CHINAHOY

4-May-2016

Gao Guiyou et ses baozi « le chien les snobe »

 

Chaque mois La Chine au présent vous raconte l'histoire d'une invention chinoise, ancienne ou récente, absolument véridique ou un peu romancée, et de son auteur. Ces personnages qui ont fait la Chine et le monde tels que nous les connaissons aujourd'hui...

CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction

Connaissez-vous les « baozi le chien les snobe » ? Voilà une bien curieuse dénomination pour un plat délicieux, me direz-vous. Laissez-moi vous conter l'affaire. Ou plutôt la légende. Enfin l'histoire vraie bien qu'un peu romancée sans doute de ces fameux baozi cuits à la vapeur dans une petite échoppe de Tianjin.

Les baozi, c'est la cuisine de la Route de la Soie. Qui les a confectionnées le premier, ces boules de pâte remplies de farce odorante, fleurant bon le mélange des viandes (ça tire plus sur le mouton en Asie centrale musulmane, quoiqu'on n'y dédaigne pas non plus entièrement le porc, qui compose normalement les baozi de ce côté-ci du continent, et puis tellement de variations sont possibles) et du chou finement émincé que chaque cuistot assaisonne à sa façon (oignon, ail, poivre) ? Évidemment elles ont été inventées, puis réinventées, perfectionnées, améliorées au fil des siècles par des centaines de cuistots anonymes qui en ont fait un vrai repas de nomade : facile à transporter, ça se conserve longtemps, ça tient au ventre pendant les grandes traversées hivernales mais ça se laisse aussi manger dans la chaleur de l'été. Voici l'histoire de l'un des auteurs les plus illustres de ce plat magnifique.

Figurez-vous que Gao Guiyou, fils d'un modeste boutiquier qui avait établi un fast food sur la rue la plus fréquentée de Tianjin, s'était mis en tête de perfectionner la recette paternelle. J'oublie de préciser que Gao Guiyou, fils unique adoré de ses parents, gavé de pâtisseries depuis sa plus tendre enfance, avait une bouille ronde des plus engageantes qui lui valut le surnom de « Chiot » (Gouzi). À force de labeur acharné, il y réussit si bien (à perfectionner la recette paternelle) que sa boutique se mit à attirer une foule de clients plus en plus nombreuse et exigeante. Pâte fine mais ne laissant pas échapper le jus, farce parfumée et fondant sous le palais, texture ferme mais souple, dix-huit plis, pas un de plus ni de moins : on se les arrachait littéralement, les baozi de Gao Guiyou ! On raconte même que l'impératrice Cixi en personne faisait acheter et rapporter de Tianjin ces friandises dont elle raffolait.

L'échoppe de Gao Guiyou était littéralement prise d'assaut chaque jour. Dès les petites heures du matin, les Tianjinois affamés venaient toquer à ses volets pour réserver leur petit déjeuner. Au fur et à mesure que le soleil montait dans le ciel, la foule se pressait plus dense dans la rue des restaurateurs, attendant avec impatience sa ration. Toute la journée se passait ainsi pour le jeune entrepreneur qui était au four et au moulin, ne sachant plus où donner de la tête, surveillant la cuisson, encaissant les commandes et houspillant les serveuses qui galopaient entre les tables. Le malheureux Gao Guiyou servait ses clients au débotté, ne reconnaissant plus personne et ne pouvant, faute de temps, s'interrompre un instant pour saluer telle ou telle vieille connaissance.

Ses camarades, mi-amusés et mi-vexés du surmenage permanent de leur ami, en firent un jeu de mots : « Gou Bu Li » c'est-à-dire : « le Chiot nous snobe ». D'où le surnom que prirent progressivement ces boules de pâte : « baozi le-chien-les-snobe ».

Qu'en est-il aujourd'hui ? Renseignement pris, l'établissement de Gao Guiyou a continué sur sa lancée pendant quelques décennies. Avec la réforme et l'ouverture, le bâtiment a été racheté par une compagnie d'assurances qui a revendu l'enseigne du restaurant transformée en franchise. Le nom de Gou Bu Li s'est même internationalisé avec une version anglaise : Go Believe. Les restaurants estampillés Gou Bu Li se sont multipliés et on en trouve désormais dans toutes les villes du pays. Gao Guiyou n'est plus là pour surveiller, chaque tenancier y va de sa propre sauce, le goût n'est évidemment plus le même. Comme souvent, une brillante opération financière se termine en farce culinaire et en bérézina culturelle.

Jusqu'à ce qu'un jour, peut-être, un nouveau Gao Guiyou apparaisse avec une nouvelle recette magique ? Qing Feng a lancé à Beijing une nouvelle chaîne de restaurants qui renouvelle le style des baozi et a reçu l'approbation d'un client de marque : le président Xi Jinping lui-même !

 

 

La Chine au présent

Liens