- Accueil
- Questionnaire
- Médecine chinoise
- Toit du monde
- Cuisine
- Livre
- Proverbe
- Francosphère
- A la chinoise
- Tendance
- Mots clés pour comprendre la Chine
- Aux quatre coins du pays
- Objets d'art
- Sci-Edu
- Environnement
- Personnalité
- Sport
- Tourisme
- Culture
- Economie
- Société
- Focus
- Convergence
- Propos d’expert
- Reportage spécial
- Dossier
- Galerie photo
- Actualité
Pour la mémoire des « femmes de réconfort »
![]() |
Les baraquements d'un « équipement de réconfort » de Shanghai. |
Elles ont subi l'un des innombrables crimes commis par l'armée japonaise lors de son invasion de la Chine. Mais elles sont méconnues et n'ont jamais reçu d'excuses ni d'indemnités de la part du gouvernement japonais. Violées par l'armée japonaise, oubliées pendant de longues années, elles comptent bien faire entendre leur voix aujourd'hui !
LI WUZHOU, membre de la rédaction
Le 6 août 2014, Navi Pillay, la haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, a publié une déclaration poussant le gouvernement japonais à résoudre, intégralement et une fois pour toutes, la controverse historique sur les « femmes de réconfort » de l'armée japonaise.
Dans la déclaration, Mme Navi Pillay a souligné que dans le Rapport d'enquête sur la déclaration Yohei Kono, le gouvernement japonais a nié le recrutement forcé des « femmes de réconfort », blessant l'honneur des victimes.
Deux semaines auparavant, le Comité des droits de l'homme de l'ONU avait publié un avis concluant et demandant au gouvernement japonais de reconnaître comme une responsabilité d'État, tout en définissant la culpabilité pénale des criminels, le problème du recrutement de force des « femmes de réconfort » par l'armée japonaise. En plus de cela, le Comité avait également indiqué qu'il était très important d'inscrire ce contenu dans les manuels scolaires japonais.
Pourquoi dit-on que le recrutement de force des « femmes de réconfort » est une responsabilité d'État du Japon ? Pourquoi la Chine a-t-elle demandé d'inscrire les archives historiques sur les « femmes de réconfort » au programme « Mémoire du monde » ? Pour trouver des réponses à ces questions, j'ai interviewé Su Zhiliang, professeur au Centre d'étude sur les « femmes de réconfort » relevant de l'École normale de Shanghai. Le professeur Su est également l'initiateur de la déclaration, en juin dernier, des archives historiques des « femmes de réconfort » à « Mémoire du monde ».
À la recherche de survivantes
C'est le hasard qui a amené le Pr Su à se consacrer au dossier sur les « femmes de réconfort ». C'était en 1992, alors qu'il étudiait l'histoire des stupéfiants en Chine à titre de chercheur invité à l'université de Tokyo.
Au cours d'une causerie avec des collègues japonais, il a appris que la première « station de réconfort » avait été installée à Shanghai. Avant cela, le gouvernement japonais avait essayé de dissimuler l'existence des « femmes de réconfort ». En 1992, ce problème était déjà devenu un dossier international qui attirait l'attention générale.
De retour en Chine, Su Zhiliang a immédiatement entamé des recherches. L'armée japonaise ayant détruit beaucoup de documents avant sa capitulation, pendant longtemps, personne ne s'est soucié de cette histoire, et un grand nombre de victimes avaient déjà quitté notre monde. Ainsi, les études sur les « femmes de réconfort » faisaient face à plusieurs problèmes épineux. Mais Su Zhiliang a quand même réussi à mettre la main sur une centaine de victimes d'accord pour dévoiler leur identité et témoigner.
D'après Tan Yadong, victime au village de Wanru dans le district autonome li et miao de Baoting sur l'île de Hainan, il y avait une fille qui s'appelait Ashi dans l'« équipement de réconfort » à l'époque. Elle fut violée par les soldats japonais alors qu'elle était enceinte. Pire encore, les soldats japonais l'avaient attachée à un arbre et lui avaient ouvert le ventre à la baïonnette ! Ils avaient ordonné aux autres « femmes de réconfort » d'assister à la scène. Tan Yadong a raconté à l'enquêteur qu'elle en faisait des cauchemars depuis des dizaines d'années.
