CHINAHOY

27-January-2014

Le jade, une pierre plus que précieuse

 

Photo prise le 13 septembre 2013 lors de la Foire internationale des bijoux de Shenzhen, où étaient exposés des bijoux en jade d'une valeur dépassant les 10 millions de yuans. (CFP)

 

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

À Beijing, il m'est arrivé de voir des Chinois frotter machinalement un objet en jade, cherchant à en faire ressortir tout son éclat. Une technique de polissage interminable, assimilée dans la culture chinoise au long processus de perfectionnement et d'élévation de l'esprit.

Confucius (551–479 avant J.-C.) rapprochait ainsi cette pierre précieuse à l'existence humaine : « Le jade est précieux non pas parce qu'il est rare, mais parce que la qualité du jade correspond à la vertu d'un homme de bien. » Pour Xu Shen (58-147), auteur du dictionnaire Shuowen Jiezi, le jade possède plus précisément cinq caractéristiques qui illustrent les « cinq vertus » qu'un sage doit présenter : la brillance du jade représente la bienveillance ; sa transparence, la droiture ; sa sonorité, l'intelligence ; sa dureté, la bravoure ; et sa forme arrondie qui ne blesse point, l'intégrité.

Le jade a commencé à être utilisé par l'homme dès la période du Néolithique, il y a environ 8 000 ans. Résistant – presque autant que le diamant –, il servait à créer des armes imposant le respect. Brillant, les femmes de naissance noble le portaient en bijoux pour faire ressortir leur beauté et leur rang. Symbolique – le jade intégrait soi-disant les essences vivantes de la Terre et du Ciel –, il s'avérait un matériau de choix pour de nombreux objets rituels, que les shamans utilisaient pour communiquer entre les deux mondes. Le jade était en outre la pierre précieuse favorite de l'empereur, représentant du Ciel sur la Terre qui tirait son pouvoir absolu d'un mandat divin.

Le jade était alors associé à l'immortalité. Des embouts de pipes à opium en jade ont ainsi été retrouvés : on pensait qu'à travers ce dispositif, les fumeurs inspireraient des volutes de longévité. De plus, certains consommaient de la poudre de jade comme élixir de longue vie. L'alchimiste taoïste Ge Hong (284-343) prétendait que le jade pouvait préserver les cadavres de la putréfaction et recommandait de boucher les neuf orifices du corps d'un défunt avec des pièces en jade. Plus impressionnant, des costumes funéraires, constitués de plaquettes de jade attachées les unes et les autres au moyen de fils d'or, d'argent, de cuivre ou de soie, ont été exhumés au siècle dernier. Ils habillaient de riches aristocrates de la dynastie des Hans, soucieux de leur devenir.

De pierre sacrée dans l'antiquité, le jade a évolué en pierre de décoration sous les dynasties des Qin (221–207 av. J.-C.) et des Hans (207 av. J.-C.–220). Aujourd'hui, les Chinois ne prêtent plus autant de pouvoirs magiques au jade, mais néanmoins, des superstitions populaires lui prêtent quelques propriétés curatives. Cette pierre serait capable de soulager les problèmes de reins. Étymologiquement, le terme « jade » est issu de l'espagnol « piedra de ijada », qui signifie « pierre des reins ». De plus, le contact froid de cette pierre sur la peau permettrait la relaxation et la méditation. Placé sous un oreiller, le jade est favorable au sommeil profond ; posé sur le ventre d'une femme enceinte, il facilite l'accouchement. Cette pierre a également pour réputation d'éveiller les sens. Ainsi, porté en boucles d'oreilles, le jade élèverait la capacité d'écoute et d'appréciation de la musique.

Même dans notre société actuelle on ne peut plus matérialiste, le jade possède plus qu'une valeur décorative aux yeux des Chinois. La plupart de ceux qui exhibent des colliers, bracelets ou boucles d'oreilles en jade les considèrent comme des porte-bonheur ou objets de protection. Il est dit que si quelqu'un porte quotidiennement un bijou en jade, l'esprit de la pierre se fond avec le qi (énergie vitale en médecine traditionnelle chinoise) de la personne : le jade devient plus lisse et plus éclatant, tandis que la constitution physique de l'individu se renforce. Ces « trésors de jade » sont souvent transmis de génération en génération dans les familles, les aînés voulant protéger leurs descendants des mauvais esprits ou aléas de la vie.

