CHINAHOY

1-December-2015

Un mois « intérieur » au mont Wudang

WANG XUEFEI﹡

Palpitations, arthrose cervicale, asthénie, début d’obésité... À cause de mes « nouveaux amis », j’ai dû démissionner d’une entreprise parmi les meilleures au monde. Après quelques recherches, j’ai décidé de passer l’été au mont Wudang, cœur de l’inspiration taoïste, dans une des écoles de kung-fu intérieur. Un mois, c’est vraiment court pour apprendre et pratiquer ces méthodes. Mais l’expérience de ces personnes si différentes de celles qu’on rencontre à Beijing m’ont ouvert les portes d’un monde nouveau.

Ma vie a changé à Wudangshan

Mon amie locale m’a conseillé le stage de remise en forme de Maître Chen Lisheng, représentant de la 15e génération de l’école Xuan Wu. À 38 ans, ce maître du Dao est un fin connaisseur des lettres et des arts martiaux, et sa réputation n’est plus à faire à Wudangshan. Voici 18 ans, avant de commencer à étudier le kung-fu, il était travailleur migrant, un métier peu prisé en Chine. Il a péniblement amassé la somme nécessaire à un apprentissage de 3 ans, puis il est arrivé ici bardé de rêves romantiques, abandonnant son emploi de contremaître à Shanghai, qui aurait pourtant pu le mener à une relative prospérité.

La terrasse du paradis

L’école se trouve dans la zone Qiongtai, ce qui signifie « la terrasse de jade ». Le premier matin de mon séjour, à 5h30 comme il se doit selon le règlement de l’école, portant les vêtements traditionnels, je suis sorti du dortoir pour faire mes exercices sur la terrasse. En ouvrant la porte, moi qui ai vécu 30 ans dans le smog pékinois, j’étais étouffé par la pureté de l’air. « La terrasse de jade, c’est la terrasse du paradis », m’a dit Wang An en citant une phrase de la légende.

C’était un jeudi, jour de repos ou « week-end » de l’école. Le maître donnait des cours à l’Institut du Taoïsme de Wudangshan, et ses élèves faisaient leurs exercices s’ils le voulaient. Même lorsque le maître était absent, j’ai toujours vu arriver ses élèves à 5h30 pile. C’est Élisabeth, qui vient de Slovénie, mais qui préfère s’appeler Li Bai, nom de l’un des plus grands poètes de la dynastie Tang, qui m’a expliqué le principe de cet exercice de base très important. Et docteur Sun, de Shanghai, a rectifié avec patience mes gestes. Les premiers jours, je ne pouvais faire que huit à dix minutes de méditation debout à la fois. Ensuite, le mal aux jambes et ma respiration saccadée m’obligeaient à m’interrompre. Alors que d’autres élèves méditaient pendant une heure au lever du soleil...

Après le petit déjeuner pris à 7h30 et un petit répit, c’était le moment de la méditation assise qui commence à 9h. Celle-ci semblait assez facile physiquement, mais la difficulté était de se vider l’esprit, de le garder tranquille sans penser à rien. C’était vraiment un problème pour moi au début. J’essayais de chasser les idées de mon cerveau, mais elles ne cessaient de revenir toujours plus nombreuses. Pas moyen de me tenir sur le chemin de la méditation.

Laisser faire le temps

« N’essaie pas de bloquer tes idées. Lorsqu’elles viennent, laisse-les passer. C’est le traitement sédimentaire de tes obsessions. Ne sois pas pressé », m’a indiqué mon maître. La pensée taoïste veut que l’on laisse du temps au temps.

Certains élèves voulaient apprendre le plus possible d’enchaînements de kungfu ou d’arme blanche pendant le temps limité de leur stage. Leur approche rationnelle leur semblait efficace. Mais mes condisciples et moi, nous pensons qu’ils font fausse route. Notre expérience de la philosophie de l’école Xuan Wu nous dit qu’il faut du temps pour construire tout d’abord la base, et les techniques de lutte doivent venir plus tard. Apprendre un enchaînement de boxe difficile, lorsqu’on manque de bases, ne permet pas de l’achever avec les gestes et les sentiments corrects. Mes condisciples et moi, nous ne cherchions pas à apprendre sans cesse des choses nouvelles. Moins efficaces mais plus concentrés, nous préférions travailler à la lente acquisition des bases par la méditation de longue durée. Pendant ce mois passé dans la montagne, je n’ai appris que trois séries de wushu : Ba Duan Jin, comme échauffement, puis deux autres : Ba Gua Zhang qui réduit le feu du cœur pour fabriquer de l’énergie vitale, le qi, avec l’eau du rein, et la série tai-chi des Neuf Gestes de Wudang.

