CHINAHOY

4-February-2015

L’opéra Luju entre dans la modernité

 

Les acteurs de la troupe Xinxin de l'opéra Luju à Changfeng. (LIU CHENGZI)

 

MA HUIYUAN et ANAÏS CHAILLOLEAU, membres de la rédaction

Dans le district de Changfeng (province de l'Anhui), au parc Shuihu, nous avons assisté à une pièce de l'opéra Luju donnée gratuitement en extérieur par la troupe Xinxin du district. Le Luju est un théâtre chanté traditionnel né aux alentours de la ville historique de Luzhou (actuellement la ville de Hefei, capitale de l'Anhui), d'où le nom « Luju ».

Dans cette pièce Comment dépenser cet argent, un couple de villageois s'interroge, discute et se dispute à propos d'un paquet d'argent qui a fait surface mystérieusement dans leur vie. Une situation qui fait écho au quotidien et aux préoccupations de chacun.

Une intrigue simple, un texte simple, un décor simple (une table et deux chaises grosso modo), mais une performance subtile et certainement difficile pour les deux acteurs, devant jongler habilement sur scène entre plusieurs arts. En effet, le spectacle mêle élégamment théâtre, danse et chant, le tout au son des tambours, cymbales et kuaiban'er (planches de bois s'entrechoquant) qui rythment les séquences et soulignent les émotions des personnages. Donc nul besoin de saisir tous les détails pour apprécier le numéro, à la portée des spectateurs venant d'autres provinces, voire d'autres pays.

Une réforme culturelle source de progrès

La troupe Xinxin, unique troupe professionnelle du district, a fait peau neuve à l'entrée dans la nouvelle décennie, voulant créer des pièces originales plus accessibles et plus divertissantes, au grand plaisir des plus jeunes et des plus âgés.

De nos jours, les habitants de Changfeng peuvent admirer régulièrement et gratuitement ce type de représentation, notamment depuis la réforme de l'administration et de l'investissement lancée début 2010. C'est dans ce cadre que la troupe de l'opéra Luju de Changfeng a été rebaptisée l'ensemble artistique Xinxin. Chaque année, ce groupe d'artistes livre environ 200 représentations, avec pour objectif d'enrichir la vie culturelle des villageois locaux.

Wang Ling, chef de cet ensemble que nous avons interviewé, nous a raconté que la troupe de Luju de Changfeng fondée en 1978 a connu un développement difficile à la fin des années 1980, une fois confrontée aux défis du marché. Wang Ling, héritier du Luju (il était auparavant percussionniste dans les spectacles), a déclaré : « À ce moment-là, l'avenir de la troupe était incertain. Nous étions contraints de nous métamorphoser en simples orchestres ordinaires pour pouvoir nous produire un peu partout. Beaucoup de membres ont en outre quitté la troupe, ne gagnant pas assez leur vie. Moi-même, au milieu des années 1990, je suis parti pour m'embarquer dans le commerce. Cependant, après que le gouvernement a décidé de réformer vigoureusement le système culturel, beaucoup comme moi ont pris l'initiative d'à nouveau promouvoir et développer l'opéra Luju, par amour pour cette discipline. Cette politique du gouvernement nous a donné l'occasion de revenir. »

Depuis 2011, la troupe Xinxin a créé 4 pièces modernes (La femme chef de village, Un bol de wonton, L'importance de la face dans la vie quotidienne, Comment dépenser cet argent), suivant son plan d'en composer une par an. La troupe donne des représentations de l'opéra Luju, mais propose aussi divers mélodies, chants et sketchs. Wang Ling explique : « La réforme a eu pour principal effet de redynamiser la troupe. Autrefois, les membres étaient relativement fixes. Il fallait demander de nombreuses autorisations pour intégrer de nouveaux talents. Dorénavant, nos acteurs sont très divers : en plus des membres permanents, nous recrutons parfois d'autres acteurs temporaires, selon les besoins pour notre répertoire. Nous avons également fait entrer un grand nombre d'excellents comédiens venant des régions proches de Changfeng. Ce district fondé en 1965 est le plus récent parmi les districts du coin. Pourtant, c'est lui qui dispose de la troupe de Luju la plus professionnelle et la plus remarquable, une réussite que nous devons à la réforme. »

Wang Yang, le directeur adjoint du Bureau de la culture, de la radio-télévision et de la presse de Changfeng, a indiqué : « Fin 2014, nous avons signé un accord avec l'Institut des arts et de la communication relevant de l'université de l'Anhui, afin d'établir avec ce dernier une coopération à long terme permettant le partage de nos ressources. Concrètement, nous mettons à la disposition des étudiants une plate-forme pour s'essayer au Luju à partir du niveau zéro, dans l'espoir que cet art touche davantage les jeunes. Dans le même temps, outre notre ensemble professionnel, il existe à Chang-feng une dizaine de troupes privées, que le gouvernement soutient à travers des directives. Ces troupes représentent pour nous une concurrence loyale et saine, qui dans une certaine mesure nous pousse à améliorer nos performances, au profit des spectateurs. »

Qi Mingyu, le directeur du même Bureau a résumé : « À mesure que l'économie prospère à Changfeng, les exigences culturelles de la population progressent. C'est une occasion en or pour cette troupe! D'ailleurs, elle prévoit encore d'établir des coopérations tripartites avec des écoles et des entreprises. »

Le succès de la troupe Xinxin n'est qu'un exemple de l'impact qu'a produit cette réforme culturelle à Changfeng. Par exemple, le gouvernement du district a aussi bâti, dans 15 bourgs et villages, des centres, salles et places destinés aux activités culturelles.