Et l'emploi du mot « trésor » n'est pas exagéré. Un dicton chinois décrète : « On peut estimer l'or, mais le jade est inestimable ». Et effectivement, quand on se balade en Chine en néophyte, difficile de s'y retrouver au niveau des prix : sur le marché des antiquités de Panjiayuan, les prix pour un bracelet oscillent entre 100 et 200 yuans, alors que le même type de bijou vendu dans une boutique coûte dans les 80 000 yuans !

Ce qu'il faut savoir, c'est que la définition du jade n'inclut que deux types de matériau : la jadéite (jade dure) et la néphrite (jade mou). Deux variétés seulement, mais une multitude de couleurs ! La jadéite pure est théoriquement transparente, mais en réalité, elle prend une infinité de teintes résultant des impuretés dans sa structure cristalline. La couleur la plus fréquente et la plus prisée des acheteurs est le vert émeraude. La palette de la néphrite est plus limitée : elle peut être translucide, blanche ou légèrement jaune (qualifiée de « graisse de cochon »), ou encore légèrement grise (appelée « os de poulet »).

Cependant, la plupart des articles en jade présentés dans les magasins en Chine sont des contrefaçons, parfois au grand dam et étonnement du vendeur lui-même. D'autres composés, plus faciles à traiter et à tailler, se font ainsi passer pour du jade, comme la serpentine, le jaspe, la sardoine, l'agate, la saponite, etc. Liste à laquelle il faudrait ajouter les vulgaires imitations en plastique dur ! De nombreuses techniques existent pour identifier le vrai jade du faux, comme essayer de réchauffer le jade entre ses mains, essayer de le rayer avec une pièce de monnaie, approcher une flamme pour voir si la matière fond, examiner à la loupe sa composition, tester sa dureté au moyen d'un cristal de quartz pointu (pour les connaisseurs)...

Mais certaines imitations sont trop parfaites pour être décelables à l'œil nu. Pour endiguer le phénomène, des organismes d'expertise du jade approuvés par l'État ont vu le jour. Dotés d'un matériel scientifique professionnel, ils sont en mesure de délivrer des certificats d'authenticité. Avant un lourd investissement, il est fortement recommandé de faire appel à ces experts.

Car le jade a dépassé l'or en valeur ! 12,23 millions de dollars : c'est le prix auquel a été adjugé un sceau en jade blanc ayant appartenu à l'empereur Qianlong (1711-1799) des Qing (1644-1911) lors d'une vente aux enchères organisées à Hong Kong par Sotheby's, au printemps 2010. Il s'agit d'un record mais tout de même, cette somme astronomique met en lumière le fait que le vrai jade n'est plus à la portée des Chinois ordinaires, que seuls des collectionneurs millionnaires peuvent se permettre d'en acheter.

À la différence de l'or, qui peut être fondu et remoulé à souhait, il est impossible d'estimer le tarif du jade au kilo, car chaque pièce est unique et le prix de vente varie significativement selon la forme, la qualité et la couleur de la pierre. Mais ce que l'on peut affirmer avec certitude, c'est que les prix se sont envolés ces dernières années. Selon le New York Times, ils ont été multipliés par dix en l'espace d'une décennie. « Le jade coûte bien plus cher qu'avant », nous confirme une vendeuse à Panjiayuan.

Le jade est ainsi l'illustration du proverbe « tout ce qui est rare est cher ». La néphrite est principalement extraite des gisements à Hotan, dans le Xinjiang. Mais les ressources s'épuisent peu à peu, sans compter que le gouvernement chinois a pris des mesures pour restreindre les recherches massives de jade, qui dégrade l'environnement. Pour ce qui est de la jadéite, elle est importée de Myanmar. Mais les Birmans, conscients de la richesse nationale qu'ils détiennent, tendent à limiter l'exportation de jade brut, préférant les tailler chez eux, puis vendre les produits finis à l'étranger à des montants vingt fois plus exorbitants. Résultat : la demande excède de loin l'offre, l'inflation va galopante et le jade séduit de plus en plus les investisseurs, qui se détournent de l'immobilier et de la Bourse.

Pour conclure, le jade, matériau de tous les aspects, de toutes les croyances et surtout, de toutes les convoitises, est en voie d'extinction, ce qui n'a de cesse de faire grimper les tarifs ainsi que la quantité et la qualité des faux. Mais si le marché du jade est en constante évolution, un élément reste immuable : la passion des Chinois pour cette pierre plus que précieuse.

 

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