Yang Shizhen, elle, fut enlevée et passa sept jours dans un « équipement de réconfort ». Elle avait 16 ans. Choquée, elle souffre d'un problème mental et est incontinente. Zhang Xiantu, elle, devint « femme de réconfort » à 17 ans. Lorsqu'elle voyait les soldats entrer dans la pièce, elle tremblait de tous ses membres. Ses deux mains tremblèrent toute sa vie à cause du stress continu dans lequel elle vivait là-bas. Chen Yabian, elle, se débattait pour ne pas subir les violences des soldats japonais. Un jour, un soldat japonais lui donna un coup dans l'œil, et celui-ci pleure toujours depuis...
Ces souvenirs glaçants sont ceux que Su Zhiliang et les enquêteurs ont recueilli lors de leurs recherches. Ils les ont enregistrés dans les livres études sur les femmes de réconfort et Esclaves sexuelles de l'armée japonaise — la vérité sur les femmes de réconfort chinoises.
À travers les descriptions de ces survivantes, Su Zhiliang a appris que ces « femmes de réconfort » ne possédaient aucune liberté et étaient violées à plusieurs reprises, des dizaines de fois chaque jour pour certaines. Plusieurs se sont suicidées. Si elles osaient se révolter ou s'enfuir et étaient capturées de nouveau ; ou si elles étaient atteintes de maladies sexuelles ou enceintes, elles étaient tuées froidement par les soldats japonais. À la fin de la guerre, les survivantes ne représentaient plus qu'un quart d'entre elles.
Lors de son enquête, Su Zhiliang a pris connaissance d'un récit : en été 1942, la division japonaise n°56 se rua à Mangshi (Yunnan) et saisit une cinquantaine de femmes de l'ethnie dai pour s'en servir de « femmes de réconfort ». Aucune d'entre elles n'en fut revenue.
Les survivantes n'en sont pas plus heureuses pour autant. Certaines ont subi des discriminations de la part de leurs proches, d'autres sont devenues stériles, d'autres ne se sont jamais mariées à cause de leur haine et de leur dégoût envers les hommes causés par les agresseurs japonais...
De réelles esclaves sexuelles
Selon Su Zhiliang, le Japon dénomme ces femmes recrutées de force « femmes de réconfort », ce qui signifie, en japonais, qu'elles remontaient le moral des soldats et officiers japonais. Cela dans le but de camoufler le caractère criminel de ce système d'esclavage sexuel mis en place par l'État japonais et l'armée japonaise pendant la guerre. De sorte que l'on fasse l'amalgame entre ces « femmes de réconfort » et les prostituées professionnelles de l'armée... Ce genre d'appellation remue le couteau dans la plaie de ces victimes. Ces dernières ont ainsi subi des discriminations et des humiliations même après la guerre. On disait qu'elles « couchaient avec des soldats japonais ». Certaines étaient même considérées comme des « prostituées japonaises ».
« En réalité, les "femmes de réconfort" étaient clairement des esclaves sexuelles de l'armée japonaise ! Un grand nombre de femmes chinoises, coréennes, d'Asie du Sud-Est, et même d'Europe et des États-Unis, furent violées par des soldats japonais, m'indique Su Zhiliang. Le système des ''femmes de réconfort'' est en fait un viol collectif perpétré par des hommes contre des femmes, et notamment contre les femmes des pays ennemis et colonisés. On ne trouve pas d'exemple similaire dans l'histoire mondiale. C'est un acte totalement criminel et organisé commis par l'armée japonaise, un acte systématique contre l'humanité, contre l'éthique des relations hommes-femmes, et contre les conventions de la guerre. C'est aussi le passage le plus misérable qui soit dans l'histoire des femmes.
Pour tout dire, en 1993, la Conférence mondiale sur les droits de l'Homme a voté la Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, selon laquelle l'appellation « femmes de réconfort » renvoie en fait à l'esclavage sexuel de femmes pendant la guerre.
En juillet 2012, Hillary Clinton a proposé d'interdire d'utiliser les mots « femmes de réconfort », traduction directe de l'expression japonaise utilisée dans tous les documents et déclarations américains, et de les remplacer par « esclaves sexuelles », afin que le Japon regarde enfin en face ces viols commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Depuis, le gouvernement de la Corée du Sud a également déclaré qu'il allait réfléchir à transformer « femmes de réconfort » en « esclaves sexuelles » dans ses traductions anglaises officielles.
Le nombre de « femmes de réconfort » qui ont survécu est très restreint. Elles se sont rendues au Japon pour demander des indemnités, mais elles n'ont jamais reçu la moindre excuse de la part du Japon. Leur demande d'indemnisation a été rejetée par le gouvernement japonais, sous prétexte qu'il y a prescription et qu'il ne s'agit pas d'un acte national.