Cette attitude prudente est recommandée surtout pour les méthodes de santé. Suivant le principe taoïste et la médecine traditionnelle chinoise, l’idéal à poursuivre est une circulation sans obstacle du qi à l’intérieur du corps. Dans l’enfance, les deux circulations intérieures du corps, Ren mai (du périnée à la bouche par le ventre) et Du mai (du périnée au palais en passant par la colonne vertébrale et l’occiput), sont connectées comme un ensemble ou circule le qi. Mais en grandissant, les mauvaises habitudes et le mode de vie moderne font qu’elles se déconnectent. Des blocages se forment dans l’une ou l’autre. C’est petit à petit, par la méditation debout ou assise, qu’il faut rétablir la circulation.

Li Bai : « L’univers est dans mon cœur »

Comme elle a demandé à tout le monde de l’appeler Li Bai, personne ne connaît son nom slovène. À 66 ans, cette ancienne fonctionnaire retraitée s’habillait tous les jours dans le style chinois traditionnel.

Elle m’a confié que sa décision d’aller à Wudangshan lui avait sauvé la vie. En raison d’une tumeur, un docteur lui avait dit qu’il ne lui restait que trois mois à vivre. Elle a décidé de venir à Wudangshan pour apprendre les méthodes de santé traditionnelles, et puis elle est y restée près de six ans. Elle continuait de consulter de temps en temps encore le médecin taoïste. Pas pour sa tumeur, qui s’était résorbée, simplement pour des conseils visant à améliorer sa santé.

Un homme renouvelé

Zhang Liang, homme sympathique de 32 ans, surnommé « l’assistant du maître », était là depuis neuf mois. Il était déjà en mesure de nous aider avec des diagnostics et des conseils... « Votre périnée n’est pas étanche, il laisse échapper le qi... Les jeux électroniques consument l’esprit, il faut les éviter. Quant au sexe, il faut le pratiquer avec modération, car il consomme beaucoup d’énergie vitale et fatigue l’esprit. Mal au dos ? C’est que le qi est bloqué ici. Entraîne-toi à faire ce mouvement, comme moi... » Ses condisciples lui étaient reconnaissants de les aider à résoudre leurs petits problèmes et de les guider vers la bonne direction.

Né à Danjiangkou, la ville la plus proche de Wudangshan, et après avoir gagné à Guangzhou suffisamment d’argent pour pouvoir subsister plusieurs années sans travailler, il s’était installé avec sa famille dans le bourg de Wudangshan, au pied de la montagne. Pendant quelque temps, il y avait travaillé en tant que fonctionnaire dans l’administration du bourg. Un emploi stable, peu stressant. Au début 2015, il a démissionné pour passer une année sabbatique à apprendre les méthodes de santé de Maître Chen, en dépit de l’opposition catégorique de ses parents. Il se justifie : « À cette époque, ma santé était mauvaise. J’avais une hernie discale que je traînais depuis 8 ans, et une insuffisance rénale. Une spondylose cervicale me faisait une bosse au cou, ma colonne vertébrale se détraquait complètement. Comme j’avais pris l’habitude de boire de l’alcool et que je fumais trois paquets de cigarettes par jour, les médecins me jugeaient incurable ; et lorsque je regarde une photo de moi à cette époque, je vois moi-même que j’étais à l’article de la mort. »

Pourtant, il me semblait en bonne santé lorsque je l’ai rencontré chez Maître Chen. « Je suis presque guéri. C’est une résurrection ! » s’est-il exclamé.

Trop tôt pour la récolte ?

Ma santé à moi n’était pas si mauvaise que cela. Et pourtant l’amélioration est nette. « Tu as maigri, tes gestes sont assez bons », m’a dit un ami, professionnel du wushu. C’est vrai... je peux faire des gestes dont j’étais incapable auparavant. Je me sens mieux, mon cou se rétablit progressivement, j’ai trouvé la façon correcte pour méditer. J’ai un meilleur appétit et pourtant mon poids n’augmente pas. J’évite la colère qui provoque une perte de qi...

Le plus important est que j’ai appris des méthodes qui continuent de me servir. Mais un mois, c’est trop tôt pour la récolte. « Mes plantes n’en sont qu’à la floraison. » Comme pour Li Bai et Zhang Liang, ma vie a pris un tournant à Wudangshan, elle a mis le cap sur le paradis.

Peter (à droite) s’entraînant au Ba Gua Zhang.

Le mont Wudang est au cœur de la tradition taoïste chinoise. Des écoles de kungfu intérieur y proposent des stages de retraite et de méditation. L’auteur nous raconte une expérience qui a changé le cours de sa vie.

﹡WANG XUEFEI, ancien membre de la rédaction.

 

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