CHINAHOY

2-November-2015

Rire jaune...

 

Le xiangsheng est un art comique typiquement chinois.

 

Plus on est de fous, plus on « riz » en Chine...

ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

Dans la comédie à succès Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ? sortie l'année dernière, Claude Verneuil, alias Christian Clavier, fait remarquer à son beau-fils Chao, d'origine chinoise, que l'humour juif est réputé, mais qu'« on ne connaît pas du tout l'humour chinois ». Celui-ci répond d'un ton très sérieux : « Mais on ne fait jamais d'humour en Chine. » Silence gêné à la table. Puis il ajoute : « Mais non, je plaisante ! »

Les Chinois ont-ils de l'humour ?

Le terme « humour » n'a été introduit dans la langue chinoise sous l'emprunt « youmo » qu'en 1934, par le lettré Lin Yutang. Ce dernier l'a défini comme une attitude qui « émerge quand ceux dotés d'intelligence commencent à mettre en doute la sagesse de l'humanité et à s'apercevoir de la stupidité humaine, de nos propres contradictions, de nos idées fixes et de notre égotisme. » Du côté de la Belgique, Jacques Brel résumait cette pensée en affirmant : « L'humour est la forme la plus saine de la lucidité. » Cette capacité à prendre de la distance avec la réalité pour la tourner en dérision, on pourrait dire que c'est le propre de l'homme. Bien sûr que les Chinois aiment rire !

Pourtant, certains Occidentaux, voyant les Chinois comme un peuple travailleur, sérieux et impénétrable, prétendent qu'en Chine, seul le Bouddha bedonnant semble se fendre la poire. Étonnamment, même certains Chinois corroborent ces propos. Dans un article intitulé Chinese sense of humor ? You've got to be joking publié en 2007 sur China Daily, l'auteur, après avoir assisté à une émission TV, se demande si les rires dans l'assistance sont si naturels puisqu'un chauffeur de salle invite les spectateurs à applaudir. Il conclut que ces gens sont simplement joyeux, parce qu'ils ont accédé à une meilleure qualité de vie ces dernières années. Et peu importe si les répliques sont vraiment comiques ou non.

Alors, pourquoi l'humour chinois est-il si peu connu et reconnu ?

Si l'on s'intéresse à l'avis des Occidentaux, la réponse est assez simple : barrière linguistique. « L'humour est le premier des dons à périr dans une langue étrangère », écrivait Virginia Woolf, bien que sa vie ne fût pas des plus rigolotes... Une anecdote décrit que lors d'une conférence, Jimmy Carter avait détendu l'atmosphère avec une petite blague, que l'interprète japonais présent avait traduite ainsi : « Le président Carter a raconté une histoire drôle. Veuillez tous rire. »

La langue chinoise, particulièrement riche avec ses dizaines de milliers de caractères, comportant de nombreux homophones et double sens, permet la naissance de nombreux jeux de mots. Par exemple : « Pourquoi les avions, qui volent si haut dans le ciel, ne percutent jamais d'étoiles ? Parce que les étoiles sont capables de scintiller/d'esquiver (闪 shan). » Ou encore l'histoire d'un homme d'une quarantaine d'années, qui commence à perdre ses cheveux mais qui ne l'assume pas. Il ne supporte pas qu'on dise qu'il est chauve. Un jour, un tracteur passe à côté de lui. « Tou, tou, tou.... » fait le bruit du tracteur (ce qui signifie « chauve » en chinois). L'homme fait une syncope ! À moins d'avoir un niveau de chinois parfait, aucun Occidental ne comprendra ces jeux de mots du premier coup, et s'ils sont expliqués, ils perdent tout leur potentiel comique.

L'autre défi est évidemment culturel. D'un continent à un autre, d'un pays à un autre, d'un milieu social à un autre et bien entendu, d'une personne à l'autre, les formes d'humour varient. On ne peut parler d'un humour unique en Europe par exemple. Le New York Times rapporte une étude académique qui mettait en lumière que les Italiens sont plus friands des blagues à connotation sexuelle que les Allemands, qui penchent plutôt vers le concept de l'absurde.

Entre blagues et spectacles

En Chine, il existe les « blagues froides », que je traduirais assez librement « blagues vaseuses » entre l'ironie et l'absurde. Chez un public occidental, elles provoquent parfois un petit rictus, rarement un éclat de rire, souvent un regard d'incompréhension... En voici un exemple : À la tombée de la nuit, une femme perdue passe devant un hôpital psychiatrique. Un homme commence à lui emboîter le pas. Elle accélère, se met à courir même, mais l'étranger bizarre continue de la poursuivre. Tout à coup, elle se retrouve bloquée, dans un cul-de-sac. Terrorisée, la femme s'aplatit au sol et gémit : « Faites ce que vous voulez de moi, mais je vous en prie, ne me tuez pas ! » L'homme répond alors calmement : « Est-ce que vous pouvez me suivre ? »

Les histoires drôles ne le sont pas toujours... D'ailleurs, une blague peut être un moyen de faire passer des messages qui seraient difficile à transmettre sur un ton sérieux. Un article rapporte une négociation avec un patron chinois. Celui-ci affirme soudainement : « J'aime beaucoup les situations gagnant-gagnant. Je gagne une fois, puis je regagne encore. Ahah ! » À ce moment-là, l'interlocuteur peut rire jaune...