Un crime national du Japon
Face au désaveu du Japon sur ce recrutement forcé des « femmes de réconfort », Su Zhiliang a indiqué que des chercheurs d'autres pays et lui-même sont en possession d'un grand nombre de preuves pouvant démontrer qu'il s'agit bien d'un acte national orchestré par l'armée japonaise elle-même.
Après une vingtaine d'années de collecte et d'étude de documents japonais, vieux journaux ou archives que l'armée japonaise n'avait pas eu le temps de détruire, Su Zhiliang a pu se faire une idée complète sur l'esclavage sexuel mis en place en Chine par le Japon. Le premier « équipement de réconfort » avait été établi à Shanghai au début de l'année 1932. Après l'éclatement global de la guerre d'invasion en 1937, l'armée japonaise avait établi des « équipements de réconfort » partout en Chine et gérés par l'armée japonaise elle-même.
Selon l'enquête menée par Su Zhiliang, ces « équipements de réconfort » se trouvaient dans une vingtaine de villes et de provinces situées dans le Nord-Est, le Nord, le Centre et le Sud-Est de la Chine. Shanghai en comptait plus de 160... D'après les estimations de Su Zhiliang, au moins 200 000 femmes chinoises furent obligées d'être esclaves sexuelles de l'armée japonaise.
« Au début, je n'avais pas pensé que le système des "femmes de réconfort" était si complet. Le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Justice, le ministère de la Marine, le ministère de la Guerre, le Gouvernorat-général de Corée, le Gouvernorat-général de Taiwan, ainsi que l'Armée expéditionnaire japonaise en Chine : tous y avaient été impliqués. Des divisions aux régiments, même certains détachements ou groupes, tous sans exception reçurent cet "équipement de réconfort". Tous les détails comme le transport ou les dépenses étaient réglementés », ajoute Su Zhiliang.
Parmi les 100 000 dossiers publiés récemment par les Archives provinciales du Jilin, Su Zhiliang a trouvé en moins d'une semaine près de 40 dossiers sur les « femmes de réconfort », dont un sur l'établissement des « équipements de réconfort » par l'armée japonaise aux frais de l'État japonais.
« Les archives de la Banque centrale du Mandchoukouo dévoilent que l'unité 7990 de l'armée japonaise a dépensé 532 000 yens en quatre mois rien que pour établir des "équipements de réconfort". » Selon Su Zhiliang, à l'époque, le salaire mensuel d'un lieutenant secondaire n'était que de quelques dizaines de yens. 532 000 yens représentaient donc une somme colossale ! Le dossier publié par les Archives provinciales du Jilin révélant que l'armée japonaise affecta une grosse somme d'argent à l'établissement des « équipements de réconfort » prouve avec force que le gouvernement japonais avait versé des frais colossaux pour utiliser des esclaves sexuelles.
Dans le même temps, ces documents étaient copiés aux commandements des troupes japonaises concernées ou au commandement des gendarmes japonais. Ce qui montre que cet acte était approuvé par l'équipe de direction et était soi-disant « légal ».
Toujours selon lui, ces documents et ceux des ministères de la Guerre, de la Marine, de la Justice et des Affaires étrangères découverts au Japon constituent un dossier complet sur les « femmes de réconfort ».
En tant qu'initiateur de l'inscription des archives des « femmes de réconfort » au programme « Mémoire du monde », Su Zhiliang explique que ces archives sur les « femmes de réconfort », esclaves sexuelles de l'armée japonaise, sont réparties en cinq catégories et classées en 29 séries. Elle comprennent les documents du Commandement de la Kenpeitai de l'armée d'invasion japonaise stationnée dans le Nord-Est de la Chine, du département policier de la Concession internationale de Shanghai, du régime fantoche et de la Banque centrale du Mandchoukouo, ainsi que des témoignages des criminels de guerre japonais. Dans ces documents soumis à l'ONU, on peut trouver ceux sur la situation desdits « équipements de réconfort », des statistiques sur les soldats qui les utilisaient, des chiffres sur les effectifs des armées japonaises pour un « équipement de réconfort ». Ils démontrent sous toutes leurs faces les atrocités de l'armée japonaise dans ce dossier du recrutement forcé des « femmes de réconfort », qui servaient en fait d'esclaves sexuelles.
Ces documents comportent encore 24 photos fournies par Su Zhiliang. Des photos qu'il collectionne depuis 1992, année où il a commencé à étudier l'histoire des « femmes de réconfort », dans les librairies et dans les mémoires rendus publics des soldats japonais.