Entre tradition et innovation

Luju, Huiju, Huangmei et Sizhou sont les quatre sortes de théâtre cohabitant dans la province de l'Anhui. Le 20 mai 2006, le Conseil des affaires d'État a intégré le Luju à la première liste du patrimoine culturel immatériel de Chine, tandis que la réforme culturelle de Changfeng lui a insufflé un nouvel élan en 2010. C'est dans ce contexte que la troupe Xinxin poursuit la tâche de développer le Luju en en innovant divers aspects (langue, musique, jeu de scène, thèmes abordés...), afin de donner une nouvelle vie à cet art en déclin.

Yang Shiding, artiste de Luju depuis toujours, a décrit avec entrain les innovations qui ont été apportées. « Jadis, les spectacles de Luju étaient présentés dans la langue vernaculaire de l'Anhui. De nos jours, les dialogues et les chansons sont en mandarin, ce qui permet à la troupe d'élargir son audience et de se produire aux quatre coins du pays. Elle a même remporté des prix lors de compétitions organisées dans la capitale ! Côté musique, la tradition est préservée, mais aussi innovée, de façon à traduire plus justement les émotions des personnages. Les mélodies et fioritures perpétuent les tonalités et les airs d'antan, tout en y ajoutant quelques originalités. » M. Yang a ajouté : « La réforme nous a fait entrer dans une phase d'essais. Nous tentons par exemple diverses tonalités et observons à laquelle le public est le plus réceptif. La transformation du Luju ne peut être couronnée de succès qu'à condition qu'elle corresponde aux attentes des spectateurs. » Par ailleurs, les chorégraphies ont été simplifiées, pour permettre aux acteurs de jouer sur toute scène, que ce soit au beau milieu d'un champ, dans la cour d'une école, voire dans la cantine d'une maison de retraite !

Mais le plus grand changement concerne encore le contenu des pièces de Luju que crée la troupe Xinxin, pièces désormais plus proches de la vie de la population. Basée sur des histoires vraies, leur intrigue conquiert naturellement le cœur des gens. Wang Yang, qui écrit les scénarios, commente la dernière de ses œuvres, Comment dépenser cet argent : « Cette pièce est adaptée d'un fait divers qui a eu lieu dans le Sichuan. Une travailleuse migrante, en retournant dans son village natal, perd une partie de l'argent liquide qu'elle avait durement gagné. Impuissante, elle le signale à la police. Elle communique alors publiquement son numéro de carte bancaire, espérant que celui ou celle ayant ramassé son butin soit bien intentionné et le lui rende. Mais elle n'avait pas envisagé que des centaines de milliers de bons samaritains lui enverraient des dons ! Cette histoire, qui reflète l'énergie positive de la communauté, méritait d'être largement transmise ! C'est alors que j'ai écrit Comment dépenser cet argent, qui a eu de très bons échos au sein du public.

Un franc succès

Il semblerait en tout cas que la foule de spectateurs, yeux pétillants rivés sur la scène et sourire aux lèvres, approuvent. Un vieux monsieur, que nous avons dérangé quelques instants avec nos questions, nous a indiqué : « J'assiste souvent à ce genre de spectacle. Avant chaque congé, une représentation est généralement organisée, pour notre plus grande joie. » Une dame du même âge environ a avoué : « Je ne sais ni lire ni écrire et je souffre de problèmes d'audition, mais néanmoins, je peux apprécier pleinement ces pièces : l'histoire est facile à suivre et les chants sont entraînants. »

Ainsi, ces nouvelles pièces de Luju s'adressent au plus grand nombre : érudits comme petites gens, locaux comme étrangers, personnes âgées comme jeunes. Toutefois, cette dernière catégorie s'avère peu représentée. « Nous sommes en pleine après-midi, il faut dire. Les jeunes sont en cours ou au travail, nous a fait remarquer l'un d'eux, qui aimerait bien disposer de plus de temps libre pour pouvoir contempler plus souvent cette forme d'art. Moi-même, je travaille à Hefei, à une heure et demie d'ici. Quand je reviens dans mon district natal, je suis très heureux de pouvoir admirer une pièce de Luju. C'est un divertissement très représentatif de la vie des habitants de Changfeng. » En revanche, il semblerait que les tout-petits soient tous de sortie avec leurs grands-parents. Un papy portant son petit-fils dans les bras a commenté : « Il est important de diffuser notre culture aux plus jeunes, pour que nos arts et savoir-faire survivent à l'épreuve du temps. »

À la fin du spectacle, nous avons retrouvé Mme Xue Zhongping, l'actrice principale, qui a déclaré : « Chaque fois, je suis très touchée de voir cette marée humaine venue nous applaudir. Même lorsqu'il pleut, le public est au rendez-vous et reste jusqu'à la fin. C'est une vraie reconnaissance de notre travail. Un mois de répétition est nécessaire avant de pouvoir jouer une pièce. Il faut connaître sur le bout des doigts chaque phrase, chaque pas, chaque expression... »

Depuis 2011, la troupe a donné 855 représentations (614 dans le district de Changfeng, 241 hors district). Elle s'est produite un peu partout dans la province de l'Anhui, mais aussi à Beijing, dans le Henan et le Jiangsu, un travail qui a généré environ 6 millions de yuans (1 euro = 7,6 yuans) de recettes en quatre ans de temps.

Wang Ling souligne que grâce à la réforme, l'ensemble artistique Xinxin a allongé le pas pour marcher vers la modernité. Auparavant, le théâtre Luju rassemblait uniquement des spectateurs âgés de plus de 55 ans. Depuis la réforme qui a injecté une nouvelle vitalité à cet art, des jeunes viennent également assister aux spectacles. « La réforme nous a donné l'occasion de progresser et d'entrer dans une nouvelle ère », conclut Wang Ling.

 

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