Outre les blagues, on peut se détendre en écoutant du xiansheng (dialogue comique) en Chine. Une longue analyse du New York Times revient sur l'évolution de cet art. Le xiangsheng se serait popularisé à la fin de la dynastie des Qing, après le règne de l'empereur Xianfeng (1851-1861), notamment grâce à Zhu Shaowen, ou Qiong Bupa (« pauvre et sans peur ») de son nom de scène. Il s'est peu à peu normalisé : deux hommes se donnent la réplique sur scène, de manière rythmée et en usant de mimiques. La représentation mêle ainsi comiques de paroles, de gestes et de situation ainsi que performances artistiques similaires à l'opéra chinois. Un cocktail détonant !

Comme Mao Zedong lui-même en était un grand amateur, le xiangsheng connut son âge d'or à la fondation de la Chine nouvelle en 1949. Cette forme d'art populaire constituait en plus un excellent moyen de transmettre l'idéologie révolutionnaire de l'époque aux masses et d'uniformiser la langue officielle du pays. Aujourd'hui, la majorité des scénarios ont été malheureusement perdus. Toutefois, cette forme d'humour jouit d'une seconde vie grâce aux moyens de diffusion modernes et reste très appréciée dans tout pays.

Un regard sur la société chinoise

De nos jours, Zhou Libo, certainement le plus populaire des comédiens en Chine, s'inspire de ces traditions et les modernise façon stand-up américain. De par sa notoriété, il est l'un des seuls à se permettre d'ironiser sur l'actualité politique et économique, un thème dans lequel il est bien souvent difficile de savoir où sont les limites à ne pas dépasser...

Joe Wong est hautement conscient des bornes différentes que pose chaque culture. Cet étudiant d'origine chinoise est parti en échange aux États-Unis, où il s'est passionné pour le stand-up. Au pays de l'Oncle Sam, Joe Wong s'est notamment fait connaître grâce à la réplique assassine qu'il avait lancée au vice-président américain Joe Biden : « J'ai lu votre biographie en fait, et aujourd'hui, je vous vois en vrai. Le livre est bien mieux, selon moi. » De retour, en Chine aujourd'hui, où il apparaît en vedette de l'émission hebdomadaire Is It True ?, il avoue avoir dû adapter le contenu de ses spectacles à un nouvel auditoire. Autant aux États-Unis, il devait éviter les blagues sur la religion ou le physique d'autrui ; en Chine, il évite le sujet controversé de la politique, lui préférant la société (différences entre les provinces chinoises ou inégalités).

Impossible donc d'imaginer une version chinoise des Guignols, mais la satire et l'ironie, chères au cœur des Français, est bien là. La société reste un thème intarissable, où la critique vise uniquement celui qui se sent visé. En Chine, l'écart de revenus et le culte de l'argent sont fréquemment dénoncés sur le ton de la drôlerie, comme on peut le voir à travers cet exemple : une jeune fille, touchée par le sort d'un vieillard faisant la manche, s'approche de lui et fouille dans ses poches, 3 yuans seulement. Elle lui dit alors : « Je suis désolée, c'est tout ce que j'ai sur moi comme argent. » Le mendiant répond alors : « Merci, mais dans ce cas, je vais attendre le prochain passant. »

Dans son livre La Chine branchée, Véronique Michel met aussi l'accent sur l'inventivité débordante des jeunes internautes chinois, qui créent de nouvelles expressions pour caractériser un échantillon de la société. À titre d'illustration, les « tortues de mer » pour les étudiants chinois revenus de l'étranger, les « fraises » pour les jeunes cadres ne supportant pas le stress au travail, les « hommes phénix » originaires d'un milieu rural mais qui ont bien réussi en ville et soutiennent le reste de leur famille financièrement, les « femmes paon » pour les princesses qui ont toujours été le centre de toutes les attentions, les « esclaves de l'emprunt logement » qui se saignent pour devenir propriétaires, etc...

Comme le disait George Bernard Shaw : « Ma manière de plaisanter, c'est de dire la vérité. C'est la blague la plus drôle du monde. » L'humour apporte ainsi un regard nouveau sur notre société. En visionnant des films comme Lost in Thailand ou des séries comme Nanshi Diaosi, on peut se dire que l'humour chinois s'américanise, s'inspirant du comique de situation à la Friends, The Big Bang Theory ou 2 Broke Girls. Toutefois, il reste profondément ancré dans les mœurs, avec cette pointe de sarcasme que l'on apprécie tant en France.

 

 

La Chine au présent

Liens