Un auteur japonais sous le nom de plume de Hua Gongping a publié un livre intitulé L'histoire de « l'équipement de réconfort » Hainaijia, révélant toute l'histoire de l'« équipement de réconfort » de la Marine géré par son père pendant 1939-1945. 6 photos parmi celles que Su Zhiliang a fournies à la « Mémoire du monde » proviennent de ce livre.
D'après M. Su, « tout peut montrer que le recrutement des "femmes de réconfort" est un système pratiqué par l'armée japonaise et l'État japonais, un acte mijoté et organisé par le gouvernement japonais et le ministère de la Guerre, et mis en œuvre par l'armée ».
Regarder ces « femmes de réconfort » dans les yeux
Lorsque je lui demande pourquoi vouloir déclarer les archives historiques sur les « femmes de réconfort » au programme « Mémoire du monde », M. Su me répond qu'inscrire ces documents au programme « Mémoire du monde » et les conserver à perpétuité n'est pas une démarche anti-japonaise, mais au contraire, une initiative pour tirer des leçons de cette atrocité.
D'après Su Zhiliang, lorsque la Chine et le Japon ont rétabli leurs relations diplomatiques en 1972, la Chine espérait sincèrement que les deux pays pourraient coopérer et renouer des relations amicales. Mais aussi, que le Japon pourrait lui-même se remettre en cause quant à la guerre. La Chine n'avait pas souligné le crime de guerre du Japon à cette époque. Elle avait renoncé aux indemnités nationales relatives à la guerre. Sur le problème des « femmes de réconfort », comme aucune enquête sur les victimes n'avait été menée, ces personnes âgées ont disparu au fil du temps, et il est devenu difficile de trouver des témoins encore vivants.
Lorsque dans les années 90, Su Zhiliang a commencé à étudier le cas des « femmes de réconfort », on lui a conseillé, « dans l'intérêt de l'amitié sino-japonaise, de ne pas s'attaquer à ce sujet ou au moins de ne pas rendre publics les résultats de l'enquête ». Mais, Su Zhiliang pense qu'il est nécessaire d'éclairer ce problème. Cela est dans l'intérêt de l'amitié entre la Chine et le Japon.
Pourtant, le Japon ne cesse de nier l'histoire, démentir l'acte national du recrutement forcé des « femmes de réconfort ». Surtout, le Japon a refusé de présenter des excuses aux survivantes asiatiques et de leur offrir des indemnités. Ces 400 000 victimes n'ont pas reçu justice.
Le premier manuel scolaire sud-coréen Ne pas m'oublier a été utilisé cette année dans les cours des écoles primaires et secondaires dans le but de rappeler que les victimes de ce système de « femmes de réconfort » ne doivent pas être oubliées.
Le 25 juillet dernier, le Japon a encore une fois rejeté les demandes des États-Unis et de l'ONU l'appelant à reconnaître sa responsabilité dans l'affaire des « femmes de réconfort ». Su Zhiliang en est très fâché : « Le Japon fait la politique de l'autruche... Il s'imagine que les autres ne voient pas ce crime. C'est une attitude inacceptable de la part d'un gouvernement ! »
« J'espère que le gouvernement japonais et les Japonais suivront l'exemple de l'Allemagne et cesseront d'alimenter les controverses avec les autres pays asiatiques. La réflexion japonaise sur la guerre en est une condition préalable, voire même une base politique. Sans cette base politique, le Japon n'aura pas de bel avenir. Ils ont commis ces crimes de guerre : ils doivent se remettre en cause. »
En parlant de la portée des recherches sur le problèmes des « femmes de réconfort » dans le contexte des relations sino-japonaises actuelles, Su Zhiliang m'explique que « c'est un problème datant de la Seconde Guerre mondiale qu'on aurait déjà dû résoudre et qui a encore aujourd'hui des répercussions sur les relations entre la Chine et le Japon. Mais pas seulement, car il influence aussi les relations entre la Corée du Sud et le Japon, et entre le Japon et d'autres pays », détaille-t-il.
« La justice n'a pas encore été rendue aux victimes. Elles n'ont toujours pas obtenu d'indemnité. Pour apaiser l'âme des victimes déjà mortes, pour que l'on ne commette plus un tel crime, nous avons à débattre avec le Japon », poursuit-il avant d'ajouter que le gouvernement Abe voudrait lever l'interdiction de se doter du droit d'autodéfense collective, modifier la Constitution pacifiste japonaise et essaie de tout faire pour que le Japon devienne un pays libre de déclencher une guerre.
D'après lui, « si le Japon souhaite réellement coexister en paix avec les pays asiatiques, les problèmes historiques doivent clairement être résolus ».
La Chine au présent