CHINAHOY

28-June-2016

Sima Qian, inventeur de l’Histoire

 

Chaque mois La Chine au présent vous raconte l'histoire d'une invention chinoise, ancienne ou récente, absolument véridique ou un peu romancée, et de son auteur. Ces personnages qui ont fait la Chine et le monde tels que nous les connaissons aujourd'hui...

CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction

Si l'on en sait tant sur l'histoire millénaire de la Chine, c'est parce que l'on a commencé à l'écrire très tôt. Mais aussi grâce à des lettrés qui se sont intéressés à ce qui s'était passé dans les âges anciens, au premier rang desquels Sima Qian (environ 145-90 av. J.-C.).

Comme le rappelle Edouard Chavannes, qui a beaucoup travaillé sur les écrits de l'historien, Sima Qian est né d'une petite noblesse sur les terres de ses ancêtres ; il suppose que c'est pour cette raison, entre autres, que le petit Sima développa si tôt une passion pour l'étude des lignées familiales. On raconte qu'à l'âge de dix ans, il connaissait déjà par cœur les principaux textes de l'Antiquité. Il dévorait tous les écrits qui lui tombaient sous la main, et puis comme son père était archiviste à la cour de Chang'an (la capitale de l'époque qui s'appelle aujourd'hui Xi'an), il bénéficiait d'un accès privilégié aux grimoires anciens. Plus précisément, M. Sima père tenait, à la cour de l'empereur Wudi (141-87 av. J.-C.) de la dynastie Han, les registres de ce qui se passait dans l'empire, il faisait donc de l'histoire en temps réel.

À l'âge de vingt ans, grâce à la protection paternelle, il se vit confier des tâches de contrôleur des provinces éloignées, ce qui l'amena à voyager au Jiangsu, dans l'Anhui, au Zhejiang, au Hunan et dans le Henan. Ses fonctions lui permirent aussi d'effectuer plusieurs voyages aux confins considérés comme encore un peu barbares de l'empire.

Tous ces voyages étaient certes passionnants, mais l'ami Qian n'était pas baroudeur dans l'âme : maigrichon et de santé précaire, il n'aimait rien tant que de fourrer son nez dans les archives, fureter dans les vieilleries gravées et essayer de repérer, parmi les caractères anciens, les noms des empereurs antiques, retracer, à force de déductions et de recoupements, les lignages et les successions des dynasties passées. C'est pourquoi à la mort de son père, il dissimula son impatience d'hériter de ses fonctions pour devenir comme lui un rat de bibliothèque. D'ailleurs, il avait promis à son géniteur, sur son lit de mort, de poursuivre et d'achever le traité sur l'histoire ancienne de la Chine qu'il avait commencé, projet auquel tous les deux tenaient beaucoup.

C'est en 104 av. J.-C. qu'il commença à rédiger son opus, qu'il appela Mémoires historiques, sur la base des archives de l'empire. Tout se passait pour le mieux pendant cinq ans. Mais en 99, une sorte d'affaire Dreyfus chinoise fit qu'il prit la défense d'un officier accusé de trahison. Mal lui en prit car l'empereur, furieux, lui donna le choix entre être exécuté ou castré. Le choix était difficile... Dans le premier cas, se disait-il, sans descendant à qui la confier, l'œuvre allait sombrer dans l'oubli, trahissant la promesse faite à son père. Dans le second cas, il n'aurait pas de descendant non plus, mais il lui resterait quelques années pour l'achever lui-même. Il choisit donc la seconde solution, douloureuse certes, mais pas mortelle.

C'est ainsi qu'il poursuivit, après une période de convalescence, son travail d'érudit. La colère impériale finit par s'apaiser, et l'empereur le gracia en 96 av. J.-C. sans pour autant lui restituer ses bijoux de famille. En revanche, il prit Sima Qian à son service en tant que secrétaire personnel, une fonction particulièrement honorifique et réservée aux eunuques. C'est ainsi que l'historien put achever son œuvre en 91 av. J.-C.

Un ouvrage grâce auquel nous en savons aujourd'hui bien plus sur l'histoire chinoise que sur celle des autres civilisations de la même époque. Sima Qian a inventé l'Histoire avec un grand H.

 

 

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