, la voix des droitistes japonais porte plus actuellement. Ils ont créé une soi-disant controverse entre les deux gouvernements sur la réalité du massacre de Nanjing, ce qui a conduit à des méprises en ce qui concerne cette histoire, surtout chez les jeunes Japonais.

Wu Xianbin souhaite se rendre au Japon souvent. Il se préparera à mieux dialoguer avec les historiens et médias japonais. Il est également très reconnaissant envers les 38 groupes japonais non gouvernementaux ayant participé à cette exposition. C'est leur encouragement qui a permis à un établissement privé chinois de participer pour la première fois à un tel évènement.

 

La Chine au présent

Liens