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Le yuan, « poison » de l’économie mondiale
Ce qui est drôle lorsqu'on vit en Chine, c'est voir à quelles contorsions la presse démocratique est prête à se livrer lorsqu'elle raconte ce pays. Pas de bonnes nouvelles de ce côté du globe, et toute info est systématiquement tordue dans le sens le plus pessimiste possible. Bien sûr, certains thèmes demandent plus d'agilité que d'autres et parfois, des prouesses sémantiques qui vous laissent pantois... Petit florilège.
CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction
Vous trouvez que l'économie est une science compliquée ? Heureusement la presse internationale est là pour nous expliquer le pourquoi du comment. Et au prix de quelques petits arrangements avec la logique, elle parvient généralement à nous démontrer par A plus B pourquoi tout est toujours la faute de la Chine.
« Chine : La dévaluation du yuan est inquiétante pour nos économies » titre 20 minutes au-dessus de l'interview d'un économiste qui compare la dévaluation de 7 % de la monnaie chinoise en 2015 à un tsunami qui frappe l'économie mondiale. Pas un mot sur la baisse de 20 % de l'euro, ni sur l'effondrement du rouble russe suite aux absurdes sanctions internationales... La Chine entre la dernière dans une guerre des monnaies déjà redoutée par le FMI en 2014, « une décision chinoise égoïste », selon cet autre économiste dans La Tribune qui titre « Les lourdes conséquences de la dévaluation du yuan chinois ». Les autres pays conduisent des politiques monétaires purement altruistes, c'est bien connu.
Pourquoi cette baisse à peine sensible du yuan défraie-t-elle ainsi la chronique ? La logique est tordue mais essayons de la suivre : la Chine fait baisser sa monnaie... en dépensant une masse énorme de devises à essayer justement de soutenir son cours. Explication dans Le Figaro, qui sous le titre catastrophiste de rigueur (il s'agit de la Chine), prend involontairement sa défense en constatant que la faiblesse du yuan est due à des attaques spéculatives étrangères, et que la Chine cherche au contraire à empêcher sa monnaie de dévisser. On apprend au détour d'un article que le spéculateur George Soros « redoute une répétition de la crise de 2008 »... Dès lors « La fonte record des réserves de change chinoises est tout simplement intenable » clame le titre de Le Monde, dans lequel l'auteur s'inquiète de la baisse de 100 milliards de dollars du bas de laine chinois. Admirez le tour de prestidigitation : après des décennies de cris d'orfraie sur « les excédents commerciaux indécents » de la Chine, on se plaint désormais de réserves de change en baisse... Allez y comprendre quelque chose.
« Le yuan fait trembler le monde » titre Le Monde, qui explique : « Les marchés financiers détestent l'incertitude ». La pire incertitude serait donc la politique monétaire chinoise ? Elle a pourtant la régularité d'un métronome et prend dans la tourmente des mesures visant la stabilisation des cours. Le Figaro titre lui aussi « La chute du yuan déstabilise les marchés boursiers ». Le Courrier International fait carrément sa une sur « Chine : le trou d'air », pour expliquer « les maux qui rongent l'économie ». Ou comment faire porter à la Chine le chapeau de la mauvaise performance économique des autres pays. La palme du catastrophisme revient à RTL qui sur son site, à la rubrique des actualités économiques, explique « la dévaluation était très importante car d'après les investisseurs la Chine va très mal. Elle entraîne d'ailleurs dans sa chute, la Russie, le Brésil et l'Australie... » Comment ? Pourquoi ?
Et surtout : en quoi les réserves de change chinoises doivent-elles inquiéter les économies occidentales ?
Le Monde, pédagogique, se fend d'une infographie qui enfile tous ces éléments comme les perles d'un collier dont le maillon faible est évidemment... la Chine. Attachez vos ceintures car la logique est ardue : premièrement la croissance chinoise passe de 10 % à 7 %. Pas assez dramatique ? On insinue fielleusement qu'il s'agit là de « chiffres officiels » (donc mensongers) qui masquent « pour l'instant » une croissance anémique (« deux à trois fois plus faible »). Par un tour de passe-passe classique, ce ralentissement de la croissance se transforme soudain en « freinage de l'économie » et donc en « effondrement de la demande » chinoise de matières premières. Comme d'habitude, on fait passer pour une baisse catastrophique une augmentation qui se poursuit en réalité à un rythme à peine inférieur.
Et voilà : qui dit « effondrement de la demande » dit « chute du cours des matières premières », au premier chef desquelles le pétrole. Pas un mot, même en passant, sur la cause réelle de l'effondrement du baril de brut : l'accroissement spectaculaire de la production aux États-Unis, qui se sont hissés, au prix de la catastrophe écologique du fracking, au premier rang mondial des producteurs de pétrole, faisant chuter d'autant la demande. Le baril moins cher n'allège-t-il pas la facture énergétique ? Ne bénéficie-t-il pas justement, in fine, à nos économies occidentales ?
Le Monde ne l'entend pas de cette oreille : « Avec un prix du baril en chute libre, de nombreux montages ayant permis de financer des investissements de production, en particulier dans le gaz de schiste aux États-Unis, ne passent plus et vont devoir être renégociés. » La pirouette est complète, le tour de magie s'achève : les banques occidentales en déroute, la répétition du risque systémique de 2008, la faiblesse de la croissance dans les pays industrialisés et la récession des émergents, tout est une fois de plus la faute du maudit yuan chinois ! CQFD.
La Chine au présent