CHINAHOY

28-April-2015

Pour des créateurs chinois plus ouverts sur le monde

 

L'IM International participe à la Semaine internationale de la mode de Chine.

 

Interview de Heiko Buerger, directeur d'un institut de mode sino-français à Beijing, qui analyse l'évolution du secteur en Chine et les perspectives d'avenir des jeunes designers chinois.

MA HUIYUAN, membre de la rédaction

Le 20 mars, dans le cadre des activités pour la Journée internationale de la francophonie, a eu lieu à Beijing un défilé de mode haut en couleurs. L'occasion pour les jeunes créateurs chinois issus d'IM International de révéler au grand jour l'ampleur de leurs talents. IM International est un institut de mode sino-français qui vient de célébrer son dixième anniversaire en Chine. La mission de cette école, selon les termes du directeur Heiko M. Buerger, consiste à « former des créateurs de mode chinois plus internationalisés ». En effet, les diplômés de l'IM se montrent très actifs dans le milieu de la mode, autant sur la scène chinoise que sur celle mondiale.

C'est sur le campus de l'IM à Beijing que nous avons rencontré ce M. Heiko Buerger. Il est vêtu tout de noir, avec élégance et discrétion, mais ses cheveux longs soigneusement noués sont révélateurs de son attitude fashion. Heiko Buerger travaille dans le secteur de la mode depuis 25 ans et réside en Chine depuis 6 ans et demi. Dès la signature en 2004 de l'accord inaugurant cette « école biculturelle », Heiko a commencé à être témoin du développement de l'IM en Chine, qui dure depuis plus de dix ans maintenant.

Dix années d'expertise

Heiko m'a fait visiter l'établissement : dans le hall d'entrée sont exposés les travaux de fin d'études des élèves ; dans les salles de cours se trouvent d'imposantes machines à coudre et à repasser, mises à la disposition des étudiants. Dans une des classes, nous faisons la rencontre d'Anne-Sophie Louis, professeur française, alors en train d'enseigner à des étudiants de deuxième année. Elle inspecte scrupuleusement les patrons de tous les étudiants, puis leur dispense quelques conseils. À ses côtés se tient un interprète chinois doté de profondes connaissances en matière de design, lequel traduit à l'intention des élèves tous les termes techniques employés par la professeur.

En 2004, avec le soutien du ministère chinois de l'Éducation et l'ambassade de France en Chine, l'IM International est né à travers la fondation en Chine de l'École supérieure des arts et techniques de la mode (ESMOD). Au fil de ses dix années d'existence, l'IM a transformé son modèle de développement, établissant des partenariats avec toujours plus d'universités, non seulement celles en France, mais aussi celles en Italie, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Ces coopérations ont permis à l'IM de s'ouvrir davantage au monde extérieur et aussi d'enrichir le contenu de ses formations. Heiko a commenté : « On ne peut pas progresser durablement en demeurant en vase clos. Il est nécessaire de s'intéresser à ce qui se fait ailleurs. La mode est un secteur qui évolue rapidement, qui se transforme quasiment au quotidien. Donc il nous faut tout le temps procéder à des améliorations, innover. Il peut nous arriver de réviser nos programmes ou nos cours du jour au lendemain, après consultation de notre équipe. » À savoir que les enseignants de l'IM sont de nationalités diverses : des Français, des Allemands, des Japonais, des Hongrois, des Libanais, etc. Tous étant riches d'expériences de travail à l'étranger dans le milieu de la mode, ils partagent avec l'IM leur savoir-faire, leurs techniques et leurs idées novatrices.

Depuis son établissement, l'IM International a formé près de 1 000 créateurs. Heiko nous indique : « Nous ne cherchons pas à accroître le nombre de nos élèves. Cela n'a pas d'importance. Ici, nous n'appliquons pas un enseignement théorique : nous ne dispensons pas des cours magistraux, avec un professeur devant une classe de 60 jeunes. Nos professeurs travaillent en individuel avec les élèves, parce que chaque étudiant affiche des besoins et des envies qui lui sont propres, ainsi qu'un passé différent. Ainsi, toute la formation est taillée suivant l'individu. Nous souhaitons que chacun des élèves puisse s'épanouir en laissant libre cours à sa personnalité et à sa créativité. » À l'IM, le nombre d'étudiants par classe ne dépasse pas 20, de sorte que l'enseignant est à même de consacrer suffisamment de temps à chacun d'entre eux. Dans les classes, les profils sont variés : des jeunes fraîchement sortis du lycée, mais aussi des personnes d'âge moyen. « L'âge ne vaut pas comme critère pour s'engager dans des études sur la mode. Ce qui compte, c'est la passion de l'apprenant. »

Heiko a enseigné dans de nombreux pays en Europe et en Asie. Selon ses observations, il n'y a pas de différence entre les élèves chinois et ceux d'autres pays en termes de motivation, d'éducation à la mode et de connaissance du secteur. À l'ère de la mondialisation et de l'informatisation, tout le monde a désormais accès aux mêmes renseignements, aussi bien depuis les États-Unis, l'Europe ou l'Asie. « Cependant, seuls les Chinois arrivent à intégrer, de manière idéale, leur culture à leurs modèles. C'est un grand avantage ! Voici par exemple une collection en papier. L'élève qui en est à l'origine m'a rappelé que les Chinois avaient autrefois inventé le papier. Ainsi, il a voulu incorporer un élément de sa culture dans sa collection. D'autres étudiants chinois se sont inspirés de l'art du bronze et de traditions d'ethnies minoritaires de la Chine. Il s'agit selon moi d'un travail très important et particulièrement intéressant. » Il poursuit : « Néanmoins, je regrette un peu que des jeunes Chinois d'aujourd'hui, qui ont envie de modernité, portent leur regard vers d'autres horizons au point de ne plus voir les richesses de leur propre culture. »

 

Le 20 mars, les créateurs de l'IM en train de préparer un défilé de mode pour la Journée internationale de la francophonie.

 

La Chine aux yeux du directeur international

« Ma première visite en Chine remonte à 1994. À ce moment-là, il n'y avait que deux lignes de métro et un seul Starbucks à Beijing. Je me souviens encore que j'étais arrivé dans la capitale fin novembre. Le brouillard – ce n'était pas de la pollution à l'époque – enveloppait la ville, ce qui me rendait très nostalgique, se rappelle Heiko. J'habitais alors au Japon et je suis venu à Beijing pour un court séjour d'abord. Le contraste entre les deux environnements m'a saisi. J'adorais l'ambiance ici à Beijing, dont on pouvait ressentir le long passé simplement en observant les différents paysages, constructions, parcs et rues. En traversant les quartiers de Beijing, je me sentais vraiment au cœur de l'histoire. » Heiko admet : « Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Beijing est maintenant aussi avancée que Tokyo. Les traces de l'histoire n'ont pas définitivement disparu, mais elles apparaissent moins évidentes qu'auparavant. Il faut les chercher un peu. L'histoire a cédé la place à la modernité dans cette ville. Beijing s'est transformée à une vitesse incroyable dernièrement. Je constate qu'elle est aujourd'hui une ville internationale et moderne, avec tout ce que cela implique de positif mais aussi de négatif, telle la pollution par exemple. »

Tout comme Beijing s'est développée et ouverte au monde, la mode s'est internationalisée. « Aujourd'hui en Chine, je peux trouver les mêmes vêtements que ceux disponibles dans les boutiques en Allemagne, en France, au Japon ou aux États-Unis. Mais il y a tout de même des marques chinoises qui se distinguent et s'acquièrent progressivement une renommée à travers le globe. Par exemple, SANKUANZ, une marque née à Shang-hai sur l'initiative du designer chinois Shangguan Zhe. C'est quelqu'un de très intéressant, qui sait faire valoir sa culture pour donner naissance à des créations extraordinaires. Citons aussi SEAN SUEN, qui confectionne des vêtements d'un style sport-chic. Et encore, bien sûr, Exception, une marque originaire de Guangzhou. » Heiko considère que la mode en Chine est aujourd'hui assez chic et élégante. Les designers se montrent très créatifs, tirant parti de leurs racines culturelles. Des progrès de géant ont déjà été faits dans le secteur de la mode, mais ce n'est pas encore assez, d'après Heiko. Il reste un large potentiel à exploiter.

Heiko estime que l'esthétique vestimentaire s'est également vite améliorée en Chine. « J'ai souvent vu à Sanlitun (un quartier situé à l'est de Beijing, réputé pour ses nombreux bars et enseignes internationales) de jeunes Chinoises habillées de façon très mode et très actuelle, comme si je me trouvais à Paris ou à Milan. J'aimais beaucoup leur style, et j'avais même envie d'en prendre des photos ! Mais comme je ne les connaissais pas, je n'avais pas osé. En plus, vu que j'ai une tête de "Blanc", je leur aurais peut-être fait peur », plaisante-t-il.

Accompagner les jeunes créateurs chinois

Internationalisation, créativité, innovation, personnalité, originalité et marche avec son temps : telle est la série de concepts clés que l'IM vise à transmettre aux élèves chinois. « Nous poussons les étudiants à penser par eux-mêmes. Nos professeurs ne leur donnent jamais des solutions toutes prêtes. C'est aux élèves de trouver, par tâtonnements, les réponses les plus adaptées. »

Malgré son sourire et son sens de l'humour, Heiko est un directeur très strict. « Je suis toujours en train de gratter sur les vacances. Je ne veux pas accorder trop de jours fériés aux élèves, tout simplement parce qu'ils ont beaucoup de choses à apprendre ! » Une fois diplômés, une partie des élèves poursuivent leurs études à l'étranger, en France, en Italie ou au Royaume-Uni. Le modèle d'enseignement à l'IM étant calqué sur les standards internationaux, les étudiants s'adaptent en un rien de temps à leur nouvelle vie à l'étranger. Certains même lancent leur propre marque en France. » Très fier d'eux, Heiko s'empresse de nous présenter les œuvres de fin d'études réalisées par ces étudiants.

Il ajoute : « Nous avons conclu des partenariats avec une vingtaine d'entreprises à Beijing, Shanghai, Shenzhen, Macao, Taiwan, etc. Au début, c'est nous qui recommandions nos élèves auprès de ces entreprises. Dorénavant, nos recrues sont directement reconnues pour leurs talents. Il y a des entreprises qui réservent des places spécialement pour certains de nos diplômés, parfois même un an avant que ceux-ci aient finalisé leurs études. D'ailleurs, nos élèves ont réalisé d'excellentes performances lors de la Semaine internationale de la mode de Chine et de la Semaine de la mode des étudiants chinois. » Notons qu'IM International est la seule école internationale de mode qui a eu l'honneur de participer à la Semaine internationale de la mode de Chine.

 

La Chine au présent

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